Gabriel Tejedor, réalisateur de Kombinat : "Nouméa est aux antipodes de Magnitogorsk"

Affiche du film Kombinat de Gabriel Tejedor
Filmer la poésie étrange de la métallurgie dans une ville-usine de l’Oural : Après un premier film sur la région russe de Kolyma, La Trace en 2014, puis un autre sur la Biélorussie, Rue Mayskaya en 2017, le documentariste suisse Gabriel Tejedor signe Kombinat. Un hommage aux métallurgistes de Magnitogorsk.

"Le Kombinat ou MMK". C’est ainsi que la population appelle l’immense aciérie Magnitogorski Metallourguitcheski Kombinat (MMK), qui rythme son existence dans la ville de Magnitogorsk : les métallurgistes travaillent, discutent, se divertissent, souffrent aussi des diverses pollutions de l’environnement que l’usine génère. "C’est une ville loin de tout, sans tourisme, ce n’est vraiment pas Nouméa, on est sur une autre planète, un monde en clair-obscur. Les gens n’ont pas compris ce qu’on faisait en Russie, ils ont eu du mal à imaginer qu’on s’intéresse à leur vie quotidienne", commente le réalisateur à La 1ère.

Le documentaire du réalisateur et journalise suisse Gabriel Tejedor est d’abord l’occasion rare de découvrir une grande ville de l’Oural, au milieu de nulle part. L’univers des métallurgistes est parfois bleu, mais le plus souvent il est gris, froid et oppressant.

Le décor est celui d’une gigantesque ville-usine en Russie, à la frontière du Kazakhstan. Une terre gorgée de fer qui permet encore de produire des millions de tonnes d’acier. "J’ai entendu parler de la Nouvelle-Calédonie à travers ses usines de nickel, ce qui est certain c’est que Magnitogorsk est vraiment aux antipodes de Nouméa, et d’abord pour la vie et le climat".

Ville industrielle au coeur de la Russie, Magnitogorsk vit à l’ombre des cheminées rouillées de son immense Kombinat. Lena, jeune mère, fille de métallurgistes, enseigne la salsa, une des nombreuses activités organisées par le Comité d'entreprise. Sasha y trouve un moyen d’oublier la pression quotidienne de l’usine. Son frère Guenia, et sa femme ont décidé de quitter la ville et sa pollution, cause des graves soucis de santé de leur fille. "Beaucoup de gens de la classe moyenne en Russie ne savent pas vraiment ce qu’il se passe en Ukraine, je ne sais pas comment les gens réagiraient aujourd’hui si on les rencontrait. Pour ce film, je suis allé à six reprises à Magnitogorsk. Je me suis posé la question de savoir ce que je ferais si je vivais là-bas, moi qui vit tranquillement en Suisse."

Des jours pâles et trop courts embrumés par les fumées sorties d’immenses cheminées. Des nuits trop longues quand l’activité est encore plus intense et quand l’obscurité permet de relâcher dans l'atmosphère des fumées toxiques. Enfilade de tuyaux sans fin, de coulées de métal.

Le Kombinat métallurgique MMK et la ville de Magnitogorsk en Russie

Le documentaire de Gabriel Tejedor nous conduit au cœur de l’immense usine métallurgique. Magnitogorsk, est une ville qui vit de ce gigantesque complexe industriel, conçu à l’époque de Staline, à 1800 kilomètres de Moscou. "J’irai avec grand plaisir en Nouvelle-Calédonie pour présenter mon film à l’occasion d’un festival du cinéma. Et puis ici en Suisse nous avons Glencore donc j’ai déjà entendu parler du nickel; Kombinat a été présenté au public par une association du Territoire".

Né de la volonté de Staline

Un "Kombinat" autour duquel tout s’organisait à l’ère soviétique, et où tout s’organise encore aujourd’hui : travail bien sûr, mais aussi naissance, logement, familles, soins et loisirs. A Magnitogorsk, on a produit le blindage au nickel et l’acier des chars T34. Les "tanks de la Victoire" ouvrent tous les défilés du 9 mai dans la ville, comme à Moscou sur la place Rouge, et les métallurgistes d’aujourd’hui sont fiers de ceux d’autrefois.

Dans l'usine sidérurgique MMK de Magnitogorsk en Russie

Gabriel Tejedor a filmé le Kombinat MMK avec finesse et sans voyeurisme. Le géant de métal, est né soviétique, il a été conçu par des ingénieurs américains dans les années 1930. Le cinéaste saisit le quotidien des métallurgistes, leur vie, leur environnement. Venu au cinéma par la sociologie, il fait le choix de ne pas se focaliser sur travail des hommes, les fumées, les étincelles, les coulées de métal et d’acier. 

Sans  juger, ni forcer le trait, il dévoile une unité apparente, des vies russes simples, des fiertés contenues, comme un continuum avec l’ère soviétique.

Plus d’une année durant, Gabriel Tejedor s’est attaché à montrer le quotidien d’ouvriers partagés entre la fierté d’un travail industriel flattant leur patriotisme et l’aspiration à se préserver des effets toxiques de l’industrie minière sur leur environnement.

De l’usine à la cuisine familiale, en passant par la commémoration, très kitch, dans la salle des fêtes du combinat métallurgique, du 9 mai 1945 célébrant la victoire russe de la Grande guerre patriotique contre le nazisme, le film montre des moments de chaleur humaine, de joies et de défoulements présents dans des vies difficiles. "Mais c'était avant la guerre en Ukraine, depuis qui peut dire ce que ressente les gens ?" insiste Gabriel Tejedor. 

Pendant la fête annuelle du Kombinat sidérurgique MMK à Magnitogorsk en Russie

Le cinéaste accomplit ce qui relève de la réussite même d’un documentaire : nous permettre d’éprouver en quoi ces métallurgistes ont les mêmes préoccupations et les mêmes espoirs que leurs collègues partout ailleurs dans le monde.

Kombinat est un hommage à la vie de gens ordinaires, des Russes. Des hommes et femmes qui aspirent à vivre mieux. Et si possible en paix. Le film est sorti en salles le 2 mars 2022. Il est distribué par Urban Distribution.

Une statue de Lénine montrant la voie vers la mine et l'usine devant l'entrée du Kombinat MKK à Magnitogorsk.