Covid-19 : le récit d’un Calédonien confiné à Shanghai

La zone de test PCR mise en place par les autorités pour la résidence de Guillaume.
Depuis le 1er avril, Guillaume Thao Vikham est strictement confiné dans son appartement de Shanghai. La ville la plus peuplée de Chine, plus de 25 millions d'habitants, s'efforce d'endiguer sa pire flambée de Covid en alternant la mise sous cloche de sa partie Est et sa partie Ouest. Dans un journal de bord, le Calédonien raconte l'isolement, les tests successifs, l'accès compliqué à la nourriture, l'attente.

"Toute la ville est silencieuse", écrivait Guillaume, le dimanche 3 avril. "On entend les oiseaux toute la journée. Le ciel est bleu et l’air, pur. Cela n’arrive qu’occasionnellement dans l’année, lorsque les usines ferment. Aujourd’hui, ce n’est pas [seulement] les usines, qui sont fermées, mais plus de 25 millions de personnes restreintes à domicile. Les rues sont désertes puisque seuls les livreurs avec des dérogations ou des employés des services d’aides (pompiers, médecins, infirmiers) ont le droit de circuler."

Ambiance de sa propre rue :

La rue de Guillaume, Calédonien à Shanghai. ©G.V.

Enfants et adultes peuvent être séparés

On est loin des confinements à la Calédonienne. "Ici pas d’attestation pour aller faire les courses, ou d’autorisation pour aller en balade une heure, dans un rayon d’un kilomètre. La seule règle est de rester chez soi, point barre. Shanghai a érigé des centres d’isolement où l’on emmène les gens qui sont positifs aux tests, asymptomatiques ou non. Le but est de stopper l’épidémie à tout prix. On sépare les familles, enfants, adultes, peu importe", souligne-t-il. "Cela inquiète beaucoup les gens. Toutes ces mesures sont-elles nécessaires ? [Mais] cela a fonctionné à Shenzhen, Xiamen et d’autres villes où il y a eu des clusters. »

"La communauté étrangère s’inquiète de plus en plus (…) Des règles strictes sont appliqués en cas de personnes positives dans votre localisation, et suivant le niveau de proximité" :

  • si cas dans l’immeuble, quatorze jours de plus en lockdown à la maison.
  • si cas dans votre bloc d’immeubles, sept jours de lockdown + sept jours de 
quarantaine à la maison
  • si cas dans votre quartier, sept jours de quarantaine à la maison. 


File d’attente pour le test PCR du 4 avril, regroupé par étages.

Bâtiments fermés par cadenas

"La grosse difficulté", souligne Guillaume, "est qu’il y a très peu de livraisons possibles pour l’approvisionnement en nourriture. De plus, tous les bâtiments sont fermés avec des cadenas et les seules sorties autorisées sont lorsque l’on vient frapper à votre porte pour la session de test PCR. Ce sont des agents en blouses blanches, des volontaires de chaque quartier et par résidence, qui viennent et vous escortent. On se croirait presque dans un film de science-fiction. La bonne nouvelle, c’est que les volontaires sont humains et amicaux. Après tout, ils sont dans la même situation que nous puisque ce sont aussi des résidents."

"L’ambiance dans mon building est calme. Un groupe WeChat (équivalent chinois de WhatsApp) a été créé avec tous les résidents. Les gens s’entraident et communiquent les différentes informations sur les nouvelles mesures et autres. Des papies et mamies très âgés vivent dans mon immeuble de 21 étages. Alors, certains proposent de cuisiner un peu plus pour ces personnes, ou bien de donner des aliments supplémentaires en cas de besoin. Cela fait chaud au cœur de voir un peu d’entraide et de partage, en ces temps durs."

Peu de livraisons

"Cela fait drôle de vivre ça, plus de deux ans après le premier confinement officiel", confie le Calédonien. "Mais celui-ci est plus violent, plus strict, plus restrictif. Le fait que tous les restaurants soient fermés changent aussi la donne. Et seulement quelques magasins ouverts. De plus, les livreurs qui sont eux aussi soumis à la règle de rester chez eux, sont pour la plupart aussi bloqués. Un livreur sur dix travaille, voire peut-être moins. Et la demande en face est forte, il a très certainement des milliers de personnes qui souhaitent commander chaque jour de la nourriture."

"Les applications mobiles pour commander crashent souvent. Avec des messages disant 'service momentanément indisponibles'. Normal, lorsque vous avez des centaines de milliers de personnes qui essayent en même temps. Le gouvernement a décidé d’aider la population (…) Un carton par appartement a été distribué, contenant des pommes de terre, carottes, oignons, gingembre, et autres légumes. C’est le paradoxe de l’équation Covid en Chine. Comment réguler le flot de (…) millions de personnes et de la plus grosse ville [du pays] ? Comment faire pour gérer la nourriture ?"

