RÉCIT. Disparition du sous-marin japonais "I17" : 80 ans plus tard, une page toujours méconnue de l’histoire calédonienne

Retraité des Phares et balises, Claude Babin proposera une causerie sur l'I17, le 24 août 2023, au Musée maritime de Nouvelle-Calédonie.
Le 19 août 1943, en pleine Guerre du Pacifique, un sous-marin japonais est coulé par les Alliés, au sud du Phare Amédée. Le navire "I17" sombre par 1 000 mètres de profondeur, entraînant avec lui 97 membres d’équipage. Alors que des commémorations se préparent ce samedi, à Nouméa, retour sur cet épisode peu connu de la guerre, qui s'est joué il y a quatre-vingt ans, au large de la Nouvelle-Calédonie.

En 1943, toutes les grandes puissances sont engagées dans la Seconde Guerre Mondiale. Idéalement située dans le Pacifique, la Nouvelle-Calédonie devient une grande base arrière de l’armée américaine.

Après le bombardement de Pearl Harbor, à Hawaï, le 7 décembre 1941, et "au vu du tonnage de marchandise traité, Nouméa est alors considérée comme le second port de la côte Ouest américaine", relève Claude Babin, féru d’aviation et secrétaire de l’association du Musée maritime de Nouvelle-Calédonie. Au même moment, plusieurs sous-marins japonais patrouillent secrètement dans les eaux du Pacifique Sud, prêts à préparer de nouvelles offensives contre les forces alliées. 


Un hydravion japonais repéré dans le ciel de Nouméa

Le matin du 19 août 1943, un hydravion japonais déclenche les sirènes en survolant Nouméa. Arnold Russ avait 14 ans à l'époque. Aujourd'hui âgé de 94 ans, ce Nouméen n'a rien oublié de cette journée. "C'était tôt le matin. Je faisais la queue avec mes tickets de rationnement à la boucherie Ballande, rue de l'Alma. J'étais dans la file d'attente, lorsque les sirènes ont retenti. On a vaguement entendu un bruit d'avion, mais je ne l'ai pas vu. Je suis vite rentré en vélo chez moi, à l'Orphelinat."

Ce jour-là, la météo est clémente. "On s'attendait à une réaction des Américains", se souvient Arnold Russ. Mais il n'en est rien, tout au moins en apparence. "C'est des années après qu'on a compris ce qu'il s'était passé. Les Américains savaient que les Japonais avaient des sous-marins avec hydravion embarqué dans la zone". Et pour cause : "quelques mois auparavant, l'"I17" avait coulé dans le même secteur le pétrolier "Stanvac Manila", qui transportait des PT Boats (navires de guerre, ndlr) et avait fait 11 morts." Un épisode sur lequel nous reviendrons un peu plus loin. 

Claude Babin s'est appuyé sur des ouvrages en français mais aussi en anglais pour préparer sa causerie sur l'I17.



Six survivants et 97 disparus

En début d'après-midi, le HMNZS Tui, "une corvette néo-zélandaise qui escorte l’USS Taganak et le SS Wiley Post, entre la Nouvelle-Calédonie et l’île de Santo au Vanuatu, détecte un sous-marin à 80 km au sud-est du phare Amédée", poursuit Claude Babin. Ce sous-marin japonais de grande taille est en mission dans la zone pour empêcher le ravitaillement des Alliés.

Le Tui donne l'alerte au convoi et attaque le sous-marin. Il est rejoint par l'escadrille VS57 de l'US Navy, dotée d'hydravions "kingfishers". "Leurs actions conjointes obligent le sous-marin à faire surface sous un angle élevé, son arrière restant immergé, détaille Claude Babin. Rapidement, il émet un épais nuage de fumée brune et grasse. Moins d'une minute après l'attaque du sous-lieutenant Lee, le sous-marin cabre et coule rapidement."

Seuls six soldats japonais, remontés sur le pont pour tirer en direction des bâtiments ennemis, survivent à cet assaut. Les 97 autres membres d'équipage sombrent avec l'épave. 


Les faits d'armes du "I17"

En toute fin de journée, le HMNZS Tui rentre au port de Nouméa. Pendant le trajet retour, les prisonniers japonais sont interrogés par les services de renseignement, qui en apprennent davantage sur les missions du I17

Sous-marin de grande croisière, de 114 mètres de long, ce bâtiment de la marine impériale japonaise fut construit en 1938 dans la baie de Yokosuka, à Tokyo. Comme les autres navires de sa catégorie, il transportait un hydravion à bord. "C’est un objet guerrier par excellence. Ses missions, c’était de couler le plus de navires ennemis."Avec d’autres sous-marins japonais, il participe à l'attaque de Pearl Harbor, puis à d'autres opérations le long de la côte Ouest américaine. Le 23 février 1942, il bombarde les installations de la compagnie pétrolière Ellwood, près de Santa Barbara, en Californie.

