La Chine conserve une influence sur l'Indonésie dans le domaine du nickel. Les Etats-Unis et la Grande Bretagne disposent prioritairement de la ressource canadienne et australienne. L'Europe peut compter sur la Finlande et la Nouvelle-Calédonie, bien que la production calédonienne soit principalement exportée en Chine et plus globalement en Asie. Reste l'épineuse question du nickel russe. Pour le moment, il échappe encore aux sanctions liées à la guerre en Ukraine.
OPEP du Nickel
La proposition de l'Indonésie de créer une organisation pour contrôler la production et les prix du nickel sur le modèle de l'OPEP sera une tâche difficile, selon les analystes du secteur, car la production est contrôlée par des sociétés privées et non par des gouvernements.
La proposition de "coordonner et d'intégrer la politique du nickel" de la même manière que l'OPEP, afin de garantir que les pays producteurs de nickel optimisent leurs rendements et les profits qui en découlent, a été faite par le ministre indonésien de l'investissement lors de discussions avec le Canada.
Cependant, les compagnies pétrolières de nombreux pays de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), comme l'Arabie saoudite, sont la propriété des gouvernements, tandis que dans des pays comme le Nigeria, les contrats stipulent que le gouvernement peut demander aux compagnies pétrolières privées d'ajuster leur production.
"A l'intérieur de l'OPEP, la production de pétrole est essentiellement une entreprise gérée par un 'pays'... la production peut être augmentée ou diminuée par un groupe relativement petit pour influencer la situation mondiale", a déclaré Andrew Mitchell, analyste chez Wood Mackenzie, interrogé par l'agence Reuters.
Dans le nickel, c'est plus disparate - "bien que l'Indonésie contrôle évidemment une grande partie de la production, il y a de grands producteurs ailleurs."
Une production mondialisée
Le Canada a produit 130 000 tonnes de métal de nickel en 2021, selon l'institut géologique américain (USGS). Il est "très peu probable" qu'il participe à un groupe de type OPEP, a déclaré jeudi une source canadienne au fait des discussions. Et puis, il faudrait convaincre Vale et Glencore qui dominent le secteur canadien du nickel, de coopérer. L'un est brésilien, l'autre est Suisse et le nickel n'est qu'une petite partie de leur activité.
L'Indonésie devrait produire entre 1,25 et 1,5 millions de tonnes de nickel cette année, soit plus de 40% de la production minière mondiale estimée entre 3 millions et 3,2 millions de tonnes.
La majeure partie du nickel produit en Indonésie est contrôlée par des entreprises chinoises telles que le géant Tsingshan Holding Group, par ailleurs associé au groupe français Eramet dans la production d’alliages de ferronickel.
"Il est important de noter que la Chine a une influence sur l'Indonésie en ce qui concerne la totalité du secteur du nickel. La Chine n'est pas seulement un consommateur clé du nickel indonésien", a déclaré Tom Mulqueen, analyste chez Citi.
Les entreprises liées à la Chine ont ainsi une participation dominante dans l'industrie indonésienne du nickel, de la mine à l’usine, ce qui représente une source importante d'investissements et d'expertise pour son développement.
Les autres principaux pays producteurs de nickel sont les Philippines, avec 370 000 tonnes l'année dernière, et la Russie, avec 250 000 tonnes, selon l'USGS. La Nouvelle-Calédonie a produit 190 000 tonnes et l'Australie 160 000 tonnes, toujours en 2021.
Le nickel, un marché complexe
"L'avenir appartient aux énergies renouvelables et minières, l'idée indonésienne n'est pas surprenante venant du premier producteur mondial de nickel. Mais un cartel, une "OPEP" du nickel, imposerait une discipline des marchés, la mise en compatibilité des productions, une politique d'entente sur les prix (...) Il y a une énorme difficulté technique, comment définir et influencer les prix du nickel entre pays ayant des coûts de production et des normes environnementales différentes ? (...) Dernier point, la Chine en voudra-t-elle ? Pour la Nouvelle-Calédonie, définir une politique cohérente qui tiendrait compte de deux productions différentes, celle du ferronickel pour l'acier, et celle du nickel pour les batteries ne serait pas simple," conclut Yves Jégourel, professeur titulaire de la chaire Economie des matières premières au CNAM.
Les grandes sociétés productrices de nickel sont Nornickel avec 193 000 tonnes, Vale avec 168 000 tonnes l'année dernière et Glencore avec 102 000 tonnes. La production du groupe BHP au cours des 12 mois précédant juin 2022 était de 77 000 tonnes.
Le nickel pour l'acier n'est pas celui des batteries
Environ deux tiers de la production mondiale de nickel sont utilisés pour fabriquer de l'acier inoxydable, principalement dans des usines sidérurgiques situées en Chine. Sur la dizaine d’usines d'alliages de nickel pour l'acier que compte la planète, deux se trouvent en Nouvelle-Calédonie.
L'utilisation du nickel dans les batteries des véhicules électriques connaît une croissance spectaculaire - elle représente près de 15 % du total cette année et devrait atteindre 20 % en 2025 et près de 35 % en 2030. La Nouvelle-Calédonie possède l'une des grandes usines produisant un nickel intermédiaire pour les batteries.
La géopolitique commence à jouer un rôle démesuré dans le développement de la chaîne d'approvisionnement des batteries, l'Indonésie tombant largement dans la sphère chinoise et le Canada dans celle des États-Unis", a déclaré Greg Miller, analyste chez Benchmark Mineral Intelligence, interrogé par l’agence Reuters.
"Pour le nickel, j'ai le sentiment que les considérations géopolitiques et le chacun pour soi l'emporteraient à la différence d’une organisation de type OPEP."
Pays producteurs avec des niveaux de développement différents, systèmes d'alliances géopolitiques divergents, les chances de réussite du cartel envisagé par l'Indonésie sont minces. La création de cette "OPEP" du nickel nécessiterait de faire converger les intérêts de chacun.
LME Nickel (classe1) le 30/11/2022 à 15:30 GMT 26 585 dollars/tonne - 0,72%