La robe mission en Nouvelle-Calédonie : un symbole colonial devenu signe identitaire

Christiane Waneissi et sa dernière création 2024.
Ce vendredi 15 mars marque la première Journée de la robe mission. Créée à l'initiative d'une couturière, le mouvement a pris de l'ampleur sur les réseaux sociaux. L'occasion de remonter le temps et de s'intéresser à l'histoire de ce vêtement qui a marqué les 170 dernières années des femmes du pays.

Arrivée il y a 170 ans avec les missionnaires anglais, la robe "mission" s'est fait sa place dans le paysage vestimentaire des femmes, kanak, mais pas seulement.

Diffusée dans presque tout le Pacifique insulaire au moment de l'évangélisation, elle a évolué, tant dans ses formes que dans sa symbolique, jusqu'à devenir, aujourd'hui un signe de l'identité calédonienne, au-delà des ethnies, et une source d'inspiration pour de nombreux stylistes, hommes et femmes.

Partie intégrante de notre quotidien

C'est pour rendre hommage à ce vêtement qui fait partie intégrante de notre quotidien que Karen Wassaumi, jeune femme originaire de Pouébo, a lancé récemment l'idée d'une Journée de la robe mission. En deux semaines, sa page Facebook recense plus de 2 000 followers et l'opération espère rencontrer un succès populaire et, pourquoi pas s'inscrire dans le temps.

L'objectif de cet événement "rassembler la population autour d'un symbole qui est devenu un signe identitaire, diffuser, partager nos connaissances sur l’histoire de la robe mission, sachant qu’un gros travail à ce sujet a été effectué notamment par une anthropologue mais également par Madame Waimalo Wapotro", explique Karen Wassaumi.

Les hommes invités à participer

Concrètement en ce vendredi 15 mars, pour célébrer la robe mission, il est demandé aux participants de "poster des photos au travail, à la maison, au lycée, au champ, même en dehors du Caillou, vêtue d'une robe mission, d'une tunique ou d'une chemise", poursuit l'organisatrice. Les hommes sont également invités à participer à l'opération en revêtant une tunique.

Créateurs et stylistes

Également l'occasion de mettre à l'honneur créateurs et stylistes du pays, de plus en plus nombreux depuis quelques années. Comme Christiane Waneissi, qui présentait jeudi 14 mars sa dernière création, une robe mission entièrement brodée avec une doublure en coton. Elle souhaite vendre ses créations sur des plateformes professionnelles de stylistes au-delà de nos frontières.

Christiane Wanissi présente sa dernière création 2024.

170 ans d'histoire

En 170 ans, la robe mission a beaucoup évolué. D'abord imposée par les missionnaires pour cacher le corps des femmes, qui n'était à l'époque recouvert que d'un simple pagne à la taille et était considéré par les missionnaires comme un objet de convoitise. C'est de là qu'elle tire son nom.

"Ce sont en premier lieu les épouses de pasteurs dans les îles qui avaient pour mission de porter l'Évangile auprès des femmes et qui leur ont appris la couture", explique Waimalo Wapotro, spécialiste de la robe mission.

Une robe signée la reine Victoria

Arrivée dans les bagages des missionnaires de la London Missionary Society, la robe mission doit sa forme à un patron dessiné par la reine Victoria elle-même qui "était aussi styliste", détaille Waimalo Wapotro. "À l’époque, elle couvrait le corps du cou jusqu'aux pieds et les manches couraient jusqu'à la main", poursuit la spécialiste.

Lorsque le tissu venait à manquer, les femmes les confectionnaient dans des sacs de farine ou de jute, soigneusement lavés. "Cétait assez incroyable de confectionner des robes avec ça", indique Waimalo. La robe s'est ensuite agrémentée de dentelles, et de boutons à l'arrière qui permettaient aux femmes d'allaiter, mais a toujours conservé, dans tout le Pacifique, son plastron originel, même si chacun y a mis "à sa manière, son évolution".

Des femmes en robe mission.

Je pense que cela a renforcé et confirmé l’intégration de la robe dans notre ADN culturel et donc son port et tout ce qu’elle englobe comme signification a été une revendication.

Karen Wassaumi

Dans les années 70, le port de la robe mission dans les établissements scolaires a été interdit car il était jugé trop "connoté". Des manifestations ont même eu lieu contre cette interdiction. "Je pense que cela a renforcé et confirmé l’intégration de la robe dans notre ADN culturel et donc son port et tout ce qu’elle englobe comme signification a été une revendication", développe Karen Wassaumi. Aujourd’hui le port de la robe mission est totalement normalisé. Elle fait partie du quotidien, à la maison, dans les travaux coutumiers, au champ, lors des matchs de cricket, mais aussi au travail, en s'adaptant aux effets de mode. "On la trouve sous plusieurs formes, en tuniques, en chemises, en robes de mariée, il y a plusieurs coupes, différents coloris, à base de tissus imprimés, ou bien teintées avec des colorants naturels, nous avons le choix !", explique l'organisatrice.

Signe identitaire

Aujourd'hui, la robe est considérée comme un signe identitaire que les autres communautés commencent également, même timidement à s'approprier. "Cette journée est justement une invitation au partage et à l’échange autour de ce sujet. J’ai des collègues européennes qui se sentaient gênées de mettre une robe qui appartient à une autre culture, c’est un signe de respect qu’elles me témoignaient. Je vois cet évènement comme une invitation à partager notre culture. N’est-ce pas le but du destin commun ?", conclut Karen Wassaumi. En tout cas pour Waimalo Wapotro, aucun doute, "la robe mission a encore une longue vie devant elle".

Le reportage d'Alix Madec et Cédric Michaut 

©nouvellecaledonie

Toutes les communautés

La robe mission poursuit donc son évolution. Autrefois imposée à nos ancêtres, puis interdite et revendiquée, pour être finalement intégrée, son destin pourrait bien être d'être finalement partagée par toutes les communautés du pays. Le vendredi 15 mars, si la journée de la robe mission rencontre le succès espéré, elle pourrait bien écrire un nouveau chapitre de sa longue histoire.

Le reportage à Lifou de Clarisse Xowie-Watue et Nicolas Esturgie 

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