« On ne va pas voir quelqu’un avec une arme pour calmer les choses. Vous êtes policier, vous devriez le savoir. »

Un chien aboie sur un passant qui s'énerve et menace le chien, un policier au repos sort armé dans la rue et deux coups sont tirés. C'est en résumé ce qu'il s'est passé en octobre à Pamandzi. Cette histoire s'est retrouvé au tribunal de Kawéni ce mardi, portée par un procureur offensif.
« On ne va pas voir quelqu’un avec une arme pour calmer les choses, lance le substitut du procureur Rieu. Vous êtes policier, vous devriez le savoir. » Au tribunal correctionnel de Kawéni, un homme de 36 ans est jugé ce mardi matin pour être sorti dans la rue avec un gomme-cogne, une arme tirant des balles de caoutchouc d’environ 1mm de diamètre, et pour avoir fait feu à deux reprises, touchant une personne au genou. Il plaide la légitime défense mais le procureur n’est pas du tout de cet avis.

Les faits se déroulent à Pamandzi en octobre 2017, un samedi midi. L’épouse de Marc M.*, policier à la Police aux frontières, affecté à la Brigade nautique et arrivé à Mayotte en 2015, promène le chien de la famille, un dalmatien. « C’est sa principale promenade de la journée », se permet d’ironiser le Président du tribunal. Alors que la ballade touche à sa fin, le chien aboie sur un passant. Ce passant le prend mal, s’énerve et menace la propriétaire du chien. Ali A.* promet de revenir avec « une arme et 15 chiens » pour tuer le dalmatien. La femme rentre chez elle et prévient son mari. Celui-ci dit s’inquiéter de la menace proférée, prend son gomme-cogne, qui n’est pas son arme de service et qu’il a acquis légalement, le coince dans sa ceinture à l’arrière de son short, et sort torse nu dans la rue.
 

« On ne fait pas une plaie comme ça avec une chevalière »


« J’ai pris l’arme au cas où, explique-t-il. Il y avait mes enfants dans la piscine derrière le mur, je n’ai pas voulu prendre de risque. Je n’ai pas besoin d’arme pour me défendre face à un homme. Surtout comme lui, si vous le verriez. » Marc, crâne rasé, en short et chemisette en jean et recouvert de tatouages, joue à l’homme fort et fier. Il est très expressif à la barre : il bouge beaucoup, utilise ses mains pour parler, … Si Marc se décrit comme supérieur physiquement à l’une des deux victimes, impossible de le voir.  Ali et son frère ne se sont pas déplacés au tribunal aujourd’hui. « Il est petit format ? », demande le président. L’homme acquiesce.

C’est une fois dehors que tout dégénère et que les versions divergent. Alors que Ali est déjà loin, à une cinquantaine de mètres, Marc l’interpelle et lui dit de revenir. Une fois réunis, Ali accuse Marc de l’avoir frappé avec la crosse de son arme alors qu'il voulait lui serrer la main, lui ouvrant légèrement le front comme le montre la photo de la plaie exposée par le président, puis de lui avoir mis des claques et fait mettre à 4 pattes. Pour Marc, cette plaie est juste causée par un coup de poing qu’il aurait porté au niveau du front pour se défendre de Ali qui courrait vers lui, menaçant. « C’est ma chevalière qui a causé cette plaie, se justifie-t-il. Les choses se sont calmées après. » Le procureur de la République ne croit pas du tout à cette version. « On ne fait pas une plaie comme ça avec une chevalière, assène-t-il. D’ailleurs ça sert à ça une arme, créer un rapport de force. J’ai l’intime conviction que vous l’avez frappé avec votre arme. »
 

Des jets de pierre et deux tirs


Après cet épisode, les choses s’enveniment de nouveau lorsque le frère de Ali arrive sur le lieu de l’altercation. Ali cherche à prendre l’arme de Marc. « J’ai eu peur qu’il me frappe de nouveau avec », a-t-il déclaré lors de son audition devant les gendarmes. Marc le repousse et au même moment il dit recevoir des pierres au loin. Il utilise alors son arme pour tirer. « C’est une arme qui a une portée optimale de 5m, les personnes qui jetaient des pierres au loin étaient à 10 ou 20m. Elle fait beaucoup de bruit, c’était juste pour leur faire peur. » Ali avance une autre version et accuse Marc d’avoir tiré avant que des pierres aient été jetées.  Marc tire ensuite une deuxième fois, quand, selon lui, Ali et son frère ramassent les pierres jetées et les lui lancent. Ce tir touche le genou gauche d’Ali. Après cela, les deux hommes s’en vont et Marc rentre chez lui. Il ira ensuite s’expliquer et rendre son arme à la gendarmerie et ironiquement c’est cela qui conduira la gendarmerie à entendre Ali et son frère qui porteront plainte.

L’avocat de Marc, Me Erik Hesler, dénonce un acharnement contre son client parce qu’il est policier. « On ne poursuit pas les victimes alors qu’elles reconnaissent avoir proféré des menaces et jeté des pierres. (…) En face il y a des voyous, des parasites et vous allez condamner Monsieur M. (…) J’ai peur d’être à Mayotte. » La femme de Marc est dans la salle. Cette blonde aux cheveux longs a le regard fixe durant toute l’audience. Elle ne montre aucune réaction tout au long du procès. Me Hesler plaide la légitime défense pour son client. Ce que rejette en bloc le substitut du procureur, particulièrement offensif. « La légitime défense ne tient pas car les menaces envers sa femme sont terminées à ce moment-là, argumente-t-il. C’est lui qui crée l’incident. Le fait qu’il soit formé à utiliser une arme ne lui donne aucun droit. On ne va pas voir quelqu’un qui est à 50m avec une arme pour calmer les choses. Vous êtes policier, vous devriez le savoir. » Il requiert 1 an de prison avec sursis, 1000€ d’amende et l’inscription au casier judiciaire de cette condamnation. C’est-à-dire la fin des 18 ans de carrière au sein des forces de l'ordre de Marc.
 

La légitime défense rejetée


Après 10 minutes de délibération, le président du tribunal rejette l’argument de la légitime défense et condamne Marc à 2 mois de prison avec sursis et 500€ d’amende pour violence volontaire avec arme sans ITT. « Quand vous sortez avec une arme (ce qui constitue une violence volontaire avec arme, ndlr), il n’y a pas de légitime défense, ni quand vous tirez pour la première fois, estime le magistrat. Même si on peut considérer qu’il y en a quand les victimes vous lancent les pierres, l’argument de la légitime défense ne tient pas. Il aurait mieux valu ne pas sortir avec une arme, vous n’aviez qu’à appeler la police. » Il pourra toutefois continuer à exercer son métier de fonctionnaire de police, la peine n’étant pas inscrite à son casier judiciaire. On ne sait pas encore si l’une des différentes parties fera appel. Ils ont 10 jours pour le faire.

*Les prénoms ont été modifiés.