DOSSIER. Comment réduire la mortalité sur nos routes ?

Campagne nationale et sensibilisation sur le terrain en Calédonie
Soixante-dix morts sur nos routes en 2022 : on se rapproche des pires records de 2005 (71 morts) et 2004 (83 morts). Les week-ends alcoolisés sont particulièrement générateurs d’accidents en Nouvelle-Calédonie. Quelles solutions pourraient permettre d’améliorer la sécurité routière ? Quatre pistes ont retenu l’attention de NC La 1ère.

1 Durcir la législation

Toutes les semaines, des Calédoniens responsables d’accident ou contrôlés en infraction routière sont convoqués au tribunal pour répondre de leurs comportements. Ceux qui conduisent trop vite, sans permis, ou sous l’influence de l’alcool et de stupéfiants se voient sanctionnés d’une amende, voire de prison ferme pour les récidivistes.

Pour le procureur de la République, Yves Dupas, il faut réajuster la réglementation routière en Calédonie, en vue d’aggraver certaines peines… Et c’est une compétence du territoire.

Un exemple : la conduite sans permis est réprimée de douze mois d'emprisonnement dans l'Hexagone, alors que sur le territoire c'est trois mois d'emprisonnement encourus.

Yves Dupas, procureur de la République

"Il faut aussi adapter la législation sur le contrôle technique des véhicules. Il faudra y venir pour garantir que ne circule que des véhicules qui sont censés être en bon état de marche. Nous constatons dans un certain nombre de procédures que certains véhicules sont dangereux au regard de leur vétusté, de leur état mécanique délabré."

Le procureur de la République estime que la législation n’est plus adaptée. Il pointe les mentalités de certains, et leur sentiment d’impunité. Yves Dupas plaide pour l’amplification des contrôles routiers en vue de sanctionner les fous du volant par une suspension de permis. "Nous avons en Nouvelle-Calédonie une angoisse maintenant : la route peut tuer, et finalement chacun craint de se retrouver dans un accident grave de type choc frontal, avec un conducteur qui est alcoolisé, qui roule vite, voire sans permis."

Cette situation est totalement intolérable et il faut que tant le territoire, que l'Etat, et y compris l'institution judiciaire prennent à bras le corps cette situation

Yves Dupas, procureur de la République

Autre problématique qui doit être portée par le territoire selon Yves Dupas : celle de la prévention des addictions.

 

2 Multiplier les moyens de répression

Au Conseil calédonien de sécurité routière (CCSR), des groupes ont consacré 350 heures de travail à l’élaboration d’un plan. Si les détails n’ont pas encore été communiqués, on en connaît quelques pistes.

Cibler les comportements à risque : c’était la conclusion de la première réunion du CCSR en juin 2022. Côté répression, on évoque la mise en place de radars fixes, de nouveaux radars embarqués, et une plus grande présence des forces de l’ordre sur le terrain assure Patrice Faure, le Haut-Commissaire. "On multipliera les contrôles, il y en a déjà eu beaucoup en 2022, beaucoup plus qu'en 2021, il y en aura encore plus en 2023. Avec des séquences qui seront plus courtes, sur des sites encore plus nombreux, avec l'effet de surprise, mais aussi des cartographies pour expliquer où nous nous implantons. De façon à ce que les gens ralentissent, et que l'on diminue le nombre d'accidents parce que les gens vont trop vite et sont irresponsables."

Cartographie des accident mortels de l'année au 28 décembre 2022

La solution des radars

A l’issue du 2e Conseil calédonien de sécurité routière, on a évoqué la possibilité d’installer des radars fixes automatiques en Nouvelle-Calédonie, où le taux de mortalité est quatre fois plus élevé qu’en Australie ou dans l’Hexagone. Yann Urbès connait bien le sujet. Il est le manager d’Indeo, une société spécialisée dans les solutions technologiques de sécurité.

« On est prêts depuis des années ». En 2020, ce Mont-Dorien a proposé d’équiper les routes les plus accidentogènes avec des radars automatiques. "Les tronçons concernés étaient le col de la Pirogue et l'axe Nouméa-Koné." Mais une autre solution avait également attiré son attention : celle des caméras LAPI. "Ça peut faire partie des éléments sur lesquels on peut faire des recommandations, ça a été mis en place largement en Australie sur les autoroutes. Il y a des lectures automatiques de plaques d'immatriculation qui permettent de savoir à quel moment vous êtes entré sur la route, et à quel moment vous en êtes sorti. Et forcément on peut faire un calcul de vitesse moyenne, et en tirer des conclusions sur le fait que vous roulez trop vite."

