Quand le 31 mars 2011 Mayotte est devenue département, les Mahorais ont vu l'une de leurs principales revendications aboutir. Et avec le département, des attentes sont nées, notamment l'égalité sociale. Mais 10 ans après, le compte n'y est pas encore.
Le combat de la départementalisation de Mayotte a commencé en 1958 au congrès de Tsoundzou. C'est Georges Nahouda, dit Zama Nahouda (Tonton Nahouda) chef du parti de l'Union pour la défense des intérêts de Mayotte (UDIM) qui a mené les débats et qui a consacré le slogan : "On veut être Français pour être libres".
L'égalité sociale n'a jamais été le motif de notre choix de la départementalisation. La revendication pour l'égalité sociale est plutôt la conséquence de ce choix et non le motif. A l'origine, il n'y avait pas à l'esprit les lallocations familiales, le RSA ou l'allocation spéciale personnes âgées. Le choix de la départementalisation a toujours été une manière d'affirmer la francité de Mayotte et son rattachement à la République française. Bref, le rejet de l'indépendance.
50 ans de combat
Après plus de 50 ans de combat, le statut tant attendu devient une réalité le 31 mars 2011. Mais en réalité, si le statut est là, il faut tout construire. En 2011, les allocations familiales sont embryonnaires, le congé paternité de 11 jours n'existent pas, les salaires horaires bruts sont en deça de ceux en vigueur dans les autres départements. les cotisations pour la retraite ou les allocations familiales sont minimes et les prestations familiales et les minima sociaux sont rares. Or, la devise de la France est "Liberté, égalité, fraternité". Et les Mahorais savent désormais qu'ils disposent d'une base juridique pour demander une réelle égalité des droits avec les autres départements d'Outremer et ceux de l'Hexagone.
On ne doit pas baisser les bras ! L'article 73 de la Constitution nous donne raison. Nous devons naturellement bénéficier de la solidarité nationale et de l'égalité républicaine. Nous sommes sûrs que nos revendications sont légitimes !
Mais l'obtention du département n'a pas fait bénéficier Mayotte de tous ces droits. En effet, il faut un temps d'adaptation pour mettre en place les cotisations nécessaires, les organismes de collecte, ainsi que l'adaptation des textes relatifs aux minimas et prestations sociaux. Et l'application de ces droits se fait au forceps, l'Etat n'étant pas pressé d'accélérer les choses.
Un alignement des droits prévus en 2036
Tableau comparatif des prestations familiales entre Mayotte et l'Hexagone
En 2008, quand le président de la République présente aux élus mahorais le Pacte pour la départementalisation, il est dit clairement que la départementalisation sera "progressive et adaptée". Autrement dit, rien ne viendra d'un seul coup. Ainsi, il est prévu que l'alignement des cotisations salariales et patronales pour le régime général de la sécurité sociale soit effectif en 2036 ! Une date trop éloignée pour les syndicats et la classe politique locale.
Le calendrier de rattrapage ne concerne pas les droits sociaux, ni la retraite, ni les allocations familiales. Où sont les prestations de droit commun auxquelles nous avons droit ? En revanche, quand il faut nous ponctionner la taxe d'habitation ou l'impôt sur le revenu, là le droit commun s'applique !
Si avec la départementalisation, toutes les prestations familiales ont été introduites à Mayotte, leur montant est inférieur à celui de l'Hexagone ou les DOM, sauf pour l'allocation de rentrée scolaire (ARS) et l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH).
Des pensions de retraite riquiqui
En ce qui concerne le plafond de la sécurité sociale, là aussi, il est plus faible à Mayotte que dans l'Hexagone. Pour le calcul de sa retraite, le montant maximal qui sera pris en compte est de 1934 € (en 2020), alors que dans l'Hexagone, pour la même année, le plafond est de 3428 €.
Autrement dit, pour deux salariés qui gagnent 5000 €, celui de Mayotte aura 3066 qui ne seront pas comptabilisés contre seulement 1572 € pour son homologue de l'Hexagone.
