Crise en Nouvelle-Calédonie. "Je ne peux plus m'acheter à manger", quand la crise accentue la pauvreté

Plus de 70 exposants étaient réunis ce samedi 13 juillet, pour le marché de Rivière-Salée.
Depuis les émeutes de mai dernier, de nombreux Calédoniens ont perdu leur travail. Pour nombre d'entre eux, la vie quotidienne est devenue compliquée entre le prix du loyer et des courses. Sur le terrain les associations sont donc de plus en plus sollicitées.

Un par un, Kiki Josette dépose dans sa cuisine les sachets de pâtes, de riz, de lait en poudre. Sans ce panier d'aide alimentaire, fourni par une association dans son quartier de Rivière-Salée, à Nouméa, elle n'aurait "plus rien" à manger.
Devant un réfrigérateur rouillé et quasi-vide, la grand-mère de 66 ans, égrène un calcul rapide et sans appel : une retraite d'environ 180 000 francs, un loyer de 70 000 francs, les factures d'électricité, d'eau...
"À la fin, il n'y a plus rien, je ne peux plus m'acheter à manger", explique-t-elle. 

On va vers une crise alimentaire très dure.

Betty Levanqué, Banque alimentaire NC


Le sac de courses va lui permettre de "tenir 15 jours", espère cette femme kanak, pour qui la vie est devenue "très difficile" depuis les émeutes qui ont secoué le pays en mai et ravagé son tissu économique. Quatre mois plus tard, une profonde crise sociale s'y dessine.
Aucune estimation officielle n'a été dressée, mais selon la Banque alimentaire de Nouvelle-Calédonie, 20 000 personnes en besoin d'aide pour se nourrir s'ajoutent progressivement aux 10 000 bénéficiaires déjà identifiés. "Il faut absolument qu'on se relève très vite, parce qu'on va vers une crise alimentaire très dure", estime sa présidente Betty Levanqué.

"Ça va péter"

Pour certains mouvements politiques, notamment du côté indépendantiste on craint d'ailleurs qu'aux violences de mai succèdent des "émeutes de la faim". "Les signaux faibles sont là", avertit Arnaud Chollet-Léakava, porte-parole du Mouvement indépendantiste océanien, qui dirige la Fondation pour les sans-voix, prenant l'exemple de cambriolages lors desquels on vole désormais du riz ou du pain. 
"À un moment donné, ça va péter, les gens vont aller voler dans les magasins", pense-t-il.
Francis Maluia, qui a créé dans la foulée des émeutes l'association Solidarité RS, qui aide les riverains de Rivière-salée, comme Josette Kiki, a lui aussi vu la situation se tendre. Il a accéléré la cadence des livraisons lorsqu'un homme a tenté d'agresser au sabre sa propre sœur qui avait réceptionné son colis alimentaire - elle habite l'appartement voisin.
"J'ai l'impression que c'est chaque jour plus difficile", souffle celui qui s'est donné pour mission d'"aider les plus vulnérables", 2 500 personnes pour son seul quartier.
Ces derniers temps, un profil parmi ceux qui demandent de l'aide inquiète particulièrement Francis Maluia, qui a installé son association dans la cour de sa maison, aujourd'hui envahie de palettes et de cartons remplis de vivres: aux nouveaux chômeurs, dont les entreprises ont été saccagées, s'ajoutent désormais des travailleurs qui n'arrivent plus à joindre les deux bouts, en raison de l'inflation. 

Honte

Jean-Baptiste en fait partie. Le magasinier wallisien de 19 ans, carrure de pilier de rugby, est le seul de son foyer à travailler. "Je peux faire les courses au début du mois, mais vers la fin, c'est dur. Heureusement que l'association nous aide, sinon j'aurais dû demander un acompte à mon patron", confie le jeune homme, une de ses filles jumelles dans les bras, l'autre gigotant dans un trotteur.
Bébés obligent, Jean-Baptiste a reçu un panier différent, garni notamment de couches et de lait infantile. "C'est un peu honteux d'avoir besoin d'aide pour vivre. Mais j'ai dû mettre mon ego de côté et assumer", avoue le gaillard.
Face à la précarité qui fragilise la Nouvelle-Calédonie, où tous les voyants sociaux sont désormais au rouge, les besoins primaires explosent, remarque lui aussi Marcel Toyon, militant de la CCAT et fondateur d'Action solidaire.

J'ai du mettre mon ego de côté.

Jean-Baptiste, habitant de Rivière-Salée


Sur le bout de terrain aux airs de déchetterie qu'il occupe, ses containers et bus sans roue sont remplis à ras bord de cartons de linge et de vaisselle. Et avec tant de familles qui ont "tout perdu pendant les émeutes", tout trouve preneur. 
Même la tôle qu'il récupère est demandée par des familles qui ont dû quitter leur logement pour s'installer dans un squat. "Si les gens se rabaissent à aller chercher ça, c'est signe qu'ils sont désespérés."