L'I17 est également responsable du torpillage du Stanvac Manila, le 24 mai 1943, à 160 km au sud de Nouméa. "C’était un navire pétrolier, qui transportait 150 tonnes de matériel à destination des ateliers de réparation des Naval Construction Batallions, qui étaient à Nouméa. Il apportait aussi six vedettes lance-torpilles. Cette attaque fera une dizaine de victimes", précise Claude Babin.

Dans cet exemplaire du 5 mars 1984, le quotidien "Les Nouvelles Calédoniennes" revient sur la disparition du "I17" dans les eaux calédoniennes.


Plusieurs navires calédoniens coulés

Epargnée sur son sol, la Nouvelle-Calédonie se retrouve, de fait, engagée militairement dans la Guerre du Pacifique. Les eaux qui l'entourent sont le théâtre de plusieurs opérations meurtrières. Le 28 juillet 1942, le Cagou, un minéralier qui transporte du charbon entre Sydney et Nouméa, est torpillé par le sous-marin japonais I-175. Privé de tout moyen de défense, le navire de la SLN coule rapidement, sans pouvoir lancer de SOS. Trente-huit marins périssent dans ce drame. 

Deux ans auparavant, le Notou, un autre minéralier de la Société le Nickel, fut victime, lui aussi, du conflit. Intercepté par les Allemands le 16 août 1939, à une centaine de kilomètres au large de Nouméa, l'équipage est pris en otage et le navire coulé par le corsaire Orion. Les marins calédoniens seront libérés plusieurs mois plus tard. 

Le 17 mai 1943 enfin, un autre sous-marin japonais, le I-25, est responsable de la perte du SS. H.M Storey, un pétrolier américain attaqué par des tirs d'obus japonais. Deux membres d'équipage sont tués, une soixantaine d'autres sont sauvés grâce aux canots de sauvetage du destroyer américain USS Fletcher, qui les ramène jusqu'à l'île d'Efate, au Vanuatu. 

Au cimetière du 4e km à Nouméa, une stèle a été érigée pour les 97 disparus du sous-marin "I17".



L'épave du "I17" introuvable

Une fois rapatriés à Nouméa, les soldats japonais sont internés dans un camp de prisonniers situé "dans la baie des Pétroles", du côté de la promenade Pierre-Vernier, précise Arnold Russ. Leur témoignage sera recueilli par un autre Japonais, le lieutenant Toyoda, un pilote de bombardier dont l'avion avait été abattu dans les îles Salomon, avant d'être récupéré par un navire néo-zélandais, puis transféré sur l'île de Santo, au Vanuatu, et enfin à Nouméa. "Il en a fait une bande dessinée qu’il a publiée dans une revue parue au Japon en 1947", indique Claude Babin. 

Si quelques tentatives ont bien été menées pour retrouver l'I17, son épave reste introuvable. "La profondeur des eaux à cet endroit est très importante, relève Claude Babin. Il faut aussi savoir qu'un navire ne sombre pas nécessairement à la verticale exacte. Tout cela élargit le champ des recherches. Sans compter les deux énormes explosions survenues à bord du I17."

Le 19 août 1983, vingt-trois descendants des disparus du "I17" font le voyage jusqu'en Nouvelle-Calédonie pour l'inauguration du premier monument érigé à la mémoire des victimes, au cimetière du 4e km à Nouméa.

Etonnament, le Musée de la Seconde Guerre Mondiale, à Nouméa, ne fait pas mention de cet épisode militaire. Une plaque commémorative est tout de même inaugurée 19 août 1983, au cimetière du 4e kilomètre, à Nouméa, en présence d'une vingtaine de descendants de ces soldats japonais. Puis trente ans plus tard, en 2013, une stèle est érigée au même endroit, à la mémoire de ces 97 Japonais, disparus à bord du sous-marin.  

Un drame qui ne doit pas faire oublier les morts du Notou, du Cagou, du Stanvac Manila ou encore du SS. H.M Storey, victimes des navires japonais et allemands. Avec la disparition du I17, conclut Claude Babin,"on a évité une surenchère de pertes de navires".


Pour en savoir plus sur l'I17 et la vie à bord d'un sous-marin, RDV le 24 août 2023, au Musée maritime de Nouvelle-Calédonie, à Nouméa. Claude Babin y proposera une causerie à 18 h. Entrée gratuite.