Dujuan a 10 ans, il possède un pouvoir de guérison, connaît trois langues, sait chasser et parle avec sagesse, mais n’arrive pas s’intégrer dans ce monde occidental qui ne lui ressemble pas. Interview de la réalisatrice de ce documentaire en compétition au FIFO, Maya Newell.
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« Dujuan, arrête de t’enfuir », implore Megan, serrant son fils dans ses bras. C’est la soirée, le ciel s’assombrit peu à peu, et c’est un moment d’apaisement où la famille se retrouve après la journée. Des journées qui ne semblent pas de tout repos pour cette famille aborigène dont ce petit garçon, Dujuan, n’en fait qu’à sa tête. Difficile aussi de trouver sa place dans cette école où on lui enseigne l’histoire de l’Australie racontée par les Européens alors qu’il voudrait surtout connaître sa propre histoire : celle des Aborigènes.
Il y a une dizaine d'années, j'avais alors 21 ans, j'ai eu le privilège d'être invitée le Centre de guérison Akeyulerre d'Alice Springs pour réaliser avec eux des films sur le travail effectué par les familles pour éduquer leurs enfants à la langue, à la culture et à l'identité. Je me suis assise avec des anciens alors qu'ils enregistraient des chansons pour leurs petits-enfants de peur qu'elles ne soient perdues, j'ai vu des enfants visiter leur pays pour la première fois et j'en ai aussi entendu parler trois langues couramment et avec confiance. Mais j'ai été choquée d'apprendre que notre système éducatif général perçoit ces mêmes enfants comme étant en échec scolaire. Et ce n'est pas surprenant, puisqu'en Australie comme dans de nombreux autres pays, l’enseignement est uniquement dispensé aux enfants en anglais, et leur réussite est mesurée selon des valeurs occidentales. Nous voyons ou apprécions rarement la vie intérieure des enfants aborigènes qui doivent grandir en s’adaptant à la société biculturelle riche et complexe dans laquelle ils naissent.
Sur la base de nombreuses années de travail avec le Centre de guérison Akeyulerre, où il s’est développé de manière naturelle à partir de ces relations. J'ai rencontré Dujuan, Megan (la maman de Dujuan) et Carol (la grand-mère de Dujuan) lors de plusieurs voyages dans le pays, durant lesquels nous avons tourné des films sur l'apprentissage de la langue Arrernte et la connaissance de la terre. Puis, il y a environ 3 ans, Dujuan est venu me parler de façon très éloquente du monde tel qu'il le voyait. Quel enfant intelligent, charismatique, plein d'esprit et effronté ! Il avait besoin d’être mis en lumière, avec sa clairvoyance bouleversante, son sens enfantin de la moralité et sa vulnérabilité adulte. Il était tellement excité d'être dans un film ! Grâce à la confiance établie au cours des années précédentes, nous avons pu nous lancer.
Le film a été réalisé en 3 ans et demi, mais sur une base de dix ans de relations. C'est donc assez difficile à dire !
Le message le plus important de ce film est que les familles aborigènes aiment leurs enfants et s'en soucient. Malheureusement, ce n'est pas le message qui est souvent envoyé par les médias grand public et les tabloïds. In My Blood It Runs met en lumière l’interconnectivité. J'ai réalisé, en passant des moments privilégiés avec Dujuan et sa famille, que le changement doit être abordé de manière globale, car les cycles de violations des droits de l'homme vécus par les Aborigènes ne constituent pas un seul « problème » isolé à la fois. Ces cycles nourrissent et maintiennent les préjudices et la pauvreté, et maintiennent activement la vulnérabilité des gens. Ainsi, la seule solution qui fonctionne pour Dujuan est celle qui vient de sa famille, et non des systèmes mis en place pour « l’aider ». Le film témoigne de l'idée que les solutions proposées par les Aborigènes sont fondamentales pour l'avenir.
Après de nombreuses projections auprès de diverses personnes, nous pensons pouvoir dire que l'histoire de Dujuan n'est malheureusement pas un cas isolé. Nous vivons dans un pays qui a mis en place des politiques actives pour assimiler les enfants aborigènes dans le courant dominant, et l'éducation est le domaine où la culture dominante exerce sa vision du monde. De nombreux Aborigènes impliqués dans la réalisation de ce film se sont sentis réduits au silence par l’effacement de leur identité, de leurs connaissances et de leurs langues dans le domaine de l'éducation. Comme le dit Carol dans le film, les peuples aborigènes ne devraient pas avoir à choisir, ils devraient pouvoir élever leurs enfants avec les deux éducations, l’occidentale et celle des Arrernte. Dans cette éducation aborigène, l’attention, l'enseignement, ainsi que l'amour et les efforts constants pour soutenir les enfants sont des éléments souvent ignorés et rarement valorisés par les systèmes occidentaux. Nous voulions montrer cette partie invisible de l'histoire, l'éducation parallèle qui, malgré un manque de reconnaissance, bat de concert, comme un cœur, avec la vie et la force.
Dujuan vit avec son père et ses grands-mères à Borroloola, où le film se termine. Là-bas, ils ont un meilleur accès aux terres natales, la présence policière y est plus légère, et la culture et l'identité aborigènes sont davantage intégrées au programme scolaire. Il s'apprête à entrer au lycée cette année !
