Un demi-siècle après, la grève agricole de 1974 reste gravée dans la mémoire collective en Martinique

Plantation de banane aux Antilles Françaises (illustration).
Ce 17 janvier marque le 50e anniversaire du début de la grève des ouvriers agricoles des plantations de bananes, en 1974. Ce conflit social s’est terminé tragiquement par la mort de deux ouvriers dans le nord atlantique.

La grève de janvier et février 1974 dure un mois entier. Elle commence le 17 janvier sur une exploitation bananière, l’Habitation Vivé, au Lorrain. Les ouvriers se mobilisent après un licenciement à la suite de la restructuration de l’entreprise. Le conflit atteint rapidement les exploitations voisines d’Assier et de Fond Brûlé.

Parti du Lorrain, il se propage en quelques jours dans le nord atlantique, du Marigot à Grand-Rivière en passant par Basse-Pointe. Plusieurs exploitations sont touchées également à Saint-Joseph, au Lamentin, au François, à Ducos et à Rivière-Pilote. Le comité de grève reçoit le soutien actif de la CGTM, le syndicat le plus puissant à l’époque.

Comme à l’accoutumée, il s’agit d’une grève marchante. Les ouvriers passent d’une exploitation à l’autre. Les rangs des grévistes grossissent de jour en jour. Une plateforme de revendications est rédigée par le comité de grève avec l’aide de la CGTM et de militants indépendantistes immergés dans le milieu de longue date.

Des revendications en 11 points

Parmi les revendications : un salaire minimal garanti de 35 francs 46 par jour, au lieu de 20 à 22 francs ; la suppression totale des produits toxiques ; le paiement des congés payés, le respect des droits syndicaux.

Le conflit dure jusqu’au 12 février, jour du début d’une grève générale intersyndicale. Un gigantesque défilé à Fort-de-France réunit ouvriers du bâtiment, de l’électricité, dockers, fonctionnaires, enseignants, étudiants et lycéens. Son ampleur surprend les syndicats et les autorités.

Il est vrai que la tension sociale et politique est très vive en Martinique depuis le mois de septembre 1973. Les arrêts de travail se multiplient dans les entreprises, sur le port, dans la fonction publique, dans l’enseignement. Dans le Nord-Atlantique, la mobilisation est active jusqu’au 14 février.

La plateforme de revendications

  1. 35,46 francs pour une journée de 8 heures de travail
  2. Paiement effectif des heures supplémentaires (5,54 francs)
  3. Paiement intégral du salaire à la fin de chaque semaine : pas de retenue
  4. Suppression totale des produits toxiques
  5. La pause à midi de 12h à 13h sur toutes les habitations ainsi qu’un quart d’heure pour le repas du matin
  6. Pas de licenciement injustifié : du travail pour tous
  7. Amélioration des conditions de travail dans les ateliers (tabliers, gants, bottes)
  8. Suppression du travail à la tâche dans l’aubergine et dans l’ananas
  9. Suppression totale des tâches
  10. Respect des droits syndicaux sur l’habitation
  11. Paiement des congés payés exigibles en juillet.
Stèle commémorative de la grève de février 1974 à Basse-Pointe.

Le guet-apens des gendarmes mobiles

Ce jour-là, des gendarmes mobiles dressent une embuscade à un défilé de grévistes sur l’habitation Chalvet à Basse-Pointe. À terre et en hélicoptère, les militaires tirent à balles réelles. Bilan : un mort, Rénor Illmany, ouvrier agricole de 55 ans, et de nombreux blessés graves.

Des négociations commencent dans l’urgence afin d’apaiser la tension. Durant les obsèques de l’ouvrier tué, la foule rassemblée à l’église du Lorrain apprend la découverte du corps d’un jeune homme de 19 ans, Georges Marie-Louise, sur la plage de Chalvet.

La nouvelle se répand comme une traînée de poudre. L’émotion est à son comble. Il s’en faut de peu pour créer un incident, évité grâce aux sang-froid des militants présents à la cérémonie religieuse. L’atmosphère est électrique dans toute la zone et dans la Martinique entière.

Un compromis insatisfaisant pour tous

Le calme finit par revenir. Un protocole d’accord signé le 19 février met fin à la grève. Les ouvriers sont mécontents du compromis trouvé. Le salaire minimum garanti n’est pas acquis. Le patronat est en colère aussi. La coopérative des planteurs Sicabam se dit réticente à augmenter les salaires en raison du risque de faillite de la filière, à ses dires.

Le travail reprend peu à peu dans les exploitations agricoles. La psychose qui s’était emparée du pays entier s’estompe. Les ouvriers paient un lourd tribut du fait de leur mobilisation pour défendre leurs droits.

Cette grève est la dernière réprimée dans le sang en France. Elle est perçue par certains syndicalistes, économistes et sociologues comme un pas franchi vers une mutation de la société martiniquaise. Elle inaugure une dynamique de modernisation des modes de production dans l’agriculture, en confirmant la marginalisation la canne à sucre par la banane.