PORTRAIT. Rugby : Anaïck Konyi à La Rochelle, les étapes d'un envol

Anaïck Konyi, formée au RC Calédonien et par le pôle espoir, va rejoindre le Stade Rochelais.
Le 8 août, la jeune licenciée du RC calédonien rejoindra une structure de formation à La Rochelle et l'équipe phare de la ville. Son départ, très encadré, vient récompenser l'assiduité et le travail de la joueuse en club et au sein du pôle espoir calédonien. Il fait aussi la fierté de son quartier, Kaméré.

Annonce des stratégies, déclenchement des phases de jeu, percussions en mode express. Si Anaïck Konyi, seize ans, est concentrée sur les exercices, elle garde toujours le sourire sur le terrain de Logicoop. Après s'être essayée à plusieurs disciplines comme l’athlétisme et le taekwondo, elle a trouvé, avec le ballon ovale, le sport qui lui correspondait. Une découverte en sport scolaire au collège, et un coup de foudre. "Je pouvais me défouler sur les plaquages, et l'adrénaline liée au nombre de joueurs qui participaient nous a tous motivé. L'ambiance était bonne, j'ai aimé."

La "hargne de vouloir toujours évoluer"

La jeune fille prend une licence dans le club situé à quelques centaines de mètres de son établissement, le RC calédonien présidé depuis trois ans par Jean Barutaut. Rapidement, elle se distingue par ses aptitudes et son état d'esprit. "Elle apprend vite et ses qualités de vitesse sont impressionnantes. Quand on joue contre des garçons très rapides, elle les rattrape, raconte Yan Sivi, son entraineur. Anaïck n'abandonne pas. Elle possède cette hargne de vouloir toujours évoluer." Une motivation et des qualités repérées par Raphaël Steyer, passé par le RCC avant de prendre la direction du pôle espoir de Nouvelle-Calédonie. En 2021, elle intègre cette structure d'accession au haut-niveau où les choses s'accélèrent. 

Répétition de passes sur le terrain du RCC à Logicoop pour Anaïck Konyi et ses partenaires.

Du Rugby club calédonien au pôle espoir

Il lui faut désormais s'adapter à 13 heures d'entraînement par semaine, en plus des cours. Des évaluations sont régulièrement menées par la direction de la structure. Exemple, il y a peu, après 14 semaines consécutives d'activité. Elle et ses parents ont rendez-vous au centre international sport et expertise de Koutio pour un entretien durant lequel son quotidien est décortiqué : comportement et résultats dans les études, et performances sportives. "Si ils sont capables de supporter localement un volume d'entraînement important sans incidence sur les résultats en classe, cela veut dire qu'ils sont prêts, indique Raphaël Steyer. Les parents décident de la suite. En tant que représentant de la fédération française, notre objectif est de les faire évoluer vers d'autres académies/pôles espoirs dans l'Hexagone."

 

Le responsable du pôle espoir de Nouvelle-Calédonie, Raphaël Steyer, en entretien d'évaluation avec Anaïck Konyi et ses parents.

Un départ vers l'Hexagone conditionné à des critères

Le suivi rugby est pointu. Toutes les séances physiques et techniques sont l'occasion de recueillir des informations. La base de données collectée permet d'évaluer le niveau et l'évolution des joueurs. Leurs performances sont comparées aux critères définis par la fédération française dans sa "charte du joueur de l'académie pôle espoir". Les principaux thèmes scrutés : jeu au poste, manipulation du ballon et jeu au contact. Sonia découvre la multitude d'aspects disséqués chez sa fille : mobilité, technique, vitesse, poids, gainage, ou encore résistance à l'effort. " Depuis deux ans qu'elle est au pôle espoir, on voit cette évolution. Je remercie l'encadrement parce qu'elle est très, très bien suivie. On mesure sa progression." Repositionnée 3e ligne par les techniciens du pôle pour jouer à XV, Anaïck doit encore s'améliorer sur le développement musculaire du haut du corps. " Elle doit renforcer la force de ses épaules et de son dos", précise Jonathan Vinit, préparateur physique du pôle. 

Prochaine destination : La Rochelle

Son potentiel est en tout cas déjà élevé : le pôle espoir de la Rochelle et le club de la ville ont décidé de la recruter. Un départ encadré, prévu le 8 août. Il n’empêche pas quelques appréhensions. "C'est le premier de mes enfants qui part dans l'Hexagone. On sait où elle va, mais on reste inquiet parce que c'est une fille, témoigne sa mère. On espère que Ça va bien se passer dans un contexte différent de la Nouvelle-Calédonie, à 22 000 kilomètres. Ça ne sera pas facile pour moi, c'est ma dernière."

L'aspect financier est une autre préoccupation pour des parents confrontés à bien des interrogations. "La fédération française prend en charge le billet. On a une aide, mais ce n'est pas beaucoup. Là-bas, il faut régler l'internat par trimestre ou semestre. Ça veut dire que nous, en tant que parents, on doit mettre de notre poche, ce qui n'est pas évident. On est en train de monter un plan financier en rapport avec le montant total. C'est de l'attente. Ceci étant, notre souhait, c'est qu'elle évolue et s'en sorte ". Mais devant une telle opportunité, les parents s'organisent. "Je suis très fier de son parcours et du choix qu'elle a fait. On est triste qu'elle s'en aille, mais fier", témoigne Matthieu, son père. 

Anaïck et ses parents lors d'un entretien d'évaluation mené par la direction du pole espoir rugby de Nouvelle-Calédonie.

"Je me sens plus polyvalente"

Cette nouvelle aventure, la rugbywoman l’attend avec impatience, consciente du travail accompli et de l’accompagnement reçu au sein du pôle et dans son club. "Ma motivation de départ, c'était le contact. J'adorais ça. Yann m'a pris sous son aile pour travailler la vitesse, les déplacements, les crochets. Pratiquement toutes les choses que je sais aujourd'hui, cela vient de lui. Le fait qu'il soit derrière moi, qu'il me motive, c'est important. Au pôle, j'ai appris d'autres postes comme celui de 3/4 ou même la mêlée, ce qui n'est pas du tout mon poste de départ : ailière ou centre. Travailler les packs, les touches, c'était différent. J'ai eu du mal à m'adapter mais à force d'entraînement, j'ai apprécié ces choses-là. Je me sens plus polyvalente." 

Anaïck est la 2e joueuse de la presqu'île de Ducos à partir dans l'Hexagone
Yan Sivi, entraîneur du Rugby club calédonien et d'Anaïck.

Une "pépite" de Kaméré

Anaïck Konyi va devenir la deuxième joueuse de la presqu’île de Ducos à jouer dans l'Hexagone après Yolaine Yengo, devenue internationale à 7 avec l'équipe de France. Une belle récompense, pour le RCC, qui a fait de la lutte contre la déliquance, son identité. "La presqu'île, c'est parfois chaud, rappelle Yann. Beaucoup d'éducateurs ne veulent pas venir chez nous en raison de cette réputation. Les enfants ont des difficultés d'expression, et ne travaillent pas assez dessus. J'essaye de les aider. Les parents ne sont pas suffisamment derrière les gamins. Très peu sont investis dans notre club. Ça ne gâche pas notre plaisir d'être là, moi et ma femme Liopa. On est nés dans le rugby, on est deux anciens internationaux calédoniens. Avec le départ d'Anaïck, on espère que d'autres filles s'impliqueront dans ce sport. Ça va faire bouger beaucoup de choses. Cela montre que dans tous les quartiers, il y a des bons. Il faut juste trouver les perles rares." 

Un reportage de Martin Charmasson et Christian Favennec