Après la pandémie, la guerre en Ukraine secoue les Outre-mer et les filières des matières premières

Stockage du sucre dans un entrepôt.
S’il n’y a pas de pénurie généralisée, le livre-choc CyclOpe 2022 constate partout une forte hausse des prix. Après la pandémie, c’est désormais la guerre en Ukraine qui propulse les cours des matières premières vers de nouveaux sommets. Flambée du gaz, des matières premières agricoles, du fret maritime, les Outre-mer n'échappent pas au choc des tensions sur les prix.

Le Cyclope 2022, ouvrage de référence sur l’évolution des cours, a été présenté ce 8 juin à la presse. Le livre explique les raisons de l’emballement qui déstabilise la logistique mondiale.

Seule la Nouvelle-Calédonie tire un peu son épingle du jeu. Elle est le cinquième producteur mondial de nickel, le métal des batteries électriques.

La "Bible" des matières premières

Depuis 1987, chaque édition du rapport CyclOpe sur les marchés de matières premières porte un sous-titre littéraire. Pour l’édition 2022, il a fait l’unanimité. Les 65 auteurs ont choisi : "le Monde d’hier" de l'écrivain autrichien Stephan Zweig, dont les mémoires chroniquaient la fin d'une époque;

Pour Philippe Chalmin, professeur d’histoire économique à Paris Dauphine et codirecteur de l’ouvrage, la pandémie et la guerre en Ukraine marquent symboliquement une rupture aussi profonde que la crise des années 1970 ou des années 1930. "Nous sommes en train de vivre une crise majeure qui met fin aux autres trente glorieuses commencées en 1990 avec la fin du bloc soviétique. Nous avons cru en la fin de l’Histoire et nous nous sommes trompés".

CyclOpe, revient sur les grands évènements de l’année 2021 et se termine en avril 2022, avec cette prophétie: la guerre en Ukraine ne sera "ni courte ni joyeuse".

Cette guerre a propulsé les prix du pétrole et du gaz, y compris dans les régions françaises d’Outre-mer, "même si tout avait déjà commencé avec la pandémie", comme le rappelle Philippe Chalmin. Finalement, seule la flambée des cours du nickel est une bonne chose pour la Nouvelle-Calédonie.

Crise des matières premières : flambée des prix et conséquences dans les Outre-mer. Interview de Philippe Chalmin, codirecteur du CyclOpe 2022.

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Cette crise est unique, rappelle l’expert français des matières premières, "avec la  première grande guerre européenne depuis 1945. Les marchés des matières premières sont la face émergée des tensions économiques et géopolitiques de la planète".

4 crises se cumulent en même temps

Quatre crises se sont additionnées : crise logistique tout d’abord, celle du fret maritime, des conteneurs, crise qui pèse sur les économies insulaires françaises. "Aujourd’hui, en juin 2022, il vous en coute entre 8000 dollars et 10000 dollars pour transporter une grosse boîte (un conteneur), les chaînes de valeur mondiales sont fragilisées avec notamment les engorgements portuaires.  "La Chine est l’épicentre de ces phénomènes", précise l’économiste.

Crise énergétique ensuite, avec un choc gazier qui a mis le feu à des économies fragilisées.

Crise climatique cruelle; la pandémie et la guerre nous font prendre du retard par rapport à nos engagements pour la planète.

Crise agricole aussi, "même si nous n’avons pas eu d’accidents climatiques majeurs en 2021". Cette crise est liée à l’émergence de la Chine comme premier importateur mondial de grains. Ainsi, en 2021, le pays a importé 100 millions de tonnes de graines de soja pour nourrir des millions de porcs et de poulets. Et aux Etats-Unis, leur prix a doublé en quelques mois.

Mais, la crise ukrainienne en a rajouté. Les prix du blé ont augmenté d’une bonne centaine de dollars la tonne. Et l’Espagne, qui importait son blé d’Ukraine et n’en reçoit plus, a commencé à abattre son cheptel de porcelets.

Le prix des palettes en bois flambe

L’Ukraine était le premier fournisseur d’œufs du grand marché européen, mais aussi de palettes en bois pour les livraisons dans les supermarchés. Le prix de ces palettes est passé de 9 à 30 euros, parce que c’est du bois ukrainien et qu'il ne peut plus être exporté. "Ne brulez pas les palettes en bois, elles sont précieuses, notamment dans les zones portuaires et commerciales des Outre-mer », conseille Philippe Chalmin.

Enfin, une crise plus globale. Elle concerne l’ensemble des matières premières industrielles : le bois, l’acier, et le nickel qui a grimpé à 100.000 dollars la tonne et qui côte aujourd’hui près de 30.000 dollars : "Et pour une fois, dans cette crise mondiale, ce n’est pas si mal, cela permet à nos amis calédoniens de couvrir largement leurs coûts de production", estime l’expert. 

Et puis, "la prochaine production australienne de blé devrait être excellente et les cours devraient baisser", constate un intervenant du cercle CyclOpe, ce qui pourrait profiter, une fois le blé transformé en farine, aux régions françaises du Pacifique-Sud.

Matières à penser

De l’ananas au zirconium, en passant par la banane et le nickel, les marchés des matières premières racontent toujours des histoires différentes", poursuit Yves Jegourel, universitaire lui aussi et coauteur du livre CyclOpe 2022 : "La Chine s’affirme sur l’ensemble de la chaine de valeurs, et notamment dans la fixation des prix".  

Et Philippe Chalmin de conclure : "La Russie c’est un "émirat" qui exporte des matières premières et des armes". Le blé et le nickel russes sont indispensables aux exportations du pays mais aussi à nos économies. Pour le blé, il n’y a pas de risque réel de pénurie mondiale, mais la guerre en Ukraine marque une nouvelle étape de la flambée des prix sur les marchés. Les Outre-mer la ressente déjà.

CyclOpe 2022 : "Le Monde d'hier", 722 pages, 139 euros, éditions Economica