DOSSIER. Enseignement privé : qui paie quoi ?

Dans tout le pays, les établissements de la DDEC alertent sur leur santé financière. Comme ici, à l'école du Sacré Coeur, à Nouméa.
Un mois à peine après la mobilisation de la DDEC, une conférence s'est ouverte ce lundi, à Nouméa, sur le financement de l'enseignement privé confessionnel en Nouvelle-Calédonie. Depuis des années, les collectivités se renvoient régulièrement la balle, sur fond de mille-feuilles de compétences. Sur quelles bases sont actuellement financées les trois directions privées que sont la DDEC, l’Asee et la FELP, et quelles sont les attentes ? Décryptage.

Ce devait être un séminaire, ce sera finalement une conférence. Ce lundi 5 juin, de 8 heures à 11h30, en salle du conseil municipal de la ville de Nouméa, Isabelle Champmoreau, en charge de l'enseignement au gouvernement, a organisé un événement autour de la question du financement des enseignements privés. Avec en toile de fond la répartition des compétences et la sécurisation du cadre juridique. 

Pourquoi l’enseignement privé confessionnel dépend-il autant du financement public en Nouvelle-Calédonie ? Quelles collectivités y participent et quels sont les défis à relever ? Retour sur un dossier de longue date, qui fait de nouveau l’actualité.

Le contexte actuel

Avec plus d’un milliard de francs à trouver pour boucler l’exercice 2023, la situation financière de la DDEC (Direction diocésaine de l’enseignement catholique) est aujourd’hui en péril. Celle-ci a tiré la sonnette d'alarme en mai, en se mobilisant dans les rues de Nouméa.

Le problème n’est pas nouveau. Depuis une demi-douzaine d’années, les subventions des collectivités ont nettement diminué. Cela s’explique par une baisse des effectifs, mais aussi par un contexte budgétaire de plus en plus tendu.

Or, la DDEC n’est pas la seule concernée. Au-delà des problèmes de gestion pointés par la Chambre territoriale des comptes en 2020, l’Alliance scolaire de l’église évangélique (Asee) et la Fédération de l’enseignement libre protestant (FELP) sont, elles aussi, en grande difficulté. Depuis fin 2017, ces deux associations, qui dirigent les établissements scolaires protestants, sont placées en redressement judiciaire. En 2019, la Nouvelle-Calédonie a signé un protocole d’accord pour les accompagner pendant 10 ans, le temps du redressement judiciaire.

Des raisons historiques

Si le maillage de l’enseignement privé confessionnel est aussi important sur le Caillou, c’est en raison d’une carence historique de l’enseignement public. Ce dernier ne s’est développé que sur le tard, laissant le soin aux missionnaires d’implanter des écoles en Brousse et dans les îles, et plus particulièrement dans les tribus à destination des enfants kanak.

Aujourd’hui, certaines zones ne sont encore couvertes que par le privé : c’est le cas de Belep et de l’île des Pins, où seul l’enseignement catholique est présent. 

Un élève sur quatre scolarisé dans le privé

Même si les effectifs reculent depuis plusieurs années, le poids de l’enseignement privé reste important, en Nouvelle-Calédonie. Il représente un quart des élèves. En 2023, environ 15 000 élèves sont scolarisés dans le privé. Ils sont un peu moins de 13 000 à la DDEC, environ 2 000 à l’Asee et 600 à la FELP. Le privé accueille 7 000 élèves environ dans le premier degré, 3 800 dans les collèges et 4 200 dans les lycées.

La DDEC est présente dans les trois provinces. L’Asee est bien implantée aux Loyauté, elle compte aussi des établissements scolaires dans le Nord, en revanche, en province Sud, son offre n’existe que dans le second degré (lycée Do Kamo). Quant à la FELP, elle est surtout implantée en province Nord (près de 600 élèves en 2022, contre quelques dizaines dans les îles, et aucun en province Sud).

L’Etat, premier financeur des établissements confessionnels

Comme pour le public, c’est l’Etat qui rémunère tous les enseignants du privé, de la maternelle au lycée. Par ailleurs, l’Etat finance également le fonctionnement global des établissements du second degré ayant passé des contrats d’association avec l’enseignement public.

C’est le cas de la DDEC, la FELP et l’Asee. Sont pris en charge, notamment, les factures d’eau, d’électricité, d’entretien ou encore les salaires des non enseignants, hors cantine et internat. C’est ce qu’on appelle le "forfait externat".

