TEMOIGNAGES. "Il s'est passé des jours entiers sans que l'on mange", Emmanuel, électricien, 56 ans, devenu sans-abri à Nouméa depuis les émeutes

L'association Accueil constate une précarisation des femmes et des jeunes.
Plusieurs associations qui viennent en aide aux sans-abri comptent de plus en plus de bénéficiaires. Une précarité grandissante qui a éclaté principalement à Nouméa, depuis les évènements du mois de mai. Des femmes, des jeunes et d'anciens travailleurs font partie des nouveaux visages de la rue. NC la 1ère est allée à leur rencontre.

Qu'ils soient sans-abri ou mendiants, ils sont beaucoup plus nombreux à Nouméa. Un constat dressé par l'association Accueil, qui gère plusieurs structures pour les personnes en difficulté. "Il y a une augmentation de la demande de personnes en grande difficulté. Que ce soit pour des besoins primaires ou d'accès aux droits ou éventuellement, de trouver un emploi ou un logement", déplore le directeur, Aurélien Lambolay.

En 2023, l'association a répertorié 600 personnes dans le besoin. Puis, 236 demandes supplémentaires au début de l'année 2024. Un recensement de sans-abri de plus en plus lourd.

Des déplacements forcés par les émeutes

L'un d'entre eux, Fabrice, vit depuis plus de vingt ans à la Vallée-du-Tir, sans adresse. Il a pris la décision de quitter sa tribu à l'âge de 30 ans, pour vivre dans la rue avec son ami. À 52 ans, il a dû s'exiler vers le centre-ville.

Depuis les émeutes, c'était trop chaud pour notre sécurité. On a pris nos affaires et on s'est tiré. On a tout abandonné.

Fabrice, 52 ans

Fabrice s'appuie sur les maraudes pour avoir de quoi manger. Autrement, il doit mendier. "Je demande des pièces, de quoi manger. On a un petit spot où on dort. Les gens sont plus sympathiques encore. Parfois, on nous propose à manger."

Davantage de femmes dans la rue

Une précarisation grandissante sur la capitale qui touche des profils autrefois moins représentés. "On a remarqué une augmentation du nombre de femmes et de jeunes", poursuit le directeur, Aurélien Lambolay. 

Être une femme seule dans la rue implique des risques. Pourtant, Ilalia, 54 ans, est contrainte de mener cette vie précaire depuis trois ans. Sa ville de cœur est Païta mais après les évènements de mai, la quinquagénaire a trouvé refuge à Nouméa, au 7e km, avec son chien. Elle y a installé sa tente sur un talus, près de la route.

Ça s'est parce qu'ils ont mis le feu. On s'est inquiété un peu pour notre sécurité. Donc on a bougé.

Iliana, 54 ans

Pour se nourrir, Ilalia compte sur la générosité des passants. "Je ne m'inquiète pas, il y a toujours à manger, il y en a même un peu trop. Les gens font 'coucou'. Quelquefois si je demande quelque chose ils donnent, quand ils peuvent." Si Ilalia s'accommode de sa vie à la capitale comme elle le peut, son souhait serait de réinstaller sa tente à Païta. 

Des jeunes en errance

Davantage de jeunes, le président de l'association Action solidaire, Marcel Toyon, l'observe tous les jours. "Il y a beaucoup de jeunes qu'on retrouve dans les squats ou dans la rue. Le problème aussi c'est cette jeunesse qui sombre dans l'alcool. Quand il n'y a plus d'alcool, ils boivent de l'alcool à 90°. Dans leur sac, on voit de petites bouteilles d'eau de Cologne."

Habituellement, l'association Un Sandwich pour autrui distribue des repas aux sans-abri chaque mardi midi. Elle a également constaté cette hausse des besoins en ville.

Maintenant, on distribue aussi le mercredi et le samedi. On a dû se réorganiser au vu du nombre de bénéficiaires qui a augmenté. Ce sont des visages qu'on ne voyait pas avant.

Louna Lopez, vice-présidente de l'association Un Sandwich pour autrui

De nouveaux visages

Les nouveaux visages présents à Nouméa sont ceux des travailleurs qui ont tout perdu. C'est le cas d'Emmanuel, dit Manou, qui s'est retrouvé à la rue depuis les émeutes de mai. Cet électricien de 56 ans avait une patente et des chantiers.

Ses problèmes de santé avaient fragilisé sa situation. Mais les événements du 13 mai ont accéléré sa chute. "Depuis les évènements, il n'y a plus de boulot. Les derniers chantiers de construction que j'avais ont brûlé. Les petits chantiers à droite à gauche ont disparu", raconte, trémolo dans la voix, l'artisan.

Un squat improvisé

Manou dort dans un foyer à la Vallée-des-Colons et, la journée, il retrouve sa bande d’amis en ville. Il se nourrit grâce à la générosité de connaissances. "Là je me retrouve sans pièces, avec dix-sept ans de Calédonie derrière moi. J'ai tellement de connaissances qu'il m'arrive fréquemment de croiser un copain, une copine. Et sans vraiment faire mon plaignant, ils me glissent un petit billet qui peut me durer la semaine."

Au plus fort des émeutes du mois de mai, les situations extrêmes se sont accumulées pour lui et son compagnon. "Au moment des émeutes, on avait trouvé un endroit avec des bureaux où on connaissait le code. C'était devenu notre squat. On n'était que deux."

Avant le couvre-feu, discrètement, on allait dormir sur ces plateaux de bureaux, en laissant toujours propre après. Il s'est passé des jours entiers sans que l'on mange.

Emmanuel, 56 ans

Manou espère que cette situation sera passagère. Il cherche une activité pour se faire un peu d'argent afin de rentrer en France où vivent ses deux fils.

"Porter assistance"

Si vous ou l'un de vos proches êtes confrontés à ces types de difficultés, les associations mentionnées ci-dessous peuvent vous apporter de l'aide.

  • L'association Accueil se donne pour mission "d'accueillir de jour comme de nuit, porter assistance et accompagner dans une démarche de réinsertion, toute personne se trouvant en situation d'exclusion". Ses locaux se situent au 11, rue Alfred-Edighoffer, dans la zone industrielle de Doniambo. Son contact : 27 71 57. 

  • L'association Un Sandwich pour autrui, qui prône "l'amour, le partage, l'aide et l'accompagnement", sillonne les rues de Nouméa les mardis, mercredis et samedis à midi sur la place des Cocotiers en contrebas du kiosque à musique.

  • L'association Action solidaire organisera une distribution de vêtements à l'occasion de son Noël solidaire, le 20 décembre. Le local se situe dans le quartier de Montravel dans la rue des frères Charpentier, proche du Centre médico-social de la province Sud. Ses contacts : 50 07 66 ou 94 93 19.