GRAND ANGLE. "Ça nous rapproche de notre culture" : des détenus calédoniens initiés à la sculpture sur bois

Les places aux ateliers socioculturels du SPIP sont peu nombreuses et très prisées.
Depuis deux mois, une dizaine de détenus participent à des ateliers de sculpture de pirogues. Des temps d'apprentissage et d'évasion qui permettent aux stagiaires de renouer avec leur culture. Le dernier atelier s'achève ce vendredi 29 novembre. Reportage en immersion au Camp Est.

"C'est la première fois que je touche à des outils pour sculpter. C'est bien, ça nous rapproche un peu de notre culture", lance Papo, qui n’avait jamais touché de ciseaux à bois, comme la grande majorité des stagiaires.

Il tient entre ses mains une pirogue miniature dont il est très fier. "Travailler avec ses mains c'est bien. Avant de travailler sur la pirogue on a travaillé l'histoire, la construction, d'où ça vient, tout ça. Pour terminer, on construit notre propre pirogue. Je vais exposer la mienne dans mon salon à ma sortie. C'est une petite fierté, pour nous c'est beaucoup."

Aile Tikoure et Jules Omai de l’association Kenu Waan Project, sont présents pour guider les stagiaires. Et la transmission va bien au-delà du simple geste technique.

"C'est important aussi de réhabiliter la partie sacrée de l'objet. Ça n'est plus un morceau de bois, ça devient une partie de ce qu'on est", souligne Jules Omai.

Une visée pédagogique

Estime de soi, concentration, technique : une parenthèse ludique dans un quotidien d’enfermement. Le stage, comme tous les ateliers proposés par le SPIP (Service pénitentiaire d'insertion et de probation), a d’abord une vocation pédagogique, comme l'explique, Éric Zansius, son directeur.

"On essaie de trouver des activités qui sont adaptées à l'aspect traditionnel, aux coutumes, et qui puissent servir aussi par la suite aux stagiaires. Il y a beaucoup de demandes mais peu de places, puisqu'on accueille une dizaine de personnes maximum. Ça serait compliqué d'avoir beaucoup plus de stagiaires, parce qu'on n'a pas forcément les outils à disposition. Mais voilà, dix c'est déjà bien."

Boniface, un des apprentis sculpteurs, connaît désormais le nom de tous les outils du sculpteur. "Une gouge, c'est fait pour creuser. Il y a différents ciseaux. Ceux qui sont arrondis, ceux plats, ceux en V aussi." Pour la plus grande satisfaction de Jules son formateur. "Ce sont tous de bons élèves. Ceux qui ont envie d'apprendre, retiennent bien les choses. On ne peut pas se dire qu'on ne sait pas le faire, il suffit d'attraper l'outil et de s'y mettre. Avoir des bons frères et un bon entourage pour cadrer ça. Et voilà ce que ça donne au final."

Plusieurs petites pirogues plutôt qu'une seule grande

Les élèves sont assidus et appliqués, le pari est gagné pour le SPIP. Même si la crise que traverse la Calédonie a eu raison du projet initial. 

"On était parti sur l'idée de construire une pirogue grandeur nature et de pouvoir ensuite éventuellement tester sa flottabilité, voir naviguer sur la pirogue, puisqu'on est juste à côté du lagon, raconte Anne-Valérie Rio, directrice du SPIP chargée de la partie dite "fermée". Mais avec les événements depuis le mois de mai, ça a été trop compliqué d'acheminer le bois. Donc on a dû s'adapter et construire non pas une seule pirogue en grandeur réelle, mais plusieurs petites maquettes de pirogues."

Le SPIP dispose d’un budget annuel de 35,7 millions de francs pour financer l’ensemble des ateliers pédagogiques proposés aux détenus.

Le reportage de Charlotte Mannevy