A noter que depuis le transfert de l’enseignement (l’an 2000 pour le 1er degré et 2012 pour le second degré), l’Etat ne finance plus directement le forfait externat. Il attribue désormais une dotation à la Nouvelle-Calédonie, qui la reverse ensuite aux établissements concernés.

Des collectivités calédoniennes très sollicitées

En Calédonie, le poids de l’enseignement confessionnel est tel que les collectivités locales mettent, elles aussi, la main à la poche depuis de nombreuses années. Notamment pour prendre en charge des dépenses que les familles des élèves, bien souvent modestes, ne pourraient pas absorber seules.

  • Les provinces

Parmi ces collectivités calédoniennes, les provinces sont le principal pourvoyeur du privé, alors que rien ne les y oblige juridiquement parlant. Ce sont elles, par exemple, qui prennent en charge le fonctionnement des écoles maternelles.

A l’Asee, où il n’existe pas encore de contrat d’association pour le premier degré, le fonctionnement des établissements dépend également des subsides provinciaux. 

Enfin, les provinces financent également le "forfait internat", aussi appelé "accueil". Cela concerne les services de restauration et d’hébergement, autrement dit les cantines et les internats. Un poste de dépenses considérable, surtout en personnel. A la DDEC, par exemple, les provinces finançaient jusque-là plus de la moitié de la masse salariale totale.

En province Nord, l'aide est attribuée selon un barème forfaitaire : environ 200 000 francs par élève, peu importe l'établissement.

En 2020, la Chambre territoriale des comptes avait également relevé que les indemnités de départ à la retraite des personnels enseignants étaient financées par les provinces, sur une "base juridique défaillante".

  

  • La Nouvelle-Calédonie

C’est elle qui verse le "forfait externat" aux établissements du privé pour leurs frais de fonctionnement (eau, électricité, personnel administratif…). Mais ces dépenses ne sont pas financées par les recettes de la Nouvelle-Calédonie. Il s’agit d’une dotation de l’Etat.

En revanche, cette collectivité participe aux dépenses liées à la convention entre Sciences Po Paris et les lycées Anova (DDEC) ou Do Kamo (Asee).

Il arrive également à la Nouvelle-Calédonie d’accorder des subventions exceptionnelles. En 2017, une aide de 100 millions de francs a ainsi été versée aux trois réseaux de l’enseignement privé, dont 70 millions pour la Ddec, en raison de leur situation financière dégradée.

La Chambre territoriale des comptes avait estimé, quant à elle, que cette intervention venait "interférer dans l’application du principe de parité inscrit dans le code de l’éducation".

 

  • Les communes

Contrat d’association oblige, les communes ont l’obligation de financer le fonctionnement des écoles élémentaires, du CP au CM2. En revanche, elles n’ont aucune obligation de le faire pour les maternelles, l’école n’étant obligatoire qu’à partir de 5 ans en Calédonie. Pour autant, quelques rares communes subventionnent, malgré tout, les classes maternelles du privé.

 

A noter, cette particularité du Caillou : la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat, texte fondateur de la laïcité en France, n’est pas applicable en Nouvelle-Calédonie. Il est donc possible pour les collectivités publiques de subventionner des activités ou des équipements dépendant des cultes.

 

Zoom sur le financement de la DDEC

Intéressons-nous à présent au budget de fonctionnement de la DDEC, dont les difficultés ont été largement relayées par les médias, ces dernières semaines. En 2022, l’école catholique disposait de quatre sources principales de financement :

  1. L’Etat via la Nouvelle-Calédonie
  2. Les provinces
  3. Les communes
  4. Les familles

 

  • L’Etat

Il finance le salaire des enseignants pour un montant d’environ 10,4 milliards de francs. C’est aussi lui qui participe au fonctionnement des collèges et des lycées d’enseignement général et technique. C’est-à-dire les factures d’eau et d’électricité, le téléphone, le ménage, l’entretien des locaux, les salaires des personnels travaillant pour le fonctionnement de l’établissement comme les surveillants (en journée), l’accueil de jour... Aussi appelé « forfait externat ».

