Certains le décrivent comme le "barrage le plus dur de Nouvelle-Calédonie". Pourtant, ceux qui le tiennent se disent pacifiques. Ils résistent ici, tee-shirt autour de la tête pour les plus jeunes, qui vous saluent quand vous le traversez en voiture. Mais vendredi 24 mai, brutalement, à entendre les témoignages, les lieux se sont transformés en scène de guerre. "On nous a prévenus qu'ils allaient arriver, retrace Gilles, qui se fait le porte-parole de ses camarades. Ils nous ont chargé, direct. A coup de bombes lacrymogènes, de grenades et de flash-ball. Ça s'est passé depuis l'hélicoptère, sur les voitures, sur tout le monde."
Sans sommation
Le feu a pris dans les brousses, et à proximité du complexe Mercier. "On a éteint l'incendie pour protéger les magasins et les habitations. Quand les pompiers sont arrivés, ils les ont bloqués [les forces de l'ordre]. Le feu est allé jusqu'aux panneaux solaires." Mercredi 29 mai, c'est encore monté d'un cran. "On s'est retirés du barrage après le premier assaut. Certains d'entre nous ont discuté avec eux. Puis le GIGN est venu et ils ont mis des mecs dans les fourgons. On s'est repliés parce qu'ils tiraient des grenades, des bombes lacrymogènes, et à balles réelles. Ils nous ont chargés jusqu'à la tribu de Nassirah, là-haut."
Gilles raconte "l'embuscade" qui a suivi. Alors qu'il quitte le barrage pour se mettre à l'abri, sur la route de Nassirah, des forces de l'ordre "tirent à balles réelles, et installent des herses" pour empêcher la progression des véhicules. "Des gens qui descendaient de Thio pour aller au magasin se sont fait attraper. Y a un vieux qui a été fouillé au corps, menotté au sol." Sur le toit de la voiture de Gilles, un trou béant.
"Sans eux, le commerce aurait brûlé trois fois"
"Depuis qu'on a installé le barrage, il n'y a aucun problème : on a toujours sécurisé les commerces et les stations-services. Ça a toujours été filtrant", affirme Gilles. Stéphanie, la directrice de Boulouparis express, confirme. "On n'a été prévenus de rien. Vers 13h30, mercredi, on a vu les blindés arriver donc on a fermé le magasin, dans lequel on est restés enfermés jusqu'à 20h30. J'ai appelé la gendarmerie, qui ne pouvait pas intervenir, et ils ont demandé à Gilles de m'escorter jusqu'à chez moi. C'est quelqu'un du barrage, qui est avec nous depuis le début, et qui protège notre magasin. Sans eux, le commerce aurait pu brûler trois fois."
Que s'est-il passé pendant sept heures ? "Beaucoup de tirs, confirme Stéphanie. Je ne peux pas dire qui a tiré. On n'avait pas de visibilité. Il y a eu beaucoup de fumée dans le magasin. Ça a été un moment angoissant et long pour mon équipe. On s'est retrouvés au mauvais endroit, au mauvais moment. On est un commerce de proximité, notre volonté c'était de rester ouvert pour les habitants." Fatiguée, Stéphanie estime "qu'il serait temps que tout le monde se mettent autour d'une table pour parler, dans le calme surtout. " Elle rouvrira son commerce vendredi, ou samedi.
Des impacts sur la chaussée
Sur la transversale, des impacts ont abîmé la chaussée par endroits. Une conduite d'eau éventrée recrache de l'eau. Des bris de verre, des morceaux de phare, une boîte d’œufs : à en croire Gilles, c'est là qu'a eu lieu "l'embuscade".
A l'entrée de la tribu de Nassirah, une voiture est stationnée sur le bas côté. Enroulé autour du pneu avant droit, une herse indique qu'elle a fini sa course avec difficulté. C'est un couple qui remontait de Boulouparis. Deux habitants de la tribu qui revenaient des courses au village. "Ils ont été piégés, embarqués, menottés, et maltraités aussi", déplore Gilles.
Mercredi soir, le Haut-commissariat, sur son compte Facebook, postait qu'"une opération de sécurisation menée par la gendarmerie a permis de dégager le carrefour entre la RT1 et la RP4."
"On a fait des accès plus pratiques pour les camions citernes. On a arrêté les feux sur le barrage exprès. Mais on a jamais vu ces camions", explique Gilles. C'est la condition des pétroliers pour acheminer le carburant : que les routes soient libérées.
"On a eu la trouille"
A Boulouparis, on découvre des hectares brûlés de chaque côté de la RT1, sur la route de Nassirah, et au plus près d'habitations. Un homme témoigne : "Vers 15 heures, mercredi, le feu a démarré à cause des bombes lacrymogènes. Les forces de l'ordre ont bloqué trois ou quatre pick-ups sur la route. On a dû évacuer nos deux enfants par dessus la barrière chez le voisin pour les mettre à l'abri. J'ai éteint moi-même avec le tuyau d'arrosage. J'ai réussi à protéger la maison. On a eu la trouille. Les gosses sont traumatisés. Le mec de l'hélicoptère tirait. Ils nous ont laissé livrés à nous-mêmes."
"On a eu des feux de brousse très impressionnants", admet le maire de la commune. La cause ? "Il y en a eu au moment des interventions des forces de l'ordre. Pour moi, il y a deux sources : les personnes qui sont sur les barrages, qui mettent le feu, probablement pour se protéger avec la fumée, et je pense que les grenades qui sont lancées par les forces de l'ordre peuvent aussi mettre le feu."
Concernant les coups de feu : "à ma connaissance, les forces de l'ordre n'interviennent pas par balles, mais avec des grenades, explique Pascal Vittori. Mais des tirs ont été échangés à un moment mercredi. Les barragistes ont tiré sur les forces de l'ordre, et ces dernières auraient riposté." Ce jeudi, le barrage est toujours actif au carrefour de la route de Thio. "Ce que je souhaite, c'est qu'on puisse être ravitaillés, le plus rapidement possible, en médicaments, en vivres et en carburants", conclut le maire.