Photos et documents jaunis par le temps, liste de noms et de numéros de matricule, dossiers et boîtes rigoureusement classés… Voilà "l’autre univers" de Catherine Adi. Chaque samedi matin, cette arrière-petite-fille et petite fille de travailleurs engagés originaires d’Indonésie troque sa casquette d’attachée de conservation du patrimoine contre celle de chercheuse en histoire aux archives de la Nouvelle-Calédonie. Depuis 1996, elle épluche ainsi l’ensemble des dossiers stockés à Nouville sur les travailleurs indonésiens sous contrat venus sur le Caillou, de 1896 à 1955, soit du premier convoi d’arrivée au dernier convoi de rapatriement. Une manière pour Catherine Adi de retracer son histoire personnelle.
Le silence de la famille
"J’étais beaucoup avec ma grand-mère paternelle quand j’étais petite, mais elle ne parlait jamais de ses origines, explique ainsi Catherine Adi, cela me perturbait. Elle parlait javanais, mais pourquoi ne parlait-elle jamais de Java ? A l’école, on devait faire notre arbre généalogique, mais je n’arrivais pas à remplir les cases. Quand je posais des questions, je n’avais pas de réponse. Ma grand-mère disait : "j’ai oublié". C’était frustrant. » Catherine Adi ne se décourage pourtant pas. Son bac en poche, elle se lance dans des études d’histoire avec une idée bien précise en tête : écrire un mémoire pour mieux comprendre les racines de la communauté indonésienne. Un travail qui implique de recueillir les témoignages des engagés encore vivants du Caillou. "Ma grand-mère disait toujours de bien travailler à l’école, ce que j’ai fait. Je lui ai donc demandé de me raconter son passé, car je serais évaluée sur son histoire pour mon mémoire, sourit Catherine Adi. Cela a été le déclic. Elle m’a demandé de prendre une valise en haut de l’armoire de sa chambre. Et là, j’ai enfin pu mettre des images derrière le silence. Il y avait une photo d’elle, à son arrivée en Nouvelle-Calédonie à l’âge de 4 ans. C’était le choc. À partir de ce jour-là, sa parole s’est libérée."
Le premier ouvrage sur les engagés de Java
À la fin de son DEA, obtenu à l'EHESS Marseille, Catherine Adi décide d’écrire un livre, "car je ne me sentais alors pas assez mature pour rédiger une thèse de doctorat". Orang Kontrak est publié en 2014. Pour la première fois, un ouvrage complet est consacré aux travailleurs engagés venus de Java. "Je me suis opposée à la stratégie de silence de ma grand-mère et ce livre est un exemple pour encourager l’ensemble des descendants à faire des recherches sur leurs ancêtres", estime Catherine Adi, qui a à cœur de faire découvrir ce pan de l’histoire calédonienne. S’ensuit, pour la chercheuse en histoire, un apprentissage accéléré de la langue indonésienne et plusieurs voyages dans le pays de ses aïeux. "J’ai même pu me recueillir sur la tombe de mon arrière-grand-mère à Jakarta, je me sentais toute petite." Aujourd’hui, Catherine Adi consacre tout son temps libre a un travail pour l’Agence nationale de la recherche. Sa mission ? Se plonger dans 1 253 dossiers d’engagés afin de saisir l’ensemble des données et d’en dégager des statistiques. Ce travail minutieux, qu’elle doit avoir achevé d’ici 2024, est loin de lui faire peur. "J’en rêvais. J’ai toujours voulu que cette histoire soit connue et reconnue jusqu’à Paris. Aujourd’hui, c’est en bonne voie. Quand on découvre ses origines, la première fois, il faut avoir le cœur solide. Mais une fois cette étape passée, la suite est merveilleuse, la preuve !"