Il est 6h00 du matin. Devant le portail du 2ème Régiment Parachutiste d’Infanterie de Marine, à la caserne Chef de Bataillon Dupuis, à Saint-Pierre, je patiente. Je ne suis pas spécialement pressé de rejoindre le hangar situé au bord de la piste de de l’aéroport de Pierrefonds qui jouxte la caserne. Là, des parachutistes se préparent à sauter, certains pour la première fois. D’autres doivent valider un de leurs six sauts annuels obligatoires. Six largages sont prévus ce matin, dont le Charlie 3, le mien en tandem, à 4000 mètres d’altitude, au-dessus de l’Étang-Salé.
Un saut à 4000 mètres d'altitude
Le briefing s’est soudainement accéléré pour moi. Les deux premiers Charlie, les deux premiers largages, ne se feront pas. Le vent au sol a été mesuré au-delà des 3 m/s (mètres par seconde) autorisés pour des néophytes. Le Casa de la BA 181 est revenu plein de ses prétendants au brevet parachutiste. Pour cela, ils doivent valider, durant un stage de 15 jours, six sauts en ouverture automatique à 400 mètres d’altitude.
Un pilote de tandem chevronné
C’est donc à une altitude dix fois plus haute que nous allons chuter. Je vais sauter en tandem avec l’adjudant Cédric, l’officier troupes aéroportées au sein du 2ème RPIMa. Avec 3000 sauts à son actif et une partie de sa carrière effectuée au sein du prestigieux Groupement Commando Parachutiste (GCP), une des composantes du Commandement des Opérations Spéciales (COS), je suis entre de bonnes mains.
Je serai relié à son équipement grâce à un harnais et quatre points de fixation, au niveau des omoplates et des hanches pour moi. Chaque boucle de métal peut supporter 2,5 tonnes. De quoi partir en confiance.
Les règles sont données au sol. Pour accéder à la rampe du Casa, il me faudra fléchir les jambes pour que l’adjudant ait une vue dégagée, car nous avons sensiblement la même stature. Mes mains devront tenir le harnais à hauteur de ma poitrine au début du saut, mes jambes repliées en arrière, jusqu’à toucher son fessier avec mes talons.
Et pour l’atterrissage, il faut que je mette mes mains sous mes genoux les remonter au maximum, jusqu’à ma poitrine.
Connaissant ma souplesse similaire à celle d'un manche à balai lors de mes trop rares séances de yoga, je crains de ne pouvoir tout réaliser à la perfection.
Des conditions météorologiques compliquées
L’avion, moteurs tournants, nous attend. Nous nous installons sur les banquettes à peine confortables et attachons nos ceintures. L’appareil s’aligne piste 15, face à Saint-Pierre, puis décolle. Pendant la montée, l’adjudant Cédric et le major Bruno, plus de 10500 sauts à son actif, donnent les dernières recommandations aux chuteurs qui effectuent leur saut à ouverture retardée, O.R. dans le jargon. SI le vent est mesuré à 6 m/s au sol, il dépasse les 11 m/s à 1500 mètres d’altitude. Ils ne devront pas se faire surprendre à l’approche de "Samwest", le nom donné à la zone de saut dans la forêt de l’Étang-Salé.
La rampe arrière qui s'était abaissée pour nous faire rentrer, s’ouvre à nouveau, mais cette fois-ci à près de 4000 mètres d’altitude.
En raison des conditions météo difficiles, il y aura deux passages. Nous serons sur le second.
Un saut en Gaine Pour Charge Lourde
La lumière rouge s’éteint, la verte s’allume. La sonnerie retentit. Le premier à s’élancer se trouve allongé sur une grosse PeliCase, ces valises particulièrement renforcées destinées notamment à transporter du matériel sensible. Sur celle-ci un autocollant indique qu’elle a une masse de 101 kilos. Aidé par l’adjudant et le major, la caisse sur roues est poussée avec son parachutiste hors de l’avion. Il est nécessaire d'avoir une qualification particulière appelée gaine pour charge lourde, ou CL13. Puis suivent les autres chuteurs.