Contrôle systématique 

Les radars vont de pair avec une législation adaptée, qui définit quel organisme réalise l’amende, l’encaisse, et où vont les fonds récupérés. Dans l’Hexagone en 2021, 88% de la recette des radars a été réinvestie par l’Etat dans la sécurité routière, et notamment à travers l’amélioration du réseau routier. 

"L'avantage du radar automatique, c'est que c'est un contrôle systématique, et on ne peut pas passer au travers. Donc même si c'est plutôt coercitif et pas agréable, concède Yann Urbès, il y a de vrais effets positifs. La réflexion doit d'abord être au sein de la société, politique, le gouvernement doit exprimer une vraie volonté de réduire ces problématiques, et elles ne se résoudront sans doute pas uniquement avec des contrôles au hasard."

Le vrai souci, c'est de savoir quel niveau d'impopularité on peut accepter quand des vies sont en jeu

Yann Urbès, manager d’Indeo, une société spécialisée dans les solutions technologiques de sécurité

Un radar coûte 25 millions de francs pacifique, qui s’autofinance avec les amendes. La machine pourrait même permettre de repérer ceux qui conduisent sans assurance. Dix-neuf ans après leur installation dans l’Hexagone, les radars ont toujours leurs détracteurs. Mais selon la délégation à la sécurité routière nationale, ils ont permis de sauver 23 000 vies dans les dix ans qui ont suivi leur installation.

3 Accentuer la prévention

La répression fait partie de l’arsenal à déployer selon Mireille Münkel, la présidente de l’Association prévention routière, en complément de beaucoup de prévention : "Nous ne sommes pas allés assez loin sur l'éducation au code de la route en milieu scolaire. Nous espérons que dans une prochaine étape ça soit développé, parce qu'il faut aller vite sur cette problématique. Nous avons encore aujourd'hui en Calédonie trop de personnes qui roulent sans permis."

L'autre point c'est malheureusement que, depuis plus de trois ans maintenant, le coordonnateur des plans et de la sécurité routière n'a pas été renouvelé au gouvernement. Nous n'avons pas une personne référente qui puisse coordonner les actions de tous

Mireille Münkel, présidente de l'Association prévention routière

L'Association sécurité routière manque cruellement de financements pour intervenir de manière égalitaire sur le territoire. Pourtant les accidents mortels ont lieu en province Nord (45,9%) comme en province Sud (52,5%) selon la DITTT.

On compte 70 morts dans les accidents de la route en 2022, mais combien de blessés ? Combien de personnes physiquement amoindries par des séquelles à vie ? A Nouville, le Foyer de vie Paul Reznik, géré par l’Association calédonienne des handicapés, accueille des résidents des trois provinces qui ont été victimes d’un accident de la voie publique. L’un d’entre eux, Atonio, a accepté de raconter son histoire.

 

4  Une continuité en matière de politiques publiques 

Combien coûtent les accidents de la route ? Autour de 30 milliards de francs pacifique en moyenne chaque année, selon les estimations de la DITTT.

En 2019 : 31,67 (52 morts)

En 2020 : 25,15 (37 morts)

En 2021 : 29,36 (50 morts)

En 2019, le coût des accidents s'établirait à 31,67 milliards de francs pacifique. Cette année là, on a déploré 52 morts.

Dans trois quarts des accidents mortels, l’alcool est en cause. Dans deux tiers, c’est une vitesse excessive. Parfois les deux. Les statistiques étaient meilleures ces dernières années, mais nous sommes revenus au niveau d’il y a vingt ans. Pourtant, la sécurité routière a été systématiquement au portefeuille d’un membre des gouvernements successifs. 

Actuellement c'est Gilbert Tyueinon qui est en charge de ce sujet, et ce depuis juillet 2019. Le natif de Canala est au gouvernement depuis près de douze ans. Il revient sur l'annonce de l'installation de radars fixe automatiques :

Combien de mesures a-t-on vu passer en Calédonie pour réduire la mortalité routière ? Cela fait 10 ans que Dominique est bénévole dans les associations de prévention :

La Calédonie ira-t-elle au bout de son annonce d’installer des radars fixes automatiques ? On le saura en début d’année prochaine.

D'autres pistes

Instaurer un permis à points, comme dans l'Hexagone

Délivrance d'une carte grise sur présentation obligatoire du permis et d'une attestation d'assurance (gouvernement)

Insister sur le respect des distances de sécurité et le port de la ceinture (association)

Limiter la vitesse sur certaines portions de route (gouvernement)

Recourir à la confiscation de véhicule, même s'il n'est pas conduit par son propriétaire au moment de l'infraction 

Multiplier les panneaux de sensibilisation, comme à Bourail où les enfants en ont fabriqué pour inciter à ralentir