Cinq constats sur la situation des sans-abri en Calédonie

Le centre d'accueil de jour Macadam, dans le quartier de Doniambo, à Nouméa.
En 2022, plus de 600 personnes sans domicile fixe ont été suivies par L'Accueil, chargée de les aider à se réinsérer et à trouver un logement. Au-delà de ce chiffre, qui a explosé depuis une dizaine d’années, l’association relève plusieurs faits marquants, comme l’augmentation du nombre de femmes et de troubles de la santé mentale parmi les personnes accueillies.

En Nouvelle-Calédonie, le nombre de personnes sans domicile fixe n’a fait que progresser ou presque, depuis une dizaine d’années. La crise sanitaire, doublée d’une crise économique mondiale et d'une poussée inflationniste depuis la guerre en Ukraine, ont creusé un peu plus les inégalités au sein de la population calédonienne. 

C'est ce que constate l'association L'Accueil qui prend en charge, de jour comme de nuit, les personnes en situation d'exclusion et sans logement, et qui les accompagne dans leurs recherches d'un toit et d'un emploi. 

Basée à Nouméa, où se trouve la très grande majorité des sans-abri, l'association n'a pas encore bouclé son bilan d'activité 2022, l'année venant de s'achever. Mais les précédents bilans et une étude réalisée en 2018 viennent apporter des éclairages sur la situation de ce public en très grande précarité. 

La file d'attente est longue pour le repas du midi, servi au foyer d'accueil de jour Macadam.

 

1 Une population qui a plus que triplé depuis 2008

Le nombre de personnes accueillies par l'association a fortement augmenté en un peu plus d'une décennie. Elles étaient 172 en 2008, contre "600 à 650" en 2022, indique Aurélien Lamboley, le directeur de L’Accueil. Cette hausse est particulièrement significative entre 2008 et 2017, où le nombre de sans-abri inscrits à L'Accueil est passé à 522 personnes. Soit une population multipliée par trois en neuf ans. 

Après 2017 et le déménagement de l'association, qui a quitté le centre-ville de Nouméa pour s'installer dans la zone artisanale et industrielle de Doniambo, la fréquentation a fléchi légèrement, avant de remonter très nettement, il y a peu, avec une centaine de personnes accueillies en plus entre 2021 et 2022. 

Et encore, les chiffres sont certainement en deçà de la réalité, selon le directeur de l'Accueil. "Si l'on comptabilise ceux qui ne viennent pas taper à la porte de notre association, je pense que le vrai nombre de sans-abri est plutôt de 650 à 700 personnes". 

Evolution du nombre de personnes inscrites à l'Accueil entre 2008 et 2021

Le nombre de personnes sans abris a considérablement augmenté depuis une dizaine d'années en Nouvelle-Calédonie.


"Cette progression significative s’explique par une augmentation de la fracture sociale, par une difficulté à trouver un logement et la diminution du nombre d’emploi dans des secteurs très concurrentiels comme le bâtiment ou l’hôtellerie"

Bilan d'activité de l'Accueil en 2021

Le Covid-19 a eu des effets "sur la précarité alimentaire" et sur les "baisses de revenus liées à l’absence d’emploi", rapporte l'association.  

Et même si la crise sanitaire ne paralyse plus la Calédonie, le contexte économique mondial, sur fond de guerre en Ukraine et de flambée des prix, ne devrait pas "améliorer" la situation, s'inquiète Aurélien Lamboley. Pour preuve, la fréquentation de Macadam a, elle aussi, augmenté ces dernières années. Le centre d'accueil de jour, situé à Doniambo, est passé d'une soixantaine de personnes accueillies quotidiennement en 2020 à presque 90 par jour en 2022.

A Macadam, les accueillis viennent profiter d'un repas mais aussi d'une douche.



