Pénurie d'œufs : la filière avicole à l'arrêt depuis Chido

Des milliers de poules ont été décimées par Chido
En cette période de Ramadan, un aliment essentiel manque à l'appel ; les œufs. Leur absence se fait fortement ressentir mais les consommateurs vont devoir s'habituer puisqu'un retour à la normal n'est pas prévu avant plusieurs mois.

À l’entrée du Sodifram de Kawéni, la frustration est palpable. Après les pénuries d’eau, de fruits, de légumes... c'est au tour des œufs de disparaître peu à peu des étals.

"Dans presque tous les magasins, on ne trouve pas d’œufs et dès qu’il y en a, tout le monde se bagarre", témoigne une cliente. Une autre ajoute, "les œufs sont presque utilisés dans tous nos plats, surtout pendant le Ramadan. Que ce soit pour faire les beignets ou les gâteaux, donc oui, c’est devenu une denrée très rare à trouver actuellement."

Si les consommateurs peinent à comprendre ce manque, la faute revient en grande partie au cyclone Chido qui a fortement affecté la filière locale. 

Chamassi Assani n'a plus que 200 poules dans son élevage, contre 4000 auparavant

Une filière en difficulté depuis longtemps

Contrairement à l'hexagone, la production d’œufs à Mayotte repose sur une chaîne logistique complexe et coûteuse. La mortalité des poules pondeuses est élevée, l’alimentation des volailles est onéreuse et les coûts d’installation des bâtiments sont élevés. Sans oublier la dépendance à l’importation des poussins, qui ne peuvent arriver sur l’île que par Air Austral - seule compagnie qui accepte leur transport.

Mais le point culminant a été atteint au passage Chido. Ahmada Madani, président de la coopérative Maleziya Kouhou, explique que 13 600 poussins avaient été importés en septembre 2024. "Après quatre mois d’élevage, les poussins devenus poules auraient dû commencer à pondre, mais Chido a emporté toutes les poules. Donc on a tout perdu ! On attend des aides, car sans elles, on va disparaître."

Des élevages décimés et une production à l’arrêt

À Ouangani, Chamassi Assani, président de la coopérative "Avy Œuf", fait face à la même situation. Avant le passage du cyclone, son exploitation comptait 4 000 poules. Aujourd’hui, il lui en reste à peine 200 à 300.

"J’ai sauvé ce qu’il restait, mais il y avait des poules mortes partout juste après Chido… Certaines ont été volées, d’autres tuées par les chiens errants. J’ai réussi à en préserver quelques-unes pour ma famille, mais c’est compliqué", explique-t-il.

Depuis trois mois, mon exploitation est à l’arrêt. J’ai perdu près de 300 000 euros

Chamassi Assani

éleveur de poules pondeuses à Ouangani

Avec cette poignée de survivantes, l’éleveur ne produit plus que 150 œufs par jour, une quantité dérisoire comparée aux 15 000 œufs quotidiens qui transitaient autrefois par la coopérative de Coconi.

"Depuis trois mois, mon exploitation est à l’arrêt. J’ai perdu près de 300 000 euros", confie Chamassi Assani.

Chamassi Assani a perdu tout son enclos au passage de Chido

Plusieurs mois avant un retour à la normale

Pour retrouver des œufs mahorais en rayon, il faudra attendre. Une fois les aides débloquées, encore faut-il importer de nouveaux poussins, les élever pendant cinq mois avant qu’ils ne commencent à pondre. Mais le processus est ralenti par les étapes administratives.

"Après Chido, on pensait que les démarches pour obtenir des aides seraient simplifiées, mais on se retrouve avec de gros dossiers à monter et des mois d’attente", déplore Chamassi Assani.

Et si l’importation depuis La Réunion pouvait sembler une solution temporaire, elle s’avère compliquée. Ayant elle-même été frappée par un cyclone, la Réunion garde ses faibles stocks d’œufs pour la consommation de ses habitants.

"On va subir cette pénurie pendant encore au moins six mois. Même si l’on importe des poussins dès maintenant, il faudra attendre plusieurs mois avant qu’ils ne deviennent productifs", explique l’éleveur.

L'importation ou rien ?

Face à cette situation, beaucoup espèrent le développement de l'importation d’œufs depuis l'hexagone. Mais là encore, des obstacles sont à prendre en compte. Il faudrait non seulement trouver des fournisseurs capables de livrer de grandes quantités, mais aussi convaincre Air Austral, la seule compagnie apte à les transporter.

"Ce n’est pas une solution viable. Air Austral perdrait de l’argent en important des œufs. En plus, en métropole aussi, il y a des difficultés pour trier les poussins et assurer un approvisionnement constant", souligne Chamassi Assani.

Avant le cyclone Chido, la production locale couvrait une partie des besoins de Mayotte, mais cette autosuffisance partielle semble aujourd’hui compromise. Sans aides rapides et un soutien logistique conséquent, les éleveurs peinent à se relever.

 

D’habitude, on traite15 000 œufs par jour. Aujourd’hui, il n’y a plus rien

Chamassi Assani

éleveur de poules pondeuses

Chamassi Assani, éleveur de poules pondeuses

À la coopérative de Coconi, où les œufs étaient calibrés, datés et emballés avant d’être distribués à travers l’île, tout est à l’arrêt. "D’habitude, on traite 15 000 œufs par jour. Aujourd’hui, il n’y a plus rien".

En attendant, les consommateurs vont devoir s’adapter à cette pénurie, qui risque de durer bien au-delà du Ramadan.