 

  • Les provinces

Elles financent les salaires des personnels d’éducation, les aides maternelles et le salaire des personnels de l’administration et des services, hors forfait d’externat. Elles participent également au fonctionnement des maternelles de la DDEC, des internats, des cantines... En 2022, la province Sud finançait 65,4 % de ces dépenses, contre 28,3 % pour le Nord et 6,3 % pour les Iles.

 

  • Les communes

Les établissements de la DDEC sont présents dans 23 des 33 communes de la Nouvelle-Calédonie. Ces municipalités financent le fonctionnement des écoles élémentaires, aussi appelé "forfait communal". A noter, tout de même, qu’il existe un nombre d’impayés important de la part des communes.

Nouméa, Dumbéa, Païta et le Mont-Dore sont celles qui sont le plus mises à contribution, avec Lifou. Seules deux communes financent les classes de maternelle de la DDEC. Il s’agit de Thio et Ponérihouen.

  

  • Les familles

Elles prennent en charge les prestations d’hébergement et de restauration, les frais de structure, de goûter, de garderie et les études du soir. Ces dépenses s’élèvent à 1,16 milliard de francs, dont un quart est payé par les bourses provinciales.

 

Au total, cela représentait en 2022 une enveloppe de 4,4 milliards de francs pour financer le fonctionnement de la DDEC (hors salaires enseignants) :

-Etat : 1,4 milliard

-provinces : 1,6 milliard

-communes : 275 millions

-familles : 1,16 milliard (dont les bourses provinciales).

 

Des investissements financés en dehors de tout cadre légal

La situation a été pointée, là aussi, par la Chambre territoriale des comptes. "Du fait de l’importance historique de l’enseignement privé en Nouvelle-Calédonie, l’ensemble des collectivités publiques calédoniennes versent en effet, depuis de nombreuses années, des subventions d’investissement aux réseaux d’enseignement privés, aussi bien pour les établissements du premier que du second degré." Or, cette pratique "contrevient aux dispositions de l’article L. 151-3 du code de l’éducation", selon la CTC.  

Dans sa version applicable à la Nouvelle-Calédonie, la loi stipule que "les établissements publics sont fondés par l'Etat, la Nouvelle-Calédonie, les provinces ou les communes", tandis que "les établissements privés sont fondés et entretenus par des particuliers ou des associations". Si l’on se réfère aux dispositions de cet article, en théorie, "les établissements privés ne peuvent pas recevoir d’aides publiques à l’investissement", précise la chambre dans ses trois rapports sur la DDEC, la FELP et l'Asee de 2020. Mais ce n’est pas le cas dans la pratique.

 

Les trois réseaux d’enseignement privé dans une situation critique

Fragile depuis plusieurs années, la santé financière de l’enseignement privé est aujourd’hui un peu plus menacée par le bras-de-fer qui oppose la province Sud au gouvernement. Juridiquement, rien n’oblige les provinces à financer les cantines, l’internat et les maternelles. C’est ce que fait valoir sa présidente Sonia Backès depuis un certain temps déjà. Mais ces dépenses ne sont pas plus du ressort de la Nouvelle-Calédonie, d’un point de vue juridique.

Pour l’année 2023, la province Sud a donc prévenu qu’elle ajusterait sa contribution au périmètre du collège seulement, comme elle le fait pour le public. La Maison bleue a toutefois annoncé le déblocage immédiat d’une enveloppe de 130 millions de francs pour la DDEC, après la marche organisée le 12 mai par l’enseignement catholique.  

 

Quel avenir pour l’enseignement privé ?

C’est la question que posait la DDEC dans son "livre blanc", paru en 2005. A l’époque, l’enseignement catholique alertait déjà les pouvoirs publics sur la nécessité de pérenniser le financement de l’enseignement privé.

Cette question sera au cœur de la conférence de ce lundi 5 juin. Tout l’enjeu sera de définir la participation financière de chaque collectivité pour sécuriser ce financement au travers d'un cadre juridique. Sachant qu’il n’existe aucun cadre légal, aujourd’hui.  

Ce chantier devrait être poursuivi dans les jours qui viennent au cours d’un GTPE, un groupe de travail qui réunit les présidents des différents exécutifs du pays, gouvernement et provinces.  

La province Sud a déjà émis plusieurs propositions, comme le fait d’abaisser la scolarité obligatoire de 5 ans à 3 ans, comme dans l'Hexagone, pour que l’enseignement privé puisse bénéficier de l’aide de l’Etat.