Et comme à Mayotte, les cotisations sont plus faibles, les pensions de retraite également. Si vous cotisez à taux plein pendant 33 ans, vous pouvez espérez une retraite de 967 € au maximum à Mayotte, contre 1714 € dans l'Hexagone pour 42 ans de cotisation. Une inégalité flagrante, dûe au fait que Mayotte ne soit rentrée dans le régime général de la sécurité sociale qu'en 2004. Mais aussi parce que les cotisations salariales et patronales augmentent progressivement. A Mayotte, en 2011, le taux global des cotisations patronales était de 17,30 % pour les entreprises de moins de 20 salariés et de 16,01 % pour celles de plus de 20 salariés. Aujourd'hui, ces taux sont de 18,30 % et 16, 93 % alors que dans les autres départements, ils s'élèvent à 28,10 % et 26 %.
D'autres inégalités insupportent les syndicats. Il s'agit de l'absence totale d'application du Code de la sécrurité sociale, du Code de l'action sociale du Code de la famille ou encore des conventions collectives.
Malgré nos demandes, tout cela est resté lettre morte. Mais c'est à l'Etat de faire son travail, poussés par des élus. Nous syndicats n'avons pas le monopole de l'impulsion politique, mais s'il le faut, nous impulserons une volonté populaire, c'est-à-dire, le rapport de force.
Il faut dire que les choses avancent peu dans ces domaines. L'absence de Code de la sécurité sociale empêche l'application du congé paternité de 11 jours à Mayotte. Les pères mahorais ne bénéficient que de 3 jours de congés pour la naissance de leur enfant. Un congé qui est très loin de celui de 28 jours proposé pour le reste du pays par le président Emmanuel Macron. Il en est de même pour la retraite complémentaire, alors qu'elle était prévue en 2011. Et pour les conventions collectives, là aussi peu d'avancées.
Il n'y a pas de grilles de salaires dans les entreprises, vu que les conventions collectives n'y s'appliquent pas. il faudrait donc qu'il y ait des négociations au sein de chaque entreprise. Et en cas d'accord, chacun ferait ce qu'il veut, il n'y aurait pas un texte applicable pour une branche.
Une implication de tous souhaitée pour une égalité sociale réelle
Là aussi, l'action de l'Etat et notamment la direction générale du travail est mise en cause. Salim Nahouda lui reproche de rejetter la discussion sur ces questions aux calendes grecques.
D'autres personnes aussi insistent sur la mauvaise volonté de l'Etat de voir aboutir l'alignement des minima et prestations sociaux.
A chaque fois, l'Etat nous sort l'argument de l'appel d'air pour ne pas développer Mayotte. Les minima sociaux, c'est une question d'équité, de justice et d'attractivité. Avec les minima sociaux à Mayotte, on retient les Mahorais chez eux, au lieu qu'ils aillent à La Réunion ou en métropole. On doit en finir avec cet argument de l'appel d'air, c'est insupportable !
Certains reprochent aux aux élus de ne pas s'emparer du sujet. Les parlementaires sont visés et sont accusés de ne pas peser pour changer le cours des choses. D'autres appellent à ce que chacun prenne ses responsabilités.
Chaque année à l'occasion du vote de la loi de finances et du budget de la sécurité sociale, les possibilités de glisser des amendements sont restreintes et souvent ils sont déclarés irrecevables.
Celui-ci appelle à plus de coopération entre élus, syndicalistes et société civile. Une démarche que souhaite également d'autres élus.
Nous devons faire une réunion pour les droits sociaux à l'image de ce qu'a fait le maire de Mamoudzou pour la sécurité. A nous d'en sortir des propositions et de les soumettre à l'Etat. Je regrette qu'il n'y ait pas de dialogue entre l'Etat et les partenaires sociaux.
Le Medef aussi est partant pour des discussions entre partenaires sociaux, la classe politique et l'Etat. Mais toute mesure envisagée doit faire l'objet d'une étude d'impact.
Nous ne sommes pas contre un alignement plus rapide. Mais il faut une étude d’impact au préalable. Lorsque le Code du travail de droit commun est entré en vigueur, on est passé aux 35 h. Le résultat, c’est que le salaire net des salariés a baissé.
