Derrière le comptoir d’une boulangerie Quai Ferry à Nouméa, un homme au parcours atypique, qui n’a pas eu peur de se remettre en question, de se former et de repartir à zéro, à la quarantaine. Frédéric, né et grandi en Nouvelle-Calédonie, entre Nouméa et Moindou.
Très vite, à 18 ans, il quitte le territoire pour découvrir le monde et concrétiser l’un de ses rêves : une carrière à l’international. Nouvelle-Zélande, Hawaï en passant par la Suisse et la Mongolie, Frédéric décide finalement de poser ses valises sur le Caillou et s’épanouit aujourd’hui dans la vente de produits gourmands artisanaux, "pour toucher le cœur des gens."
À la découverte des communautés
L’envie d’ailleurs anime Frédéric très tôt. Dès l’obtention de son baccalauréat, il part voyager en Europe quelques mois puis décide d’apprendre l’anglais pendant deux ans en Nouvelle-Zélande avant de décrocher une bourse pour Hawaï, où il étudie pendant quatre ans un Bachelor de business. "J'ai signé une charte car la condition sine qua non de ma bourse c’était de repartir dans mon pays d’origine pour pouvoir apporter quelque chose qui sorte la communauté de la difficulté" raconte-t-il.
J’ai découvert le partage et la chaleur des communautés hawaïennes, des familles qui m’ont toujours invité à manger, à partager leur vie.
Frédéric Chatelain
Le lien avec les communautés : c’est le fil rouge de sa vie, qui ne l’a jamais quitté.
Après Hawaï, le Calédonien féru de voyages s'envole pour la Suisse, pour une année de Master MBA avec une spécialisation dans l’hôtellerie. C’est là-bas que naît sa première vocation ; il enchaîne les stages et rencontre de grands groupes hôteliers français mais aussi internationaux. Très vite, il repart pour une nouvelle aventure, à Chicago, aux États-Unis en tant que réceptionniste polyvalent. Là aussi, il rencontre et vit aux côtés des différentes communautés qui animent la ville. "J'habitais à la frontière entre le quartier afro-américain et le quartier hispanique. Les hispaniques m’ont tout de suite intégré comme un membre de la famille", se souvient-il.
Dernier grand voyage avant le retour au pays : la Mongolie, pays natal de la mère de ses deux filles, rencontré à Hawaï. Un voyage qui le marque car "la Mongolie m’a appris l’humilité ; voir ses familles qui n’avaient rien et pourtant, elles aiment la vie et les gens. Ça m’a profondément changé."
Il découvre une nouvelle culture, une nouvelle communauté et surtout, se découvre une passion pour la boulangerie. "Les Mongols mangent plus de pain que de riz car le riz ne pousse pas en Mongolie. Avec le blé, ils font de la farine, du pain, des pâtes, des galettes. J'ai découvert là-bas ma vraie vocation, ma passion pour la boulangerie."
Trouver sa voie
De retour en Nouvelle-Calédonie en 2009, après dix années à découvrir le monde, Frédéric saisit une opportunité pour se former à la boulangerie, pendant six mois à Parisianna, petite entreprise familiale emblématique de Nouméa cette année-là, installée à la Vallée du Tir.
À cette époque, Frédéric avait un projet : ouvrir une boulangerie artisanale et familiale en Mongolie, tout en soutenant les écoliers mongols, en grande difficulté pour se nourrir. "Plus d'un tiers des écoliers, dans les écoles d'Oulan-Bator, n'ont pas assez à manger le midi" explique Frédéric. Malheureusement, après un chamboulement dans sa vie personnelle, il n’a pas pu aller au bout de son projet.
Le Calédonien a dû se reconstruire personnellement comme professionnellement. Avec ses deux enfants à charge, Frédéric change à nouveau complètement de voie et se tourne vers l’agriculture, l’aquaponie mais aussi et surtout, l’apiculture. Il profite d’un bout de terrain familial au Mont-Mou pour y installer ses ruches, après avoir suivi une formation à Boghen. En deux ans, il passe de 3 à 35 ruches et récolte un miel 100% calédonien, qu’il exporte jusqu’au Japon.
"Ce métier m’a profondément touché dans le cœur"
Très vite, Frédéric se confronte à la réalité économique et doit revenir à ses premiers amours : l’hôtellerie. Après de nouvelles expériences en tant que directeur adjoint d’établissement à Nouméa, il se retrouve au chômage, licencié pour motifs économiques. C’est en avril 2024, que sa rencontre par hasard avec le propriétaire d’un grand groupe de la place, va changer sa vie. "Il m’a dit 'on cherche un vendeur en boulangerie alors dépose ton CV'. Un poste de début de carrière; c’était mon projet de Mongolie alors je me suis dit je me remets un challenge, c’est l’univers qui me plaît. C’était le fait de retrouver mon rêve de jeunesse et me dire, je vais peut-être réaliser ce rêve à ma manière."
Mais ce qui a touché Frédéric en plein cœur c’est le fait de continuer à travailler avec différentes communautés. Lors des émeutes de mai, il a été témoin de l’élan de solidarité de l’entreprise. "On restait ouvert pour permettre à la population, les résidents du quartier d’avoir du pain. La voisine de la boutique a pleuré dans mes bras parce qu’elle n’avait plus rien. C’est ce jour-là où je me suis dit que j’allais faire la différence et continuer à travailler pour la communauté."
Faire partie de quelque chose et être utile à toujours été mon créneau. Je ne vois pas ma vie autrement. J’ai vu ce poste de vendeur dans le but de devenir ensuite responsable, mais il fallait que je démarre du bas, pour tout apprendre et créer ses relations avec l’équipe. Je ne peux pas être dans un bureau, c’est hors de question, il faut que je sois avec les gens en permanence.
Frédéric Chatelain
À 45 ans, Frédéric chérit ce relationnel avec les clients mais aussi avec les touristes australiens, clients de la boutique. Il peut parler anglais et leur faire découvrir les produits phares de la boulangerie. "Aujourd’hui dans mon métier, je me sens bien" affirme Frédéric, tout sourire, derrière le comptoir. "Pour moi le rôle de l'humain est d'aider son prochain et plus j'avance en tant que parents, plus je me rends compte que c'est ce que j'apporte à mes enfants et je ne me vois pas autrement."