Comment avez-vous rencontré ce petit garçon ?
Il y a une dizaine d'années, j'avais alors 21 ans, j'ai eu le privilège d'être invitée le Centre de guérison Akeyulerre d'Alice Springs pour réaliser avec eux des films sur le travail effectué par les familles pour éduquer leurs enfants à la langue, à la culture et à l'identité. Je me suis assise avec des anciens alors qu'ils enregistraient des chansons pour leurs petits-enfants de peur qu'elles ne soient perdues, j'ai vu des enfants visiter leur pays pour la première fois et j'en ai aussi entendu parler trois langues couramment et avec confiance. Mais j'ai été choquée d'apprendre que notre système éducatif général perçoit ces mêmes enfants comme étant en échec scolaire. Et ce n'est pas surprenant, puisqu'en Australie comme dans de nombreux autres pays, l’enseignement est uniquement dispensé aux enfants en anglais, et leur réussite est mesurée selon des valeurs occidentales. Nous voyons ou apprécions rarement la vie intérieure des enfants aborigènes qui doivent grandir en s’adaptant à la société biculturelle riche et complexe dans laquelle ils naissent.
Comment s’est construit le documentaire "In My Blood It Runs" ?
Sur la base de nombreuses années de travail avec le Centre de guérison Akeyulerre, où il s’est développé de manière naturelle à partir de ces relations. J'ai rencontré Dujuan, Megan (la maman de Dujuan) et Carol (la grand-mère de Dujuan) lors de plusieurs voyages dans le pays, durant lesquels nous avons tourné des films sur l'apprentissage de la langue Arrernte et la connaissance de la terre. Puis, il y a environ 3 ans, Dujuan est venu me parler de façon très éloquente du monde tel qu'il le voyait. Quel enfant intelligent, charismatique, plein d'esprit et effronté ! Il avait besoin d’être mis en lumière, avec sa clairvoyance bouleversante, son sens enfantin de la moralité et sa vulnérabilité adulte. Il était tellement excité d'être dans un film ! Grâce à la confiance établie au cours des années précédentes, nous avons pu nous lancer.
Pendant combien de temps avez-vous suivi Dujuan et sa famille ?
Le film a été réalisé en 3 ans et demi, mais sur une base de dix ans de relations. C'est donc assez difficile à dire !
Quels étaient les objectifs du documentaire ?
Le message le plus important de ce film est que les familles aborigènes aiment leurs enfants et s'en soucient. Malheureusement, ce n'est pas le message qui est souvent envoyé par les médias grand public et les tabloïds. In My Blood It Runs met en lumière l’interconnectivité. J'ai réalisé, en passant des moments privilégiés avec Dujuan et sa famille, que le changement doit être abordé de manière globale, car les cycles de violations des droits de l'homme vécus par les Aborigènes ne constituent pas un seul « problème » isolé à la fois. Ces cycles nourrissent et maintiennent les préjudices et la pauvreté, et maintiennent activement la vulnérabilité des gens. Ainsi, la seule solution qui fonctionne pour Dujuan est celle qui vient de sa famille, et non des systèmes mis en place pour « l’aider ». Le film témoigne de l'idée que les solutions proposées par les Aborigènes sont fondamentales pour l'avenir.
Dujuan est-il une exception en Australie ou est-il l’exemple de ce que beaucoup d’enfants aborigènes traversent aujourd’hui ?
Après de nombreuses projections auprès de diverses personnes, nous pensons pouvoir dire que l'histoire de Dujuan n'est malheureusement pas un cas isolé. Nous vivons dans un pays qui a mis en place des politiques actives pour assimiler les enfants aborigènes dans le courant dominant, et l'éducation est le domaine où la culture dominante exerce sa vision du monde. De nombreux Aborigènes impliqués dans la réalisation de ce film se sont sentis réduits au silence par l’effacement de leur identité, de leurs connaissances et de leurs langues dans le domaine de l'éducation. Comme le dit Carol dans le film, les peuples aborigènes ne devraient pas avoir à choisir, ils devraient pouvoir élever leurs enfants avec les deux éducations, l’occidentale et celle des Arrernte. Dans cette éducation aborigène, l’attention, l'enseignement, ainsi que l'amour et les efforts constants pour soutenir les enfants sont des éléments souvent ignorés et rarement valorisés par les systèmes occidentaux. Nous voulions montrer cette partie invisible de l'histoire, l'éducation parallèle qui, malgré un manque de reconnaissance, bat de concert, comme un cœur, avec la vie et la force.
Que devient Dujuan aujourd’hui ?
Dujuan vit avec son père et ses grands-mères à Borroloola, où le film se termine. Là-bas, ils ont un meilleur accès aux terres natales, la présence policière y est plus légère, et la culture et l'identité aborigènes sont davantage intégrées au programme scolaire. Il s'apprête à entrer au lycée cette année !
Projections de "In My Blood It Runs"
- Mardi 9h – Petit théâtre et salle Muriavai
- Mercredi 12h30 - Petit théâtre et salle Muriavai
- Jeudi 19h20 – Grand Théâtre