Immigration clandestine : la France prise au piège à Moroni

La diplomatie française est en panne à Moroni.  Les autorités comoriennes refusent toujours d’accepter les reconduites à la frontière de leurs ressortissants sans-papiers interpellés sur l’île de Mayotte. Les expulsions, habituellement quotidiennes, sont interrompues depuis trois mois.
 

La sanction mise en œuvre par Paris de ne plus délivrer de  visas français aux citoyens comoriens n’a eu aucun effet.  Une bonne partie des comoriens se rendant en France possède déjà un passeport français, ou un visa de circulation à longue durée. Les autres ont la possibilité d’obtenir des visas « Schengen » dans les consulats européens des pays de la région, à Madagascar ou en Tanzanie.
Il avait été question d’une méthode plus contraignante : des sanctions économiques ciblées comme le gel des avoirs des responsables politiques, ou le blocage des transferts financiers. Mais Paris peut difficilement user de cette arme car elle est à double tranchant. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le Président Azali, tout en entravant la politique de lutte contre l’immigration clandestine à Mayotte, reste le meilleur allié de la France. Aucun autre dirigeant dans le paysage politique comorien n’a les faveurs de Paris ; surtout pas le principal opposant : le très nationaliste et charismatique ancien président Ahmed Abdallah Sambi.
Le refus des reconduites à la frontière depuis Mayotte est une mesure populaire aux Comores. Cette décision d’Azali emporte l’adhésion d’une population nourrie depuis toujours par le slogan «Mayotte est comorienne et le restera à jamais», fièrement affiché au centre de Moroni.


Une revendication de Mayotte comorienne « pour la galerie »

Le Président Azali Assoumani, aux prises avec une opinion hostile à sa réforme constitutionnelle, ne serait pas pardonné s’il cédait sur les reconduites à la frontière, et la France ne veut surtout pas d’une déstabilisation de son régime.

Certes chaque année à la tribune de l’assemblée générale des Nations Unies, le Président Azali n’a jamais manqué de marteler que « Mayotte est comorienne ». Mais c’est pour la galerie. De tous les chefs d’Etat qui se sont succédé à la tête des Comores, Azali Assoumani est le seul sur lequel la France a toujours pu compter pour accepter tacitement l’inlassable chasse aux sans-papiers menée à Mayotte. Depuis dix ans, ces expulsions s’opéraient à un rythme soutenu: en moyenne 70 à 80 personnes par jour. Combien entrent clandestinement ? Il est difficile de le savoir, mais ces reconduites massives – 20 000 par an, plus de la moitié du total national de la France – permettaient de conserver un semblant d’équilibre démographique dans le 101ème département français. Aujourd’hui Mayotte voit arriver tous les jours des « kwassas » chargés de passagers. Faute de les expulser, les policiers et gendarmes ne peuvent que les répertorier. Ils leur remettent  des « ordres de quitter le territoire français » qui restent lettre morte.

La lutte contre l’immigration est plus coûteuse que l’aide au développement

Cette chasse aux clandestins coûte plusieurs dizaines de milliers d’euros par an, « moins de 100 millions sans doute mais plusieurs dizaines c’est sûr», reconnaît le préfet de Mayotte Dominique Sorain. «Ne rien faire coûterait encore plus cher à la collectivité en termes d’équipements scolaires et de santé » ajoute Julien Kerdoncuf le nouveau sous-préfet délégué à la lutte contre l’immigration clandestine. Ce coût va s’aggraver avec l’arrivée de nouveaux bateaux garde-côtes. Il est en tout cas supérieur au budget consacré à l’aide française au développement des Comores : 125 millions d’euros pour cinq ans.
La coopération, présentée comme un des meilleurs moyens de lutter contre l’immigration reste à l’état embryonnaire. Les idées ne se bousculent pas au guichet, malgré les appels à projets lancés par l’Etat.
La crise politique comorienne risque d’accentuer les départs vers Mayotte. La répression sévère des manifestations dans l’île voisine d’Anjouan pourrait même pousser à l’exil des comoriens en mesure de prétendre au droit d’asile en tant que réfugiés, s’il était prouvé qu’ils sont pourchassés dans leur pays.
La France se retrouve donc dans une impasse.
 Il y a une trentaine d’années, l’ex-puissance coloniale disposait d’une solution toute faite à chaque fois qu’une crise se profilait aux Comores. Cette solution était  honteuse, jamais assumée,  mais maintes fois mise en œuvre… Elle s’appelait Bob Denard. Cette époque est  fort heureusement révolue.