Le département, un bon choix malgré tout
La compensation réalisée par l’État dans l’Hexagone ne s’est pas faite à Mayotte. Un manque d’investissement de l’État dénoncé par tous et en premier lieu la Cour des comptes. Dans un rapport sur la départementalisation en 2016, celle-ci notait que l’effort budgétaire par habitant à Mayotte (3964 €) était le plus faible des 5 départements d’Outremer (plus de 5000 € pour les autres). Depuis, les efforts se sont poursuivis, mais les Mahorais ne sont pas encore totalement satisfaits.
Néanmoins, ils sont persuadés avoir fait le bon choix avec la départementalisation. Avec ce statut, ils sont certains que l'ancrage au sein de la République française est définitif ; bien que l'Algérie ait montré que des départements pouvaient devenir un pays indépendant. Mais ils savent que l'égalité sociale ne leur sera pas donnée. Il faudra l'arracher. La Réunion, la Guadeloupe, la Guyane et la Martinique n'ont achevé l'égalité sociale qu'au bout d'un combat de 50 années. Les Mahorais ne veulent pas en arriver là.
Certains syndicats sont prêts à descendre dans la rue dès que l'épidémie de Covid-19 sera jugulée. Et le député Mansour Kamardine espère un alignement total des Codes de la sécurité sociale, de la famille et de la santé au 1er janvier 2025, soit 11 ans avant celle prévue initialement pour 2036.
Un coup d'accélérateur pour la restauration scolaire et les crèches
Depuis 2011 et surtout 2018, les prestations familiales à Mayotte sont presque toutes mises en place. Dans le tableau comparatif disponible plus haut, on remarque tout de même qu'à de rares exceptions, les montants sont bien en deça à Mayotte.
En ce ce qui concerne la restauration scolaire, les enfants mahorais ont droit à la prestation d'aide à la restauration scolaire (PARS) depuis 2005. A Mayotte, cela concerne tous les établissements scolaires, contrairement aux autres DOM et tous les élèves dont les parents ont payé leur participation.
La CSSM a également mis en place la prestation de service unique (PSU) destinée à favoriser le mode de garde des enfants en crèche.
Suite aux demandes récurrentes et appuyées du Conseil de la CSSM, dont le président est Salim Nahouda, le Directeur Général de la CNAF, Vincent Mazauric, a confirmé lors de sa visite à Mayotte en 2019, l’extension progressive de la PSU à Mayotte.
En effet, jusqu’à la fin 2018, le financement des EAJE reposait principalement sur les familles, dont la participation n’était pas déductible de la subvention que la CSSM versait aux crèches. Avec un taux de participation familiale horaire moyen de 2,25 €/h en 2017, nécessaire à l’équilibre économique des opérateurs, ce mode de garde était inaccessible à la grande majorité des familles mahoraises.
Ainsi, avant la réforme, une place en crèche coûtait entre 400 et 500 € par mois à une famille (quel que soit son niveau de revenu) + 50 à 200 € de frais d’adhésion annuelle selon la crèche. Depuis le 1er janvier 2019, une famille monoparentale avec 3 enfants et 1 200 € de revenus mensuels paie 57,60 € par mois pour une place dans une micro-crèche pour un besoin de 8 heures par jour, 20 jours dans le mois et une adhésion/frais de dossier limité à 50€ par famille.
Depuis 2020, les fonds nationaux (PSU et bonus nationaux « territoire », « inclusion handicap » et « mixité sociale ») permettent donc le financement des Etablissements d’Accueil du Jeune Enfant (EAJE) à Mayotte. En complément, la CSSM verse sur fonds locaux des « bonus locaux » afin de s’assurer de la bonne santé financière des crèches.
Cette réforme importante devrait permettre le développement du nombre de places de crèches sur le territoire. Pour rappel Mayotte est le territoire français qui connait la plus forte progression démographique. On dénombre 41 675 enfants de 0 à 4 ans pour une population totale de 256 518 habitants soit 16,2% de la population totale (données INSEE), alors qu’en parallèle, il est celui qui est le moins bien équipé en structures d’accueil collectif puisque, à ce jour, le nombre de places en crèche s’élève à 273.