Rencontre avec les réalisateurs primés au FIFO

"C’est leur prix", "C’est un honneur", "C’est important de gagner ce prix ici" : rencontre avec les réalisateurs dont les films ont été primés au FIFO 2020.

Alexandre Berman et Olivier Poller, réalisateurs de "Ophir", Grand Prix FIFO-France Télévisions 2020 : "C’est leur prix"


Le film revient sur la guerre oubliée de Bougainville en Papouasie-Nouvelle-Guinée et rappelle comment les Mélanésiens ont mené une révolution contre les formes anciennes et nouvelles de colonisation. Les deux réalisateurs dédient leur prix au peuple de l’île de Bougainville. Interview. 

Votre film a été projeté pour la première fois au FIFO, et vous remportez le Grand Prix…
  • Alexandre Berman : On est très fiers. Non pas par rapport au fait de remporter un prix mais pour les gens qu’on a filmés. Sans eux, il n’y a pas de film. C’est leur histoire racontée par eux-mêmes. Nous, on était là pour organiser cette histoire, la faire briller, mais c’est leur prix.
  • Olivier Poller : La première chose à laquelle je pense c’est au peuple, aux personnes avec lesquelles on a tourné, qui nous ont accueillis, et qui nous ont aussi demandés de venir car une situation très grave commençait. Il fallait faire ce film. Il fallait aller à la rencontre de ce peuple et l’écouter. Notre travail a été assez facile, on est les traducteurs créatifs d’une histoire. Et, l’histoire ce sont les gens qui la racontent et qui nous l’offrent. Nous, on essaye juste de respecter la responsabilité qu’on a à partir du moment où on nous confie cette histoire. On espère vraiment qu’ils vont pouvoir commencer à être respectés et reconnus.
Est-ce que ce prix va permettre de donner une vie plus importante au film ? 
  • Alexandre Berman : Le film commence sa vie ici au FIFO. C’était idéal d’être ici en Océanie car il y a vraiment des gens qui viennent d’autres régions et ont une compréhension très profonde des codes et de l’univers dans lequel se situe cette histoire-là. Il y a eu de très belles réactions ici, on a eu de beaux échanges avec le public, on a eu la chance aussi d’avoir un jury qui a très bien compris ce projet. 
Votre film sera diffusé où ? 
  • Olivier Poller : On est en ce moment à la recherche de distributeurs internationaux pour essayer de faire connaître cette histoire partout, en espérant qu’elle puisse trouver une résonnance au-delà du Pacifique. Je pense que beaucoup de peuples peuvent se nourrir de cette histoire. Car ce n’est pas seulement l’histoire de l’île de Bougainville. 

Nick Batzias, producteur de "The Australian Dream", prix du Public et prix spécial du Jury : "C’est un honneur"


Ce film fait le portrait d’un homme, une star du football australien : Adam Goodes est un aborigène mais aussi le footballeur le plus titré du pays. Si son statut et sa notoriété auraient pu lui épargner certaines discriminations, il n’a pas échappé aux attaques racistes. Insulté par son public, traité de "singe", Adam Goodes s’est élevé contre le racisme. Ce qui lui a valu les critiques de ses supporters mais pas seulement. Interview du producteur Nick Batzias.

The Australian Dream a remporté deux prix…
  • C’est un grand honneur. D’avoir le prix spécial du jury, c’est bien sûr super mais en plus celui du public, c’est vraiment un honneur. Il est important pour nous que notre film qui porte la voix des indigènes soit ici au FIFO, en Océanie. C’est très spécial. 
Ces prix sont importants pour porter le message du film ? 
  • Oui, bien sûr. Le film a aussi déjà reçu plusieurs prix en Australie. Alors, plus nous avons de personnes qui comprennent ces problématiques, et ce qu’il y a derrière, plus nous aurons des chances de faire changer les choses en Australie. 
Avoir un impact est l’objectif de ce film ? 
  • On a fait ce film pour faire avancer les choses en Australie, oui. Nous avons été trop lents pour effectuer des changements concrets dans notre relation avec la première nation du pays, les Aborigènes. C’est pour cette raison que nous avons fait ce film, pour changer ça. 

Herepiti Mita, Merata, réalisateur de "How Mum Decolonized the Screen", prix spécial du Jury : "C’est important de gagner ce prix ici"


Ce film fait le portrait d’une femme : Merata Mita, cinéaste néo-zélandaise, la première femme Maori à avoir réalisé des documentaires et des fictions sur l’histoire et les luttes de son peuple. Ses objectifs : décoloniser la télévision et indigéniser ce qu’on voit à l’écran. C’est son fils, Heperi Mita, qui l’a réalisé. 

Il est important pour vous d’avoir ce prix ? Pour le travail aussi de votre mère Merata ? 
  • Pas seulement pour le travail de ma mère mais aussi pour tous les sacrifices que ma famille a dû faire. Car ce film est avant tout une histoire de famille. 
Votre mère souhaitait décoloniser l’écran, est-ce symbolique de gagner un prix au FIFO ?
  • C’est important de gagner ce prix ici à Tahiti car ma mère est une femme polynésienne. Il y a beaucoup de femmes polynésiennes à Tahiti mais il n’y en a pas beaucoup dans le monde. Et, comme je le dis au début du film : ma mère est une femme polynésienne, une femme qui a été réprimée et qui s’est battue. Alors oui, c’est important de gagner ce prix ici. 



