Portrait. Découvrez le destin peu commun de Sophie Nakamura, métisse et mémoire des Japonais de Saint-Louis

Sophie Nakamura devant un cliché de ses parents juste mariés : Marianne Wamytan, alors fille du chef de Saint-Louis et monsieur Nakamura, Japonais venu travailler dans les mines à Thio juste avant la Première Guerre mondiale.
Sophie Nakamura est née à Saint-Louis il y a près de 87 ans. Son père, Japonais venu travailler dans les mines, y cultivait le riz alors que sa mère était la fille du chef de la tribu. Entre l’apprentissage du nraa drubea, la pratique du tayo (créole de Saint-Louis) et ses voyages au Japon, Sophie Nakamura a passé sa vie à naviguer entre les cultures qui l’ont construite. Découvrez son portrait dans Destins peu communs.

Face à des photos en noir et blanc accrochées au mur de chez elle, Sophie Nakamura commence à raconter sa vie. Née à Saint-Louis le 29 octobre 1936, elle est la quatrième de la famille. Son père était Japonais, venu travailler à Thio, à la SLN. Bloqué par la Première Guerre mondiale à la fin de son contrat de quatre ans, il reste alors en Nouvelle-Calédonie pour chercher du travail.

Il s’installe à Saint-Louis avec un groupe de Japonais dans la même situation que lui pour démarrer la culture du riz. Les femmes de la tribu viennent petit à petit travailler dans les rizières et c’est là que le père de Sophie Nakamura rencontre Marianna Wamytan, la fille du chef. "Le mariage a été difficile à faire accepter, explique Sophie Nakamura, elle était certainement promise, de par sa position de fille de chef, mais ils ont fini par se marier et ont eu six enfants."

Le couple loue un terrain à la mission de Saint-Louis. "Ma jeunesse a été bercée par les fêtes coutumières, ma maman ne voulant pas s’éloigner de sa famille et des fêtes religieuses, car elle était très pieuse, elle a d’ailleurs converti notre papa au catholicisme." Enfant, Sophie Nakamura parle le tayo, le créole de Saint-Louis. "Les religieuses à l’école ne voulaient pas qu’on parle le nraa drubea, cette langue se perdait peu à peu mais nous, les enfants, on aimait, et on aime toujours quand on se retrouve entre cousins, se parler en tayo."

Un père emprisonné après Pearl Harbor

Lors de la Seconde Guerre mondiale, la vie de Sophie Nakamura bascule. Comme les autres Japonais du territoire, son père est arrêté après l’attaque de Pearl Harbor. "Comme il faisait partie des quelques Japonais naturalisés français, il a eu un traitement de faveur, car il est resté tout le temps de la guerre à Nouville, en résidence surveillée et nous allions le voir les dimanches."

Alors qu’il est là-bas, la mère de Sophie Nakamura décède d’une maladie des poumons. La petite fille se retrouve alors pendant deux ans à la tribu avec son frère, avant de rejoindre ses grandes soeurs en pension à Bourail à la fin de la guerre. 

Au même moment, en 1946, son père rentre à Saint-Louis et se remet à cultiver la terre. "Mais pas le riz, c’était trop dur, se souvient aujourd’hui la retraitée, il ne s’est jamais remarié non plus, il travaillait beaucoup." A son arrivée à Bourail, Sophie Nakamura apprend le français, elle qui ne parle pratiquement que le tayo. Diplômée en 1953, elle travaille trois ans comme institutrice avant de commencer une carrière à Nouméa, au sein de l’OPT.

Voyage au Japon et apprentissage du nraa drubea

Peu à peu, Sophie Nakamura se rapproche de l’amicale japonaise de Nouvelle-Calédonie. Elle creuse son histoire, que son père n’a pas le temps de lui transmettre. Elle prend des cours de japonais, s’engage dès qu’il est possible de le faire. Elle découvre ainsi le destin d’autres métisses japonais de Nouvelle-Calédonie, dont "certains ont cru que leurs pères les avaient abandonné durant la guerre". 

En 1980, elle entreprend avec une de ses soeurs un voyage près d’Hiroshima, pour rencontrer la famille de son père, lui qui n’est jamais retourné au Japon de sa vie. "J’avais un poids par rapport au fait de ne pas avoir essayé de ramener notre papa au Japon et lors de ce voyage, alors que je brûlais un encens dans la maison familiale retrouvée, j’ai senti ce poids s’envoler, je me suis sentie bien, il fallait faire ce chemin."

Dans le même temps, Sophie Nakamura cherche à apprendre la langue de son clan maternel. Elle collabore avec Tadahiko Shintani dans les années 90, linguiste japonais auteur, entre autres, d’un dictionnaire et d’une grammaire en nraa drubea (travaux révisés en 2008-2009 par l’Académie des Langues Kanak ). Aujourd’hui, après quatre voyages au Japon, Sophie Nakamura vit toujours entourée de livres d’histoire et de linguistique. "Je suis toujours curieuse, je me sens nourrie de mes deux cultures et j’en suis très heureuse."

Découvrez cet épisode ainsi que tous les autres de Destins peu Communs, l'émission qui part à la rencontre de nos identités (diffusion en radio les mardis à 12h17 et rediffusé le dimanche à 12h20).    

 

Un grand merci à Imag’In qui nous a permis d’utiliser la chanson enregistrée avec le regretté Evans Koindredi dans le cadre de l’émission Ihnim à la baie de Toro à PaïtaPour voir la vidéo de cet enregistrement : https://www.youtube.com/watch?v=hHkvUGbWYkU

Autre ressources musicale : la vidéo de présentation de l’association de tambours japonais de Nouvelle-Calédonie (lien : https://www.youtube.com/watch?v=wc46FqyDVUU&t=10s) et les enregistrements de l’hymne "Soyons unis, devenons frères" par la chorale Melodia (lien : https://melodia.nc/hymne/enregistrements.html )

Pour les extraits sonores historiques, la vidéo avec des images japonaises de l'attaque de Pearl Harbor est visible sur le site de Lumni (lien : https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000000239/images-japonaises-de-l-attaque-de-pearl-harbor.html) et celle du reportage tourné à Saint-Louis pendant la guerre, sur le site académique d’histoire-géographie de Nouvelle-Calédonie (lien : https://vimeo.com/555015210/fb4f93c556)