“Payer, on ne demande que ça” : les assureurs indemniseront-ils tous leurs clients victimes des émeutes en Nouvelle-Calédonie ?

A la Vallée-du-Tir, plusieurs maisons ont été incendiées, au premier soir des émeutes, le 13 mai 2024.
La trésorerie des compagnies d’assurance calédoniennes est suffisante pour indemniser les sinistrés des émeutes qui étaient assurés. Ils le seront à la hauteur de leur contrat, une fois le rapport d’expertise rendu. Ce qui peut être long, des particuliers en témoignent. Troisième volet de notre série consacrée aux conséquences des émeutes sur les assurances [3/5].

Les compagnies n’ont pas de soucis de trésorerie. L’argent, on l’a. Payer on ne demande que ça”, promet Frédéric Jourdain, le président du comité des assurances. Mais les sinistrés ne pourront être indemnisés en totalité qu’une fois les rapports d’expertise rendus. Ce qui peut prendre du temps. En raison du nombre de déclarations déposées : 3 490, dont 1 710 par des professionnels, 1 520 par des particuliers pour des voitures, 260 pour des habitations. Et de la difficulté à récupérer tous les documents nécessaires à l’expertise. 

Aux particuliers, Ghislaine Cassière, bénévole à l’UFC-Que choisir, spécialiste des assurances, conseille de ne pas rechigner à fournir des photos, des factures, des devis et tout ce qui pourra permettre aux experts de reconstituer les lieux le plus fidèlement possible. “Une maison qui a complètement brûlé, on ne peut pas savoir comment elle était avant.”  

L’appel à la confiance 

Pour indemniser au plus juste, l’assureur aura besoin de savoir si le plancher était en bois massif ou flottant par exemple. Certes, une partie des preuves a pu brûler. Mais “quand un expert vient, il faut accepter qu’il vienne. Les assureurs ne sont pas là pour vous empapaouter. 

Amandine n’a pas cette impression. Elle habitait rue Paul-Bert, à la Vallée-du-Tir. Jusqu’au 14 mai. Cette nuit-là, sa famille est exfiltrée par les secours : la maison voisine brûle. Pendant plusieurs semaines, son conjoint revient y dormir “pour montrer une présence”, un extincteur et un sabre d’abattis à côté de lui.  

La bataille d’une famille 

En juin, ils décident de ré-emménager avec les enfants, en proie à des insomnies et des terreurs nocturnes. Mais la maison d’en face prend feu. La salle de sport, le cabinet médical, les commerces : dans le quartier, tout est ravagé. En juillet, c’est au tour de leur logement.  

 

On se bat parce qu’on a l’impression qu’on est en train de se faire entuber.

Amandine

C’était prévisible. Le 14 mai, les renseignements ont pu être pris de court. Mais en juillet, c’était évitable”, lance-t-elle, “en colère contre l’Etat.” Avec son conjoint, elle a porté plainte. “Une question de principe. Je ne pense pas qu’on gagnera quoi que ce soit.”  

En colère, elle l’est aussi contre l’assurance. “On a reçu 2 millions de francs pour des travaux de sécurisation.” Pour le reste, le dossier est au point mort. La maison n’est plus habitable. "On ne veut pas la reconstruire.” Ce quartier, ils l’ont aimé pour “sa mixité sociale et ethnique”. Aujourd’hui, impossible de se défaire de l'idée que “c’est peut-être des voisins qui ont détruit” une partie de leur vie. “Je ne peux pas avoir peur tout le temps, me méfier de tout”, explique-t-elle, la voix brisée.  

L’évaluation de la vétusté, point de discorde 

Notre contrat ne prévoyait pas la possibilité de reconstruire ailleurs.” Alors ils ont opté pour une indemnisation au prix de la reconstruction à l’identique, moins la vétusté. Le nœud du problème. L’expert de l’assurance et le contre-expert que la famille a choisi de prendre n’arrivent pas à se mettre d’accord sur l’évaluation de la vétusté. "On va demander une tierce expertise.” Ce qui va rallonger les délais de traitement du dossier.  

On se bat parce qu’on a l’impression qu’on est en train de se faire entuber”, explique-t-elle. Elle est responsable administrative et financière, les lignes de compte ne l’effrayent pas. “Mon conjoint travaille dans le BTP”, il connaît les tarifs des matériaux qui composaient la maison. La famille a également “la chance d’avoir scanné énormément de photos et de factures”.  

27 milliards de francs versés, les rendus de rapport s'accélèrent

Évelyne, l’une de leur voisine, qui a elle aussi sollicité son propre expert, rencontre moins de difficultés. Peut-être parce qu’elle a choisi la reconstruction à l’identique et avait fait expertiser sa maison en 2020. Peut-être parce que son assureur joue mieux le jeu. "Des dossiers à plusieurs centaines de milliers de francs ont été clôturés”, annonce son expert, qui a classé les assurances en trois catégories : bon élève, élève moyen, mauvais élève.  

En janvier, les assureurs avaient débloqué 27 milliards de francs aux particuliers et aux entreprises. “Depuis début décembre, en un mois, on a versé 7,6 milliards”, indique Frédéric Jourdain. Les rendus d’expertise s’accélèrent. Les indémnisations aussi. Mais après ? Des sinistrés pourraient se retrouver radiés.