Ce mardi 1er juin , le préfet de Mayotte a rendu au ministre des Outre-mer les propositions issues des forums citoyens et institutionnels sur le projet de loi programme pour Mayotte. Dans une tribune , le député Mansour Kamardine expose les orientations qu'il estime prioritaires pour Mayotte.
Loi de programme pour Mayotte :
Nos propositions sont sur la table
L’idée d’une loi de programme pour Mayotte est née de la créativité de l’esprit mahorais avec les 101 propositions du collectif de 2018, relayée par mes soins en 2019 à l’Assemblée Nationale, puis soutenue par nos parlementaires, les présidents du conseil départemental et de l’association des maires de Mayotte, lors des échanges avec le gouvernement de décembre 2020. Au nom de la cohérence, j’ai, sans réserve, adhéré à l’initiative du gouvernement de proposer une co-construction d’un projet de loi de programme, ce qui a conduit le préfet à sillonner le territoire à la récolte des propositions issues du terrain et des acteurs locaux. Au moment où ce périple est arrivé à son terme et où le représentant du gouvernement s’apprête à faire remonter ses synthèses au ministre des Outre-mer, je viens rappeler, dans une tribune, quelles sont nos attentes et nos espoirs.
La loi programme : une demande des mahorais issue de la crise de 2018
La 101ème et dernière proposition de la « plateforme d’union des revendications pour la sécurité et le développement de Mayotte » du 28 mars 2018 demandait explicitement l’adoption d’une loi de programme pour Mayotte. Elle était conçue, par le collectif des citoyens et les syndicats, comme le véhicule législatif qui reprendrait les 100 revendications qui avaient été formalisées lors de la crise du printemps 2018. En 2018, le gouvernement n’a pas donné suite à la demande de la société civile et des syndicats.
J’avais dès lors, moi-même, élaboré une proposition de loi de programme que j’ai défendu à l’Assemblée Nationale en juin 2019. Elle reprenait les propositions unanimes des élus, des syndicats, des structures consulaires et de la société civile de 2018. Elle était construite autour de 4 axes : l’accélération de l’égalité sociale pleine et entière, la programmation financière des grandes infrastructures nécessaires au développement de Mayotte et l’accès des mahorais aux services publics de base, l’appui aux collectivités territoriales mahoraises et enfin la préservation de l’environnement. Le gouvernement s’opposa à son adoption. En décembre 2020, en réponse aux sollicitations du gouvernement concernant la préparation du projet de loi de décentralisation dit « 4D », les parlementaires et les présidents du Conseil départemental et de l’Association des maires de Mayotte ont soutenu l’idée d’une loi de programme spécifique pour Mayotte.
En 2021, finalement, le gouvernement décide de répondre favorablement à l’adoption d’une loi programme pour Mayotte. Je m’en félicite ! J’y mets néanmoins 2 conditions : 1ère que les priorités arrêtées dans la loi programme soient les priorités des Mahorais et non celles de l’Etat qui, depuis 40 ans, nous dicte, sans grand succès, ce qui est bon pour les habitants de Mayotte ; 2ème que la loi programme ne soit pas l’occasion d’un tripatouillage institutionnel.
Une occasion pour contraindre l’Etat à respecter ses engagements
Si l’agenda du gouvernement suscite à juste titre des interrogations, nous, mahorais, devons saisir cette occasion pour transformer l’essai et obtenir de l’Etat, par la loi, qu’il tienne ses engagements, car une loi programme s’impose à tous, y compris à l’Etat, contrairement au plan du gouvernement de 2018.
Nous tirons cette affirmation de la loi programme de 1989. Elle a permis de sortir Mayotte du tiers-monde et de clairement différentier Mayotte des îles de notre environnement régional, en donnant l’accès à l’eau courante à tous les villages, en donnant l’accès à l’électricité à tous les villages, en permettant à l’aéroport d’accueillir des avions moyens courriers et en construisant le port en eau profonde de Longoni. Si nous arrivions à obtenir le même saut quantitatif et qualitatif avec une nouvelle loi programme, alors la départementalisation inachevée de 2011 - car non accompagnée, ni de sa jambe régionale, ni d’un plan de mise à niveau des infrastructures - se transformerait en une départementalisation de droit commun, avec un très important potentiel de développement économique et social. Le Parlement est prêt à nous accompagner dans cette voie, comme en atteste l’appel de 60 députés issus de 8 des 9 groupes politiques de l’Assemblée Nationale à parachever la départementalisation de Mayotte lancé à l’occasion du 10ème anniversaire de la départementalisation.
