« Steel Town » : 1977, le déclin de l’acier américain, par Stephen Shore, photographe

L'aciérie fermée Sharon Steel, Lowellville Ohio. Photo tirée du livre Steel Town, MACK (2021). (Avec l'aimable autorisation de l'artiste et de Mack)

Le photographe américain Stephen Shore a parcouru le territoire des aciéries, au nord-est des Etats-Unis. C'était en 1977. Le déclin de l’acier américain allait être aussi celui du nickel calédonien. 

En 1977, le photographe Stephen Shore, aujourd’hui âgé de 73 ans, parcourt la ceinture industrielle américaine, qui comprend le nord de l'État de New York, la Pennsylvanie et l'Ohio, proches du Canada. Les américains produisent l’acier, les calédoniens (SLN) et les canadiens (Falconbridge et Inco) fournissent le nickel et le fer.

Stephen Shore, image de 'Steel Town' (MACK, 2021). Avec l'aimable autorisation de l'artiste et de MACK.

A l’origine, un reportage pour le magazine Fortune

Sillonner les highways ou les country roads, ponctuées de centrales à charbon, d'usines usées par le temps, de petites villes au passé industriel fané, de banlieues grises, Stephen Shore l’a fait. Plus de quarante ans ont passé, son voyage photographique fait l'objet d'un ouvrage publié aux éditions Mack.

Avec Steel Town, je pense que mon travail photographique traite ouvertement de la crise économique et, par conséquent, il est ouvertement politique. Il m'est difficile de séparer le politique du social.

Stephen Shore

28 octobre 1977, Campbell, Ohio. (Avec l'aimable autorisation de l'artiste et des éditions Mack)

 

1977, l'année rouillée de l'acier américain

En cette année oubliée, la région de l’acier est au bord d'un déclin majeur.  Les usines tournent déjà au ralenti, l’inquiétude gagne la classe ouvrière, les villes s’endettent et s’appauvrissent, les petits commerces ferment les uns après les autres. Shore a rencontré des métallurgistes qui avaient été mis au chômage et photographié leur monde soudainement fragile. À travers ces images, on voit une Amérique prospère vaciller sur le précipice d'un déclin industriel. 

27 octobre 1977, Washington Street, Struthers (Ohio). (Avec l'aimable autorisation de l'artiste et des éditions Mack).

Ces images annoncent la crise sociale et économique qui allait frapper le cœur des vieilles régions industrielles des Etats-Unis dans les décennies suivantes. Les images prises par Stephen Shore, à l’automne 77, jettent une lumière crue sur la tragédie des métallurgistes américains.

29 octobre 1977, grève des métallurgistes de l'acier à Youngstown, Ohio. (Avec l'aimable autorisation de l'artiste et des éditions Mack)

La Manufacturing Belt (ceinture des usines) va disparaitre. Elle sera remplacée par la Rust Belt (ceinture de la rouille), celle des friches industrielles.

En 1976 et 1977, Bethlehem Steel a licencié 3 500 travailleurs à New York, et 3 500 autres en Pennsylvanie, triplant le taux de chômage en un seul été. Un autre sidérurgiste, Alan Wood Steel a licencié 3 000 personnes. Des centaines de milliers d’emplois seront perdus dans le secteur manufacturier, à mesure que les usines réduiront leurs effectifs, déménageront à l'étranger ou fermeront complètement.

28 octobre 1977. Raphael Rents, Louis Olivera et Herminio Cadona, Campbell, Ohio. (Avec l'aimable autorisation de l'artiste et des édition Mack)
27 octobre 1977, James Murphy et Salomon Felder à Campbell dans l'Ohio. (Avec l'aimable autorisation de l'artiste et des éditions Mack).

 

Steel Town : un ancien de la SLN se souvient

En 1977, à l’époque où Stephen Shore réalise son reportage photographique, la Société Le Nickel et son usine de Nouméa livrent  un alliage de métal au territoire des aciéries. Hervé Thoraval assure la logistique de la SLN. L'inox américain est donc aussi calédonien. Il y a bien du nickel canadien mais il est moins intéressant pour l'acier, moins riche en fer de haute pureté. 

"On en faisait des palettes de nickel à Doniambo. Des lingots  partaient en navires rouliers vers Baltimore puis la Pennsylvanie et l'Ohio, le souci c'est que les usines américaines étaient trop petites et ne produisaient pas assez pour être rentables et affronter la concurrence qui montait", se souvient Hervé Thoraval qui assurait la logistique.

En 1977, la SLN ne produit pas encore de chips ou grenailles de ferronickel (SLN 25), mais des lingots (FNC). Ils seront abandonnés à l'aube des années 80, trop compliqués...

De Nouméa à Baltimore, le transport maritime était l'affaire de la CGM. Sur place, la représentation de la SLN assurait la logistique et l’acheminement du ferronickel vers le territoire des aciéries, au nord, à la frontière canadienne. En 1977, les marchés du nickel en Asie étaient peu développés. La Nouvelle-Calédonie exportait surtout vers les Etats-Unis et l'Europe. 

On a tout fait, le nickel arrivait de Nouméa sur les quais du Rukert Terminal à Baltimore, on livrait par train aux aciéries, on stockait le nickel sur les bords de l’Ohio pour  l'usine Washington Steel. On avait une filiale New Caledonia Trading à New York, remplacée ensuite par une autre à Pittsburg qui s'appelait Le Nickel Inc. Les américains appréciaient la SLN. L’alliage comportait du nickel et du fer de haute pureté ; et puis, petit à petit tout à capoté, le prix de revient des aciéries américaines n’était plus rentable, pas compétitif...

Hervé Thoraval, responsable de la logistique à la SLN de 1975 à 2015

 

Une chanson de Bruce Springsteen en hommage aux métallurgistes

 

La fin d'une époque

Ce fut aussi la fin d’une belle époque pour la SLN, poursuit M.Thoraval. "On a tout tenté, en 1975 on a même invité nos clients, les aciéristes américains, ils ont visité les mines, l’usine de Doniambo, un avion complet était venu de New-York. Oui, c’était la fin de la période glorieuse du ferronickel, entamée en 1970. Le déclin du nickel calédonien commence en 1977, au même moment que celui des aciéries aux Etats-Unis

Les clients de la SLN dans le nord s'appelaient J&L, Eastern steel, Allegheny Ludlum, Washington steel.

"Avec la crise de la sidérurgie aux Etats-Unis, les ventes de nickel ont chuté, nous avons perdu ces clients de l'Ohio, de Pennsylvanie, la fermeture des usines c'était une sorte d'au revoir à la Nouvelle-Calédonie. Ensuite, dans les années 90, d'autres investisseurs sont arrivés, ils étaient européens et ont construit des aciéries très importantes, plus au sud, et l'aventure de la SLN s'est poursuivie ailleurs aux Etats-Unis..." conclut Hervé Thoraval.  

Couverture du livre de Stephen Shore.