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Zoom sur "Ophir", le grand prix

 

Un milliard de tonnes de roche ont été extraites et 0,6% ont été exploitées. Ce sont les chiffres ahurissants de la mine de Panguna située à Bougainville en Papouasie Nouvelle-Guinée. Avec la destruction de l’environnement, celle des hommes, humiliés et rabaissés, manipulés pour accepter la mine. Mais les habitants de Bougainville se sont battus et ont gagné. "Ophir" a remporté le grand prix du FIFO 2020.

Nous sommes sur l’île de Bougainville, en Papouasie Nouvelle-Guinée. Un homme exhibe son arme. Rendre les armes comme tous le réclament ? Certainement pas. "Cette arme a été utilisée contre les envahisseurs. Cette arme, c’est notre pouvoir de négociation", explique-t-il. "Ophir" raconte la tentative d’emprise d’une entreprise minière surpuissante sur les habitants de Bougainville. C’est l’histoire de ces actionnaires australiens de la BCL (Bougainville Copper Limited) qui vont tout mettre en œuvre pour s’installer durablement dans la région, faisant appel aux services d’un anthropologue qui rédigera un rapport détaillant toutes les failles à exploiter, économiques, politiques, sociales, pour que la société parvienne à s’implanter. C’est l’histoire d’une guerre. Les habitants de Bougainville ne vont pas se laisser faire et vont prendre les armes pour défendre leurs terres. Et gagner. Mais ils doivent rester sur leurs gardes. Aujourd’hui, le gouvernement autonome de Bougainville veut relancer l’exploitation minière. Dans les différentes instances gouvernementales, ils assurent que la population a été consultée et souhaite cette réouverture. D’ailleurs une loi a été écrite, elle permettra une exploitation respectueuse de l’environnement, pas question de faire les mêmes erreurs, plaident-ils. Mais à Bougainville, personne ne les croit. Cette loi prévoit des amendes et des peines de prison aberrantes pour les habitants qui oseraient refuser de décliner leur identité ou encore feraient de la prospection minière… "C’est du vol", constate un homme de Bougainville. "L’histoire de Bougainville est remarquable car c’est l’histoire du monde", explique Olivier Pollet co-réalisateur. C’est aussi un espoir : les petits peuvent gagner face aux géants. Bougainville devient une inspiration pour les peuples et communautés qui combattent pour sauver leurs terres. 

C’est en Australie, lors d’une conférence, qu’Olivier Pollet apprend l’intention du gouvernement autonome de Bougainville et les entend assurer que la population souhaite la réouverture de la mine de Panguna. Il veut aller voir sur place. Avec Alexandre Berman, co-réalisateur, ils vont mettre sept années à réaliser "Ophir". Dans leur film, les habitants de Bougainville racontent leur passé : la Crise, le nom donné à la guerre civile qui fera 20 000 morts ; ils racontent leur présent : accepter la mort des proches, accepter le désastre écologique, accepter de changer de vie, celle d’avant où le jardin et la rivière suffisaient pour vivre a disparu ; ils racontent le futur : pas question de se laisser faire, ils se battront contre cette nouvelle loi minière. "Ce papier, je ne connais pas son importance. Je connais l’importance de l’igname, du taro et de la patate douce. Les lois écrites par les hommes, tu peux les changer en un clin d’œil, mais les lois de la nature, tu ne peux pas les changer", s’énerve Jonah qui discute avec Ruth, docteure en linguistique, venue alerter les habitants de Bougainville sur ce que prépare le gouvernement. Comme Jonah, tous parlent avec bon sens et leurs paroles, simples et fortes, résonnent longtemps dans nos cœurs. "Qu’est-ce qui est important ? L’argent ou la vie ? Je n’ai pas d’argent, j’ai mon jardin, je peux vivre", explique un autre. Un homme s’agite dans une danse guerrière devant les réalisateurs : "Vous m’avez humilié. Vous avez troublé mon sang. Vous avez contaminé mon cerveau, paralysé ma pensée". Un autre marche dans la forêt : "J’ai planté plus d’un million d’arbres, je produis plus de 2 000 variétés de graines. Nous ferons revivre tout ce qui a été perdu". Un autre s’interroge : "Où habite Dieu ? C’est un mystère. Il vit dans le cœur des hommes simples et pas dans celui des rois sur leur trône".

Face à la saleté de l’entreprise minière et de ces hommes d’affaires, leur cynisme à exploiter toutes les failles, à détruire hommes et terres, les habitants de Bougainville opposent leur beauté, leur poésie et leur philosophie éclairée. "Il n’y a pas d’européens ou d’autochtones, il y a des gens qui racontent une histoire et qui sont brillants. Ce film est un voyage spirituel qui ramène à des choses fondamentales en soi. L’homme, la terre et la culture étaient les piliers de leur révolution. Tout est dit", explique Alexandre Berman. Devant le cratère créé par l’exploitation minière, un homme soupire : "C’est un ulcère, un être vivant ne peut résister à ça". La montagne a complètement disparu. "C’est triste qu’ils l’aient tuée". La Terre est vivante et les habitants de Bougainville l’ont compris depuis longtemps.