Panier de légumes offert par le gouvernement.

Mesure prolongée

Notre confiné observe le "gros effort logistique". Un exemple : les résultats des tests arrivent "entre 12 heures et 36 heures après (…) Mais c’est un rythme de machine (…), la cadence est infernale : les autorités souhaitent tester tous les 48 heures. Finalement, le gouvernement a décidé d’opter pour des auto-tests dans les résidences où il n’y pas eu de personnes positives depuis un certain temps et c’est le cas de ma résidence."

Au jour suivant, lundi 4 avril, la nouvelle tombe : "Le confinement est prolongé pour quelques jours. Prévisible", réagit Guillaume, qui s'efforçait de réguler toute impatience. "Mieux vaut éviter une déception." La raison de cette rallonge ? "Le nombre de cas détectés est bien plus élevé que ce qui été [prévu] et on découvre des cas dans plusieurs buildings tous les jours. Il n’y a pas encore d’annonce officielle sur la date exacte de sortie, mais il semblerait que ce sera sur une analyse au 'compound‐par‐compound', comprenez quartier par quartier."

Tant que mon moral est bon, que j’ai de quoi manger et m’occuper, alors tout roule. Comme on dit chez moi : Casse pas la tête !

 

Enormes renforts matériels et humains

Il décrit alors cette opération d’envergure pour approvisionner la ville en renforts matériels et humains. "Environ 12 000 personnes sont arrivées à Shanghai, en provenance de partout en Chine. Le contingent est constitué de 2 000 militaires et 10 000 employés du médical pour soutenir la 'bataille' contre le Covid. Les images médias montrent un va‐et‐vient de gros‐porteurs de l’armée de l’air chinoise, des avions Y‐20 répliques chinoises de l’IL76 russe, se déroulant sur les tarmacs des aéroports de la ville depuis deux jours."

Va-et-vient de gros porteurs sur les pistes de la ville.

Les Français de la cité pourront-ils voter ?

"Difficile d’ignorer le climat anxiogène qui règne sur les groupes WeChat et chez les expatriés", poursuit Guillaume. "Le consulat français a créé des groupes d’aides gérés par des bénévoles par quartier [ou] secteur. Une bonne initiative. On y diffuse les informations officielles, les numéros d’urgence à contacter en cas de test positif, quelques conseils sont aussi donnés pour commander à manger." Une interrogation de la communauté française ? L'’impossibilité de se rendre au consulat pour le premier tour de la présidentielle.

Le cauchemar de l'avion à prendre

"Ma situation personnelle est plutôt confortable en comparaison avec des amis proches. Un couple d’amis, dont la femme est enceinte et avec un bébé d’un peu plus d’un an, sont bloqués depuis quatorze jours déjà. Car leurs voisins ont été testés positifs. Ils ont un avion prévu le 8 avril pour rentrer définitivement en France. Ils sont dans l’incertitude de savoir s’ils pourront prendre leur vol, ainsi que la gestion de leur déménagement sous lockdown, et l’inquiétude de se retrouver séparés si l’un d’eux est testé positif."

"Il faut plusieurs autorisations pour pouvoir être autorisé à seulement sortir de la résidence. Et ensuite gérer le transport jusqu’à l’aéroport. Mais impossible d’aller directement à l’aéroport de Pudong pour le vol Shanghai‐Paris car il faut un test PCR fait à l’hôpital, avant le volt. De plus, les rues sont quadrillées par la police et il faut pour le conducteur du taxi un 'épidemic pass' pour pouvoir circuler dans la ville. Un vrai parcours du combattant."

Et puis le prix des vols

"Le vol de mes amis est prévu dans trois jours", écrivait encore Guillaume le 4 avril. "J’espère qu’ils auront l’autorisation de sortir de leur compound, sinon ils devront repousser. Mais depuis 2020, il y’a très peu de vols entre la Chine et Paris. C’est encore un autre paramètre à devoir gérer pour les expatriés, ou même les professionnels comme moi, qui ont besoin de se déplacer pour des raisons personnelles ou pro."

"Et c’est sans compter le prix prohibitif des billets. Là où on pouvait trouver des billets aller‐retours entre 500 et 800 € [environ 60 000 à 95 000 F CFP], il faut compter aujourd’hui entre 2 500 et 4 500 € [ de presque 300 000 à plus de 530 000 F CFP] suivant la date et la disponibilité. Encore une autre difficulté liée aux restrictions dues au Covid."