2 La part des femmes augmente

Sur les 513 personnes recensées en 2021 par L'Accueil, on comptait 119 femmes pour 394 hommes. Le public féminin représentait donc un peu plus d'un quart des sans-abri. Mais cette proportion semble avoir augmenté en 2022, estime Aurélien Lamboley, même si le bilan d'activité est en cours de réalisation. 

En 2021, l'association constatait par ailleurs que seulement une femme accueillie sur quatre avait sollicité un hébergement en centre de nuit. "Ce qui pose question, si on considère que ce public est souvent qualifié comme étant vulnérable", s'interroge L'Accueil dans son rapport d'activité. 

Dans sept cas sur dix, ces situations d'exclusion sont liées "à des conflits familiaux", précise Aurélien Lamboley. Parmi ces femmes en très grande précarité, plusieurs d'entre elles ont accepté de témoigner à notre micro. Certaines vivent dans la rue, malgré leur grossesse. 



3 Un public originaire de la province Nord en hausse

Autre fait marquant relevé par l'association : "on constate une forte augmentation des personnes en provenance de la province Nord", signale son directeur. Comment expliquer cette tendance ? "Difficile à dire. Mais on peut penser à une problématique d'emplois", avance Aurélien Lamboley. 

Si les chiffres de 2022 sont encore en attente, on connaît ceux de 2021 : 207 personnes étaient originaires de la province Sud, 119 de la province Nord, 113 de la province des Iles et 74 de Métropole. 

Entre 2019 et 2021, ces chiffres ont baissé pour les personnes en provenance de Métropole, ils ont stagné pour la province Sud et ils ont augmenté pour les Iles et le Nord. 

Dans le cadre de sa politique de réinsertion sociale, L'Accueil veille à privilégier les retours en famille. Une solution qui "n'est pas si simple", reconnait l'association, car il faut aussi prendre en compte le parcours de la personne, qui a parfois fait le choix de quitter sa famille ou sa tribu. 

La part des personnes originaires du Nord et des Iles a augmenté entre 2019 et 2021.



4 De plus en plus de troubles de santé mentale

Surendettement, addictions... Les freins à la réinsertion sont nombreux. Mais ces dernières années, l'association observe un autre phénomène : l'augmentation du nombre de personnes accueillies "avec des problématiques liées à la santé mentale"

"La crise sanitaire a eu un impact direct sur les personnes les plus précaires (qui) ont été particulièrement fragilisées au niveau de la santé mentale". 

Bilan d'activité de L'Accueil en 2021


Problème : ces situations impliquent une prise en charge spéciale. Or, le pays manque de plus en plus de moyens humains dans le domaine de la santé, et notamment de la santé mentale, à l'image du Centre hospitalier spécialisé de Nouville. "Les délais de réponse sont de plus en plus longs", déplore le directeur de L'Accueil. 

5 Les 50 ans et plus en grande précarité 

En 2021, les sans-abri de plus de 50 ans représentaient plus de 150 personnes. Cette tranche d'âge, pour laquelle la vie dans la rue devient de plus en plus rude, mais qui est trop jeune pour les maisons de retraite, préoccupe particulièrement l'association. Sans compter les difficultés à trouver un emploi, passé un certain âge. 

Tranche la plus représentée parmi les personnes accueillies : les 30-50 ans (58 % des effectifs). Quant aux jeunes en difficulté, "ils sont de plus en plus nombreux à connaître la rue", observe l'association. Des situations "souvent liées à des phénomènes de rupture familiale, conséquence d'une cohabitation intergénérationnelle de plus en plus mal vécue, de recherche identitaire ou de problèmes de conduites addictives et de consommation de (produits) toxiques".

Et pour L'Accueil, "ce phénomène est d'autant plus inquiétant que ces jeunes sont sans ressource financière". En 2021, ils étaient 62, âgés de 18 à 29 ans, à pousser la porte de l'association. 

A écouter, le reportage radio tourné au centre d'accueil de jour Macadam, à Doniambo.