Pérenniser la manne: les leçons du boom minier en Australie

Le Pilbara, une région du nord de l’Australie occidentale, regorge de minerai de fer, exploité entre autres par Rio Tinto. Ici: arrivée du minerai de fer par train au port de Dampier, où il est ensuite chargé sur les bateaux. (Getty Images/AFP/Coopes) (Credit: Getty Images)
Le gouvernement libéral voulait revenir à l’équilibre en réduisant les dépenses, mais il devra aussi augmenter aussi les impôts.Si l’Australie avait mieux géré sa manne minière, peut-être n’aurait-elle pas besoin de mener, aujourd’hui, une politique d’austérité

Le boom australien: le fer et le charbon à coke


La plus formidable période de prospérité qu’ait connue l’île-continent a commencé en 2003. Entraînés par la demande chinoise et asiatique, et une offre trop faible, les cours du fer et du charbon, deux minerais dont l’Australie dispose en abondance, se sont envolés. Une époque dorée pendant laquelle un conducteur de camion dans les mines gagnait environ 150 000 dollars par an, soit 2 fois et demi le salaire moyen australien.

"Mais bien sûr,  ce sont principalement les grandes multinationales et quelques compagnies minières australiennes plus petites, comme Fortescue, qui ont fait les meilleurs profits", explique Paul Cleary, journaliste et chercheur en économie du développement à l'Australian National University, auteur de deux livres sur le boom minier australien. "Ces mines ont généré des profits incroyables. Malgré leurs investissements colossaux dans les infrastructures, les compagnies ont réussi à multiplier par 7 leur profits en très peu de temps."  

Bien sûr, il y a eu des perdants, à commencer par les éleveurs et agriculteurs australiens, et le secteur manufacturier, victimes de la hausse du dollar liée au boom minier. Malgré cela, globalement, l’économie australienne a fait un formidable bond en avant, en pleine crise financière mondiale (2008), au moment même où les grandes économies étaient à genoux. Mais depuis au moins un an, la demande chinoise a ralenti, les prix tombent, et les journalistes et analystes annoncent, lugubres, la fin du boom minier en Australie.

"C’est vrai, le boom des prix des matieres premieres est terminé, mais pas le boom de la production minière", tempère Paul Cleary. "Et quand on combine les prix actuels et le volume de production, on constate que les mines d’Australie rapportent toujours bien plus qu’il y a 10 ans. Donc les prix des matières premières ont beaucoup baissé, mais le volume de production continue d’augmenter, car les compagnies minières ont investi des centaines de milliards de dollars dans de nouvelles mines – même si certaines ne verront pas le jour, et là je pense en particulier à l’exploitation du gaz de houille dans le Queensland. Mais depuis le début du boom, le volume de production de l’Australie a doublé, voire triplé, en fonction des matieres premières."

90% de la manne minière dilapidée 

Aujourd'hui, la dette publique de l'Australie atteint 35.1% du PIB, soit 11.6% de plus qu'il y a 10 ans. La dette se creuse, et beaucoup de politiques et d'économistes attribuent le problème avant tout à l'essoufflement du boom minier, lié entre autres à une baisse de la demande chinoise. Mais le ralentissement chinois n’est pas une surprise. Ce qui est plus surprenant en revanche, c’est que l’Australie donne l’impression d’avoir raté son rendez-vous avec la manne minière.

"L’une des grandes lacunes du système fiscal australien, c’est qu’il n’y a pas de vraie taxe minière. On a bien des impôts sur les societies, dont les compagnies minières s’acquittent (auprès du gouvernement fédéral, NDLR). Les gouvernements d’état exigent aussi des royalties des compagnies minières, mais elles sont très faibles: 5% pour le charbon, de 10 à 12% pour le pétrole, environ 7% pour le minerai de fer. Mais nous n’avons pas de taxe supplémentaire sur les profits, comme en Norvège ou au Royaume-Uni", regrette Paul Cleary. "C’est une façon de reconnaître que ce sont des ressources épuisables, et qu’elles appartiennent au peuple, et que donc les compagnies minières doivent payer plus pour bénéficier de ces ressources non renouvelables."

