Un grand sourire s’affiche sur le visage de Charlotte Thaiawe à l’évocation de son enfance à Lifou, tribu de Thuahaik. "Quand je pense à la tribu, je pense à la liberté et à la nature, je garde un très bon souvenir de mon enfance, dans un contexte familial très aimant." En septembre 2001, alors qu'elle est âgée de 15 ans, l’adolescente part passer quelques jours de vacances au Mont-Dore. C’est durant ces vacances, lors d’une journée à la rivière, que sa vie bascule. "J’ai sauté dans l’eau pour faire un plongeon et mes cervicales ont été touchées, ce qui fait que je suis aujourd’hui en fauteuil roulant." Un accident "très brutal" qui oblige la jeune femme à venir vivre à Nouméa auprès de sa mère. "C’était un environnement plus adapté pour le fauteuil roulant, plutôt qu’à la tribu avec mes grands-parents". Charlotte Thaiawe met des mois à apprivoiser sa nouvelle vie. "Au début, je ne me rendais pas vraiment compte de ce qui m’attendait, car je ne connaissais pas du tout le monde du handicap, c’est en sortant du milieu hospitalier que j’ai compris que ça n’allait pas être drôle." Elle se remémore encore aujourd’hui difficilement son premier jour au collège de Koutio, pour la première fois étudiante en fauteuil roulant. "Il fallait apprendre à faire avec le regard des autres, réapprendre comment le corps réagit et prendre l’habitude d’avoir un tiers avec moi, c’était compliqué, je crois que mon cerveau a préféré oublier. Il y avait, en plus, beaucoup de stress, car les aides étaient moins bien organisées à l’époque." Face à ces défis, la jeune femme se fait une promesse : prendre sa revanche sur le handicap en réussissant ses études. "J’ai beaucoup mûri à cette époque et j'ai appris à relativiser. En voyant tous les blessés autour de moi au centre de rééducation, je me suis dit que si je ne pouvais plus marcher, je pouvais toujours réfléchir et qu’il fallait que j’aille de l’avant."
À la conquête de son autonomie
Charlotte Thaiawe décroche un bac économique et social au lycée du Grand-Nouméa, avant de se lancer dans une licence d’économie-gestion à l’Université de Nouméa, puis dans un master d’économie à Montpellier. "J’avais envie de faire de la psychologie au début, mais je ne voulais pas rejoindre l’Hexagone dès ma licence, car je voulais d’abord apprendre à vivre seule." Elle doit, pour cela, convaincre les bailleurs sociaux de la faisabilité de son projet. "Il y avait encore beaucoup de préjugés autour du handicap à l’époque, de nombreuses peurs." A 21 ans, Charlotte Thaiawe arrive enfin à s’installer seule dans un appartement, au centre-ville de Nouméa. "Avoir mon chez-moi, c’était une grande victoire, que ce soit pour mon autonomie ou ma liberté, me dire que je pouvais vivre toute seule !" Arrivée à Montpellier, l’étudiante découvre qu’une autonomie encore plus grande est possible. "Tous les transports en commun étaient adaptés et il y avait tout un dispositif qui me donnait plus de liberté, me permettait de sortir et de rentrer tard si je voulais, tout était plus facile, ce qui m’a permis, par exemple, de passer d’un fauteuil manuel à un fauteuil électrique." A son retour à Nouméa en 2013, Charlotte Thaiawe découvre, au contraire, que les choses sont encore compliquées en Nouvelle-Calédonie pour les personnes à mobilité réduite. "Le service des auxiliaires de vie s’arrêtait à 19 heures, par exemple. Pour prévoir une sortie le soir, il fallait négocier, c’était au bon vouloir des professionnels. J’étais frustrée, presque révoltée, car c’est important l’autonomie, surtout quand on est en fauteuil roulant."
"Toujours regarder le bon côté des choses"
Pour pallier ce manque, Charlotte Thaiawe co-fonde en 2017 Vilavi, une société de services à la personne pour les personnes âgées et en situation de handicap. "On propose, notamment, un service avec des auxiliaires de vie jusqu’à 22 heures, c'est important pour moi de rester à l'écoute des besoins de chacun. Je suis contente, car je retrouve ici une partie de la psychologie, j'aime écouter les gens. Et grâce à mon parcours, j'ai pu y ajouter le côté économique." La cheffe d’entreprise a de nombreuses autres idées et envies en tête. "J’ai vu que certaines villes proposent des rondes de nuit, pour pouvoir offrir des passages rapides à ceux qui auraient envie de veiller." Une liberté, moteur de vie de Charlotte Thaiawe. "Les choses évoluent bien et les personnes à mobilité réduite sont de plus en plus visibles, c'est important pour que tout le monde comprenne que nous ne sommes pas des personnes fragiles qui doivent rester dans leur famille, nous avons le droit et l'envie de vivre notre vie, sortir. Je rencontre souvent des gens qui veulent me protéger, ce n'est pas méchant, mais je leur explique que je peux, et que je veux, me débrouiller seule." Aujourd’hui, l’entrepreneuse a un nouveau projet en tête : celui de retourner vivre à Lifou, pour un an ou deux. "Ça a été un grand déchirement de quitter la tribu et je ne sais pas si je vais réussir à y retourner car il faut organiser les aides et ce sera peut-être compliqué pour les transports, mais j’aimerais vraiment retourner vivre chez moi, et comme je préfère toujours regarder le bon côté des choses, je me dis que c'est possible."