La résiliation par l'Australie du gigantesque contrat de livraison de sous-marins français, conséquence d'un partenariat stratégique conclu entre Canberra, Washington et Londres "interroge" sur les liens entre Paris et ses alliés anglo-saxons et aura des "conséquences lourdes", ont fustigé députés et sénateurs jeudi.
Après la décision par l'Australie de rompre ce mirifique contrat de plusieurs dizaines de milliards de dollars, "nous allons devoir nous interroger sur l'attitude récurrente de certains de nos alliés, qui se comportent plus comme des adversaires que comme des concurrents loyaux", a déclaré Christian Cambon, le président LR de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées du Sénat.
Tirer toutes les conséquences de notre partenariat avec l'Australie
"La décision brutale (...) est très préoccupante, et nous interroge sur la position de nos alliés australiens, américains et britanniques. Ce véritable coup de Trafalgar doit être pris très au sérieux", a souligné Françoise Dumas, présidente LREM de la commission de la Défense et des Forces armées de l'Assemblée nationale, dans une déclaration transmise à l'AFP.
Après l'achat par la Suisse d'avions américains F35 ou le retrait américain d'Afghanistan "sans concertation avec les alliés de l'Otan", ce nouvel événement "doit conduire à évaluer la nature exacte de la relation actuelle entre la France et son allié historique", a complété dans un communiqué la commission sénatoriale.
Les conditions de l'annonce, d'abord éventée par la presse, ont également considérablement déplu aux sénateurs qui fustigent "une attitude cavalière" de Canberra, en faisant mine de s'interroger sur l'avenir du partenariat entre la France "qui essuie un camouflet brutal" et l'Australie.
"Nous devrons tirer toutes les conséquences de cette décision concernant notre partenariat avec l'Australie et pour la région dans son ensemble", a souligné Mme Dumas.
Sur le volet géostratégique, le Sénat s'inquiète des "conséquences globales" du choix australien avec la vente à un pays non doté de l'arme nucléaire de sous-marins d'attaque à propulsion nucléaire.
Cela "n'a pas de précédent": "Les Etats-Unis et le Royaume-Uni changent les règles du jeu", observent les sénateurs français alors que les tensions avec la Chine s'accroissent dans cette partie du monde.
Députés et sénateurs s'inquiètent en outre des conséquences sociales et économiques pour Naval group, l'ex-titulaire du contrat, et pour la sous-traitance.
"Il est temps de cesser de se bercer d'illusion, de refuser la caporalisation, de quitter l'Otan et d'expulser de France le Centre d'excellence Otan pour l'espace que les Etats-Unis veulent installer à Toulouse", a tonné le député et chef de file LFI, Jean-Luc Mélenchon.
Un coup dans le dos et beaucoup d'amertume
"C'est vraiment, en bon français, un coup dans le dos", s'est indigné le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian, en direct sur France Info, se disant "en colère, avec beaucoup d'amertume".
"Nous avions établi avec l'Australie une relations de confiance. Cette confiance est trahie", a lancé Jean-Yves Le Drian, qui avait conclu le "contrat du siècle" sur les sous-marins lorsqu'il était ministre de la Défense."Nous avons passé un contrat (pour ces sous-marins), il va falloir qu’ils nous disent comment ils en sortent"...
Naval Group devait concevoir les sous-marins français, il demande une indemnisation
Pour avoir décidé une rupture de contrat, l'Australie encourt de lourdes pénalités financières. Il est encore trop tôt pour connaître le montant de ces indemnités, déterminées par un contrat soumis à des clauses de confidentialité, mais Naval Group entend demander une "somme importante", d'après son directeur du Pôle Média Emmanuel Gaudez. "On va demander une indemnisation au titre de la rupture prématurée de l’engagement qu’ils avaient pris pour la réalisation des sous-marins", ajoute-t-il. Pour ce programme, 500 à 600 spécialistes sont mobilisées.
Aujourd’hui, 120 familles australiennes vivent à Cherbourg. Elles devraient quitter la France entrainant un important manque à gagner pour le port et la région du Cotentin.
Au même moment, la ministre des Armées Florence Parly déplorait sur RFI "une très mauvaise nouvelle pour le respect de la parole donnée" et une décision "grave" en matière de politique internationale.
Les Etats-Unis piétinent leurs alliés
Les deux ministres français n'ont pas non plus mâché leurs mots vis-à-vis du président américain Joe Biden, accusé de piétiner ses alliés. "Cette décision unilatérale, brutale, imprévisible ressemble beaucoup à ce que faisait Monsieur Trump", l'ancien président américain, a poursuivi M. Le Drian.
"On a appris brutalement par une déclaration du président Biden que voilà, le contrat qui était passé entre la France et les Australiens s'arrête, et puis les Etats-Unis vont proposer une offre nucléaire, dont on ne connaît pas le contenu, aux australiens", a pointé Jean-Yves Le Drian.
"Cela ne se fait pas entre alliés (...) Nous parlions de tout cela avec les Etats-Unis il y a peu de temps et là, voilà cette rupture. C'est assez insupportable", a-t-il martelé.
"Nous sommes lucides sur la manière dont les Etats-Unis considèrent leurs alliés et leurs partenaires", a pour sa part estimé Mme Parly.
On résume...
Le Premier ministre australien Scott Morrison a annoncé jeudi la rupture d'un gigantesque contrat de 90 milliards de dollars australiens (56 milliards d'euros) conclu en 2016 avec la France pour la fourniture de sous-marins conventionnels.
"La décision que nous avons prise de ne pas continuer avec les sous-marins (français) de classe Attack et de prendre un autre chemin n’est pas un changement d’avis, c’est un changement de besoin", a tenté d'argumenter Scott Morrison.
Canberra a donc préféré conclure un partenariat stratégique avec les Etats-Unis et la Grande-Bretagne comprenant notamment la livraison de sous-marins à propulsion nucléaire (non dotés d’armes atomiques) par Washington.
L’Australie va former un partenariat de sécurité, un nouveau pacte de Défense appelé AUKUS, avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni dans la zone Indo-Pacifique, assumant de torpiller le "contrat du siècle" conclu en 2016 avec la France.