Le débat sur l’installation d’un crématorium à Tahiti est relancé depuis l'avis adopté par le Cesec, le 17 juin dernier. Ses membres ont voté à l’unanimité un projet de Loi permettant à ceux qui le souhaitent d'être incinérés après leur mort. Le sujet est délicat.
C'est un nouveau verbe : crématiser. Parce que « incinérer » ne s’utilise que pour les déchets. Ce mot, les responsables de pompes funèbres y tiennent et les familles des personnes crématisées aussi. Mais au-delà de la sémantique, il y a l’idée qui déplaît à bien des Polynésiens. Et les églises, qui ont beaucoup d’influence en Polynésie, sont souvent à la traîne sur ces questions d’ordre sociétal. Ainsi, le Père Auméran dit définitivement "non" à la crémation des personnes décédées : "Comment faire comprendre à un Polynésien que le corps de ton père, de ta mère, va être brûlé ? [...] Pour eux, c'est choquant, ça va pas ta tête ou quoi ?! Ils ne sont pas prêts. [...] J'ai déjà rencontré des problèmes avec des familles qui ont fait incinérer un de leur membre, il y a eu des disputes. Alors, ils divisent en plusieurs urnes et quand après on fait une prière pour la personne, il y a une urne avec 'Tartempion', une urne avec 'Tête de lard'...c'est la débandade."
Autre son de cloche au temple protestant d’Arue. Le libre arbitre étant une notion très respectée, le pasteur laisse aux fidèles le choix, à condition qu’il ne soit pas imposé par le manque de places dans les cimetières.
Entre le manque de places dans les cimetières, leur absence totale dans certaines communes et une évolution certaine du rapport à la mort, les mentalités changent. La crémation est bien plus courante qu’auparavant.
Le décompte moyen des morts en Polynésie est de 1 500 par an.
Sur 40 personnes traitées chaque mois après leur décès dans cette entreprise de pompes funèbres, 2 à 3 souhaitent être crématisées. Il en coûte à la famille de 800 000 fcp à 1,2 millions Fcp, suivant le poids et les prestations. Les corps sont envoyés en Nouvelle-Zélande pour la crémation.
Pour Tahia, thanatopracticienne diplômée, la construction d’un crématorium en Polynésie est plus que nécessaire. "On est en manque de places dans la majorité de nos cimetières. Les familles ont le choix. Et la crémation est possible, donc il faudra laisser le choix aux familles. Et pour ceux qui veulent être crématisés, ça permettrait de respecter leurs dernières volontés."
Alors, qu’adviendra-t-il de ce projet ? Sera-t-il enfoui encore longtemps avant que l’Assemblée s’en empare ?
En attendant, désormais, ce sont les enfeux, encore nommés mausolées, qui sont proposés à ceux qui décèdent aujourd’hui quand la famille n’a pas les moyens d’un caveau. Drôle d’alternative que ces boites en ciment censées pour certains être plus nobles que les urnes, quand tant de gens souhaitent que leurs cendres soient dispersées aux quatre vents.