"Comme tout le monde, on a été surpris de l’ampleur de ce qui se passait dehors. Mais comme on ne pouvait pas maîtriser l'extérieur, j'ai commencé à voir ce qu’il y avait à l’intérieur de chez moi. Et c’est parti de là, j’ai commencé à faire du tri." Maman d'un bébé de 7 mois, Chrystelle Cejo a sorti des placards les sacs de vêtements dont elle ne se servait plus. Plutôt que d'essayer de les vendre, elle décide de les donner. "Je me suis dit : mais qui va acheter des vêtements, alors que la plupart n'ont plus rien ?"
"J'ai mis ma natte et j'ai tout déballé"
Le dimanche 2 juin, soit 15 jours après le début des émeutes, elle décide de partir avec ses "deux poches de 250 litres" et s'installe sur le parking de l'école nouméenne Marie-Courtot, au 6e Km. Pour annoncer son action, elle a écrit un post dans différents groupes Facebook. "J'ai mis ma natte et j'ai tout déballé. On m'a demandé si c'était un vide-grenier, j'ai répondu que c'était gratuit." La plupart des gens présents étaient surpris, raconte Chrystelle.
Mais finalement beaucoup de mamans sont arrivées, se sont servies pour la famille ou pour envoyer dans les îles. "J'ai bien aimé les échanges qu'on a eus, de les voir heureux, de se servir gratuitement. Ça nous a fait du bien de discuter." Pendant cette période de crise, Chrystelle n'a pas perdu son travail. Personnel naviguant sur une compagnie aérienne locale, elle se demande tout de même quel sera son avenir.
Esprit de partage
"Le but c’est de renforcer l’esprit de solidarité et de se dire que, malgré ce qu’il se passe à l’échelle politique, même si on est tous concernés, il ne faut pas oublier qu’on est des êtres humains avant tout", lance la jeune femme de 35 ans.
L'objectif n'est pas de se substituer aux associations venant déjà en aide aux personnes qui ont tout perdu. Chrystelle veut surtout recréer du lien. "Faut pas qu’on casse cet esprit qu’on a chez nous, les Océaniens. Je suis Kanak. On a cet esprit de partage, ce système de donner, de troquer, de refiler les vêtements aux petits frères et sœurs, cousins, cousines ... Ces valeurs ne doivent pas se perdre dans une société de consommation."
Chrystelle reste lucide quant à l'avenir : "A tous les niveaux, il va falloir se serrer les coudes, on ne sera pas les seuls, on sera tous touchés directement ou indirectement à différents degrés."
On est beaucoup dans le clivage qui nous sépare, mais, finalement, on a tous besoin de se sentir rassuré, en sécurité, de se sentir aidé en fait.
Chrystelle Cejo
Relancer la dynamique du troc
Après le succès de son premier vide-dressing gratuit, Chrystelle décide de recommencer le dimanche suivant. Cette fois, les personnes des alentours lui ont amené des sacs pour qu'elle les distribue. Ses amis l'ont aidée. "Relancer la dynamique du troc va permettre de compenser la baisse du pouvoir d’achat. Le peu de revenus que vont avoir les gens va partir prioritairement dans l'approvisionnement alimentaire."
Quand on lui pose la question de savoir si elle a rencontré des gens opportunistes, elle répond : "Moi, je ne suis personne, pour dire qui a besoin ou pas. Je mets à leur disposition. Ce que je sais, c’est que les gens qui seront là à 'l’instant T', en auront besoin. Et ceux qui n'en ont pas besoin le donneront à quelqu’un d’autre. Dans tous les cas, le mouvement circulaire va se faire quand même."
Toujours d'humeur positive, Chrystelle pense qu'il est essentiel de "se débarrasser des vieilles choses pour que l’énergie puisse revenir. Tout le monde m’a dit : ça fait du bien de faire du tri, ça fait du bien au mental, c'est une façon de relancer une dynamique !"
Nouveau mode de vie
Même si aujourd'hui, elle n'est pas dans la précarité, la jeune mère de famille pressent que "tout le monde va arriver dans un nouveau mode de vie" et qu'il va "falloir s'adapter sur le plan matériel et moral". Éternelle optimiste, elle pense déjà à la "dynamique de reconstruction." Et d'ajouter : "Je pèse mes mots car des gens ont perdu beaucoup, y compris des gens de ma famille. Mais ça ne peut être pire que ce qu’on a déjà vécu !"
Si Chrystelle veut continuer à croire en la solidarité, c'est aussi pour que les liens entre les communautés de Nouvelle-Calédonie puissent perdurer. Tant qu'il y aura des vêtements à donner, elle continuera ses actions de troc. "Pour continuer de se dire bonjour sans avoir peur de l’autre."