Pis, durant les premières années du boom, affirme Paul Cleary, les revenus supplémentaires tirés des taxes déjà existantes sur les sociétés minières ont été dilapidés par le gouvernement du Libéral John Howard: "Un document du Trésor (l'équivalent du ministère du Budget, NDLR) confirme que 90% de la manne de 330 milliards de dollars de revenus générés par le boom minier ont été dépensés par le gouvernement Howard durant les dernières années de son mandat (John Howard a quitté le pouvoir en décembre 2007, NDLR)", pointe le journaliste et chercheur. "Quand les futures générations d’Australiens analyseront le boom, ils se diront: nos parents étaient cupides et court-termistes, ils ont tout dépensé et nous ont juste laissé tous ces trous dans la terre ", ajoute-t-il.

Le flop de la taxe minière 


Les gouvernements travaillistes de Kevin Rudd puis de Julia Gillard ont bien tenté d’instaurer une taxe sur les profits miniers, mais le lobbying intense des compagnies minières a eu raison du projet, réduit à peau de chagrin. La taxe minière a donc fait long feu. Instaurée le 1er juillet 2012 par la Travailliste Julia Gillard, elle a été abolie en septembre 2014 par le gouvernement libéral de Tony Abbott. La premiթre année, la taxe minière n’a rapporté que 400 millions de dollars à l’état, au lieu des 3.7 milliards escomptés par les Travaillistes. Car beaucoup de compagnies minières ont échappé à la taxe. « Le gouvernement n’a taxé que les compagnies qui produisent du fer et du charbon, explique Anne Garnett, économiste à l’université Murdoch, en Australie occidentale. Et ces entreprises pouvaient déduire de la taxe minière tous leurs investissements, qui étaient absolument colossau  pendant la phase de construction, sur une période de 24 ans. Ce qui a permis aux compagnies minières de payer très peu de taxes, et seulement de 2005 à 2010. Et en plus, si les états australiens augmentaient les royalties, les compagnies minières avaient le droit de déduire les royalties de la taxe minière. »

L’exemple ignoré de la Norvège


Beaucoup d’économistes estiment que l’Australie aurait du prendre exemple sur la Norvège. Quand des gisements de pétrole ont été découverts dans les eaux du pays, dans les années 60, la Norvège a créé le Fonds National du Pétrole, « donc à chaque fois que les compagnies puisent du pétrole dans les eaux norvégiennes de la Mer du Nord,explique Christine Ingebritsen de l’Université de Washington, un pourcentage va dans ce fonds, elle est réservée aux générations futures, pour les aider quand les gisements de pétrole seront épuisés. » 819 milliards de dollars sommeillent dans ce fonds souverain. Mais pour la première fois, pour faire face à l’effondrement des cours du pétrole, la Norvège a du prélever de l’argent dans ce fonds, en janvier dernier.

 

La fin de l’âge d’or… jusqu’au prochain boom? La seconde chance venue de l'Inde. 

 

Le boom minier ralentit en Australie, mais elle pourrait avoir une seconde chance, un nouveau boom, qui lui permettrait d’apprendre à pérenniser sa manne. Le scénario n’est pas improbable, étant donné que l’île-continent dispose toujours de deux atouts majeurs, le charbon et le fer. 

« Il faut bien comprendre qu’il faut énormément d’acier pour industrialiser un pays. Et pour produire de l’acier, il faut du charbon à coke, dont l’Australie est le premier fournisseur mondial, et il faut bien sûr du fer. Par rapport à la Chine, l’Inde est toujours très peu industrialisée et urbanisée, et ils sont 1 milliard. Donc dans les prochaines décennies, il est possible que la demande de fer et de charbon à coke continue à être soutenue, grâce à la demande de l’Inde qui va entamer sa transition vers une économie plus industrialisée et urbanisée. »