L’égalité sociale par voie d’ordonnance d’ici la fin 2021 pour en accélérer l’agenda
L’extrême urgence est l’égalité sociale. C’est pourquoi je propose, d’une part, de traiter l’ensemble du volet égalité sociale par voie d’ordonnance, d’ici la fin de l’année 2021, en le sortant de la loi programme, afin d’en accélérer la mise en œuvre. Je propose, d’autre part, d’intégrer un volet " préservation de l'environnement" et un volet "développement et rayonnement culturel régional" dans le projet de loi programme.
En ce qui concerne l’ouverture des droits sociaux et l’alignement des prestations, je propose que le gouvernement légifère par ordonnance, en premier lieu, en s’appuyant sur l’habilitation législative prévue à l’article 108 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2021, texte qui doit être publié avant le 14 décembre 2021. En second lieu, je propose que les dispositions qui ne pourront être intégrées, pour des raisons de droit législatif, dans l’ordonnance « politique familiale » le soient dans le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022. A mon sens, l’alignement du SMIC, du RSA et du minimum retraite sur ceux de Métropole doit être effectif dès le 1er janvier 2022 et l’autorisation de légiférer par ordonnance acquise dès 2021, pour un objectif d’une égalité sociale pleine et entière en 4 ans maximum, au lieu des 15 ans actuellement prévus.
L’adaptation législative en matière migratoire et de sécurité est incontournable
La maîtrise des frontières et la lutte contre l’insécurité sont essentielles au parachèvement de la départementalisation de Mayotte. En effet, nous ne réussirons pas à mettre à niveau et à développer de façon harmonieuse et durable notre magnifique Région si nous ne parvenons pas à maîtriser la croissance démographique générée par l’afflux migratoire et la naissance quotidienne de l’équivalent d’une classe d’école, issue à 75% de l’immigration. Il en va de même en ce qui concerne l’insécurité galopante et barbare qui s’attaque à toutes les familles mahoraises et nous enfermant dans une prison à ciel ouvert, celle de la peur. Pour nous libérer de la pression démographique et de l’insécurité, l’Etat doit assumer ses responsabilités régaliennes, en musclant ses outils de lutte contre l’immigration clandestine, ses moyens humains, techniques et matériels de police, mais également sa diplomatie régionale. Compte-tenu de l’exceptionnelle pression que subit Mayotte en matière migratoire et ses conséquences sur la sécurité, le droit doit être adapté en matière d’accès à la nationalité, de regroupement familial, d’éloignement, de reconquête des territoires urbains et ruraux perdus. La politique pénale doit, également, être renforcée pour condamner plus fermement les délinquants et ceux qui les aident.
L’égalité des chances pour une jeunesse pleine d’espoir est une exigence absolue
Avec un système scolaire du 1er degré sous-dimensionné comme nulle part ailleurs en France, avec des établissements du 2ème degré aux effectifs pléthoriques, avec des structures de formation professionnelle et d’apprentissage faibles en nombre et en offres, en absence d’une université de plein exercice, l’exigence républicaine d’égalité des chances, si intrinsèque à la France et à sa grandeur, est battue en brèche, jetée à la rivière. Or, notre importante jeunesse est pleine de vitalité et d’espoir, comme en atteste le record national de création d’entreprises (+33%) en 2020 porté, pour le quart, par des jeunes de moins de 30 ans, ce qui fait de Mayotte la région française la plus dynamique en la matière. Pour le territoire, pour les familles et pour les jeunes individuellement, nous devons avoir l’exigence morale d’offrir à chaque jeune une chance de s’épanouir et de construire sa vie. Cela nécessite de développer un plan ambitieux d’accès au savoir vivre en société, notamment à travers la pratique sportive, d’accès à la connaissance et au savoir-faire des métiers, mais également d’accès au numérique. Enfin, l’insertion des jeunes en difficulté mérite que les acteurs publics fassent un effort créatif en imaginant des structures, des accompagnements et des parcours d’insertion d’un nouveau genre.
Si la loi reprend nos priorités alors nous ferons un bond en avant
La concertation engagée par le représentant du gouvernement, durant un mois, a permis, à de nombreux mahorais, d’exprimer leurs exaspérations, de fixer des lignes rouges, de verbaliser leurs priorités, notamment celle de l’urgence de l’égalité sociale et de formuler des dizaines et des dizaines de propositions concrètes. Bref, d’exprimer leur espérance dans la France. La balle est désormais dans le camp du gouvernement. Nous attendons, désormais, sereinement qu’il nous présente début juillet sa copie. Nous l’apprécierons sur pièce. Absence de tripatouillage institutionnel, égalité sociale accélérée par voie d’ordonnance, prise en compte des priorités des Mahorais dans le projet de loi de programme dont les infrastructures de base et planification budgétaire cohérente, alors tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes et Mayotte pourra faire un bond en avant et parachever sa départementalisation.