Jacques Lalié a-t-il bafoué les règles de la commande publique ? Au tribunal correctionnel de Nouméa, mardi matin, le président de la province des îles Loyauté devait répondre des infractions de favoritisme et de travail clandestin entre 2019 et 2022. Mais son procès a été reporté à la demande de ses avocates. Mes Nadine Pidjot, Barbara Brunard et Sybille Claveleau ont sollicité le renvoi "pour préparer utilement la défense de Jacques Lalié car nous avons eu à notre disposition une copie tardive du dossier".
La procureure de la République Fanny Philibert ne s’est pas opposée à cette demande, rappelant toutefois que "le prévenu a reçu sa convocation depuis le 9 décembre. Il avait largement le temps de prévenir ses avocats." Et d'ajouter : "Je demande que ce soit l’ultime renvoi."
Un contrat d’une trentaine de millions de francs
Concrètement, il est reproché à Jacques Lalié l’infraction de favoritisme dans l’attribution d’un marché public, passé entre la province qu’il dirige depuis 2019 et une société, pour la modernisation du système informatique interne de l’institution. Un appel d’offres divisé en deux lots avait été passé en février 2020 avant que, huit mois plus tard, ladite société remporte le contrat, évalué à une trentaine de millions de francs.
Or, les gendarmes de la Section de recherches avaient estimé que le responsable politique a négligé les règles du code des marchés publics. Qu'il a notamment méconnu les principes de transparence et d’égalité de traitement entre les candidats. En clair, la justice se demande si la société qualifiée a été favorisée alors qu’elle n’était pas la mieux placée dans les conclusions du rapport d’analyse des offres. Plus surprenant encore, la société qui avait été écartée, et qui avait pourtant obtenu la meilleure note globale, proposait un prix plus bas que celle finalement retenue.
Une volonté de la collectivité de favoriser cette société.
Jugement du tribunal administratif
Avant que le parquet de Nouméa ne s’intéresse de près à ce dossier, la rapporteure publique du tribunal administratif avait déjà considéré, en avril 2021, que l’attribution de ce marché résultait "d’un arbitrage manifestement discrétionnaire, déconnecté des règles juridiques". Affirmant par la suite que le contrat "était entaché d’irrégularités". Et le jugement du tribunal administratif avait été tout aussi cinglant, relevant que "les vices relevés dans la procédure d’attribution du marché relèvent d’une volonté de la collectivité de favoriser cette société".
Le président Jacques Lalié avait alors accusé l’Etat de "harcèlement politique". Etat qui utiliserait "des procédés inéquitables, notamment par l’utilisation de moyens détournés, pour discréditer une collectivité qui conduit ses politiques publiques vers la pleine souveraineté".
Plus de 18 millions de francs avec une société de communication
Les gendarmes se sont aussi intéressés à une deuxième affaire, jusque-là jamais révélée. D’après nos informations, il est reproché au cadre de l’Union calédonienne d’avoir, entre 2019 et 2022, signé des conventions de fonctionnement entre la province et une société de communication, gérée par une de ses proches, pour un montant total de plus de 18 millions de francs. Or, les enquêteurs ont découvert que les principes des marchés publics n’avaient pas été respectés, puisque aucune publication de l’offre n’avait été publiée, et aucun autre devis n’avait été effectué.
Le montant ne dépassait pas le seuil de 20 millions de francs prévu par le code des marchés publics qui oblige, dans ce cas précis, un appel d’offres. Mais la province aurait dû étudier au moins trois devis différents. Ce qui n’a pas été le cas, seule la société de communication choisie a été sondée.
Autre élément à charge : la gérante de cette fameuse société de communication s’est personnellement investie auprès de Jacques Lalié, en assurant le poste de chargée de communication et des relations presse entre avril 2021 et décembre 2022. Plusieurs conventions auraient ainsi été signées, ce qui représenterait plus de 10 millions de francs.
Un procès au 13 février 2024
Le parquet de Nouméa reproche donc à l’élu de s’être mis dans une situation de fausse sous-traitance, car la chargée de communication aurait dû disposer d’un contrat de travail. Ce qui explique l’infraction de travail clandestin qui est reproché à Jacques Lalié. A l’audience, mardi matin, un représentant de la Cafat a justement déposé des conclusions. La caisse s’estime lésée puisque la province n’a pas payé de contributions et de cotisations sociales au titre d’employeur.
La demande de renvoi des avocates de la défense a finalement été acceptée par le tribunal correctionnel. Les deux dossiers doivent être jugés le 13 février 2024.