PORTRAIT. Émeutes et humour. Tapepas Lawère, le mystérieux internaute aux 20 000 abonnés

C'est dans les scènes du quotidien que Tapepas Lawère trouve l'inspiration.
Ils sont caricaturiste, youtubeur ou simple internaute. Depuis le déclenchement des émeutes en Nouvelle-Calédonie, ils racontent la crise à leur manière, entre parodie et humour noir. Caché derrière un pseudonyme, Tapepas Lawère relate les événements sur Facebook et TikTok, où près de 20 000 "followers" le suivent. Des publications parfois corrosives, qui lui ont aussi attiré les foudres de la justice.

"On peut rire de tout, mais pas avec tout le monde." Cette célèbre phrase de l'humoriste Pierre Desproges, Tapepas Lawère l’a apprise à ses dépens. En août, le tribunal correctionnel de Nouméa l’a condamné à quatre mois de prison avec sursis pour incitation à commettre un délit par incendie. Refroidi par cet épisode judiciaire, c’est dans le cabinet de son avocat, non loin du palais de justice, qu’il nous reçoit pour cet entretien. Un rendez-vous qu’il a fini par accepter, après bien des précautions.

 

Anonymat

Plusieurs conditions sont posées avant la parution de cet article. Pas de nom, pas de photo et surtout pas de commentaire sur la décision de justice. "Nous n’avons pas fait appel. Mon client respecte la décision et l'a comprise", précise son conseil.

Malgré son passage à la barre, le jeune internaute n’a pas cessé ses publications humoristiques sur les réseaux sociaux. Mais il y réfléchit désormais à deux fois avant de poster photos et commentaires. "Je fais vraiment attention à ce que je dis". Et son avocat d'ajouter : "Il a compris les limites à ne pas franchir, à savoir celles de la loi."

Il tient aussi à garder son anonymat, après avoir "reçu des menaces". Pour ses 13 000 abonnés Facebook et 7 000 sur TikTok, il reste donc Tapepas Lawère, une expression bien calédonienne que l'on pourrait traduire pudiquement par "arrête de ne rien faire". 

La solidarité et la résilience des Calédoniens, qui arrivent à garder le sourire malgré les difficultés, c'est ce qui m'a le plus marqué. C’est pour ça que mon humour a trouvé un écho, je pense.

Tapepas Lawère, internaute

 

 

Messages d’abonnés

Tapepas Lawère n’a pas attendu les émeutes pour commenter de son humour caustique le quotidien des Calédoniens. "J’ai commencé il y a six ans, avec le même pseudo. Mais c’est vrai que je publie beaucoup plus depuis le 13 mai."

Ce qui l’a le plus marqué depuis le début de la crise ? "La solidarité et la résilience des Calédoniens, qui arrivent à garder le sourire malgré les difficultés. C’est pour ça que mon humour a trouvé un écho, je pense."

Ces trois derniers mois, il a reçu énormément de messages de ses abonnés. Des jeunes, mais aussi des "vieux", qui lui demandent parfois de l’aide, parce qu’il n’y a plus de transports en commun depuis la crise.

Apolitique

"Les gens qui me suivent sur Facebook et TikTok sont aussi bien loyalistes qu’indépendantistes", insiste ce jeune qui se décrit comme "apolitique". Dans un archipel fracturé entre désir d’indépendance et attachement à la France, lui préfère aborder ces questions "sans se prendre au sérieux".

"Je n’ai absolument rien contre nos élus", assure celui qui s’est fendu d’un "Backès je t’aime", sur sa page Facebook. Contrepied aux nombreux messages haineux contre la présidente de la province Sud, qui fleurissent sur les murs de la Nouvelle-Calédonie depuis le 13 mai.

Repris par TF1

Spontané, espiègle, voire dérangeant pour certains, son humour s'inspire des scènes du quotidien, glanées au gré de ses déambulations dans la capitale et son agglomération.

Car Tapepas Lawère marche beaucoup. C’est à pied que cet habitant de Nouméa rejoint la commune de Dumbéa pour filmer une intervention des forces de l’ordre, poursuivies par de jeunes émeutiers, il y a près de deux mois. Des images qui feront le tour de la France, puisqu’elles seront reprises sur la chaîne nationale TF1, avec son pseudo en guise de crédit.

"J’ai découvert le reportage sur TikTok par hasard. C’était à la fois surprenant et effrayant", confie le jeune homme, extrêmement timide, qui ne s’attendait pas à cette soudaine exposition médiatique.

 

Petites annonces et dédicaces

Si faire rire est une seconde nature, il ne se reconnait pourtant en aucun humoriste. Les numéros de stand-up ou les comédies ? "Je n’en ai vu aucun, même pendant mes trois ans en Métropole." Les seuls spectacles qui le font vibrer, "ce sont les matchs de foot". "Les équipes de Bordeaux et Nantes", plus particulièrement.

Ce qu'il aime le plus, ce sont "les discussions en famille", les anecdotes. "Je ne regarde pas vraiment la télé mais j’adore écouter la radio. Surtout les petites annonces et les dédicaces." Celui qu'il préfère écouter, c’est Clément, ancien animateur de NC la 1ère et humoriste, parti faire ses études dans l’Hexagone. "Lui, je le trouve vraiment bien."

Orthographe

Humoriste itinérant, Tapepas Lawère se faufile partout en toute discrétion. Aussi bien pour passer un poste de contrôle des gendarmes, que pour discuter avec les voisins vigilants. Sa "seule crainte aujourd’hui, c’est de blesser les gens". Et de franchir les limites fixées par la loi. D’où ce rappel nécessaire sur son compte Facebook pour clarifier son intention : "Ici, tout est fait pour vous faire sourire". 

Mais plus encore que la justice, celle qu’il craint par dessus tout, c’est sa mère, qui a fait carrière dans l’enseignement. "J'ai pas intérêt à faire une faute d’orthographe. Elle a toujours été très stricte avec le français."

A découvrir samedi 14 septembre, l'humour selon la dessinatrice satirique IceTi