L'avion engage ensuite un demi-tour pour se repositionner. L'adjudant me fait signe de me lever. Il s’accroche à moi et resserre toutes les sangles qui nous unissent. Nous nous avançons vers la rampe. Nous serons les avant-derniers à sauter pour ce passage.
La chute
La vue qui défile sous nos pieds est à la fois magnifique et effrayante. Heureusement, le casque du major est équipé d’une caméra. Notre saut s’effectuera en regardant l’avion partir, dos à l'immense vide, lui nous filmant.
En une fraction de seconde nous sommes en chute libre. Je reste concentré sur les recommandations données au briefing. Je garde les coudes serrés le long du corps, les mains à hauteur de la poitrine. Mes jambes sont rabattues vers l’arrière. Le vent fouette le visage et les lunettes sont indispensables. L'adjudant essaie de communiquer avec moi par geste mais je reste concentré. C'est à la vue du major qui me fait un signe que je réalise que nous sommes toujours filmés.
Une précédente expérience
Je savoure le moment que je n’avais pas réussi à trouver auparavant. Alors jeune étudiant, avant d’être parmi les derniers à effectuer le service national, je m’étais essayé au parachutisme au Para Club de Bourbon. À l’époque, Loïc Jean-Albert était parmi les meilleurs du monde et atterrissait directement sur l’aire gazonnée devant le hangar, en savate deux doigts. Moi je sautais à 1500 mètres en ouverture automatique. C’est une sangle reliée à l’avion qui délivrait le parachute de son sac. A dire vrai, trois sauts plus tard, je me rendais à l’évidence : le parachutisme n’est pas fait pour moi.
La Réunion vue d'en haut
Quelques rotations à droite et à gauche, et voilà que la voile s’ouvre. Le temps s’arrête, un instant. Je profite du paysage à 360 degrés. Mes yeux dévorent La Réunion, du Piton de la Fournaise tout au loin au Piton des Neiges, en passant par les crètes qui montent au Dimitile. Sous nos pieds, la quatre voies, où les véhicules défilent allant vers Saint-Pierre ou vers la route des Tamarins.
Un posé tout en douceur
Mais bientôt le sol se rapproche. À 500 mètres d’altitude, je répète une dernière fois la procédure d’atterrissage. Je prends mes genoux et essaie de les remonter vers ma poitrine. La rondeur de mon adbo me fait dire que je devrais faire du sport. Il n'est plus temps de tergiverser. Après un dernier virage face à Saint-Pierre, nous nous posons tout en douceur. Un sourire en tranche papaye s’affiche sur mon visage.
Des parachutistes d'exception
Ces pilotes en tandem ne sont pas légion. Avant de pouvoir postuler, le sauteur doit compter au minimum 700 sauts et être soit en opérations, soit moniteur. Vient ensuite une sélection drastique de 20 sauts. Le moindre saut raté est éliminatoire. Car le but du saut tandem est de pouvoir amener en opération des personnes éloignées du parachutisme, comme un maître-chiens et son animal, un médecin, ou un spécialiste du renseignement. Contrairement aux parachutes classiques destinés surtout à ralentir, leur voile leur permet de parcourir parfois jusqu’à une trentaine de kilomètres.
L'Archange Michel comme saint patron des parachutistes
La fête de la saint Michel, le 29 septembre, est la fête du saint patron des parachutistes. À cette occasion, des sauts sont organisés pour que, dans la mesure du possible, tous les militaires brevetés puissent sauter durant les mois qui entourent cette date. Les pilotes de tandem, eux, doivent effectuer dans l’année au moins 60 sauts, dont 25 en tandem. Des sauts qui sont proposés soit par tirage au sort à des personnes désireuses d’en faire, soit à l’invitation du régiment. Une invitation que je n’ai pas refusée.