Sarah Nui 2 : le procès du plus important trafic d'ice démantelé

Le jugement de l’affaire dite Sarah Nui 2 a démarré aujourd'hui. 25 prévenus comparaissent avec, à la tête présumée du réseau, Tamatoa Alfonsi, basé au Mexique. Il aurait été assisté par l’ancien rameur, Maitai Danielson, qui nie toute implication.
C’est le plus grand trafic d’ice démantelé à ce jour en Polynésie. La justice estime que 40 kg de methamphétamine ont été importés entre 2017 et 2018 entre le Mexique et la Polynésie, via les Etats-Unis. Le volet d’écoulement local avait été jugé en octobre 2019. 14 personnes avaient été condamnées. Cette fois, 25 personnes comparaissent dans le volet international, avec un dispositif exceptionnel pour le tribunal de Papeete, en pleine épidémie de Covid-19.
 

L’ombre des cartels mexicains


Les deux principaux prévenus, Tamatoa Alfonsi et Maitai Danielson, sont restés sur leurs positions à l’ouverture de ce premier jour de procès. Tamatoa Alfonsi, tête de réseau présumée basée au Mexique, veut protéger ses proches mis en cause. Quasi mutique, il parle peu. Il reconnaît pendant l’instruction avoir importé 3 kg d’ice en Polynésie… La justice lui en reproche 40, c’est 13 fois plus.

Surnommé « Sana » (nom également donné à l’ice), il apposait ce nom lui-même sur les capsules de drogues destinées à être transportées in corpore par les mules. « Vous avez créé votre marque en Polynésie » ironise le président. La justice a saisi plusieurs écrits accablants qu’il conteste aujourd’hui. Dans l’un d’eux, il aurait écrit « j’ai toujours su que je serais le boss, le parrain de Tahiti. » Sur un autre, il a même fait ses calculs : entre les confusions et les remises de peines, il prévoit de se lancer dans le trafic de cocaïne à sa sortie de prison « la cocaïne, c’est l’avenir » aurait-il ainsi écrit, précisant le nombre de tonnes et le nom de son futur associé.

Tamatoa Alfonsi aurait travaillé avec des cartels mexicains pour se fournir en methamphétamine. La situation lui aurait même échappé plusieurs fois. Comme lorsque l’une de ses mules présumées, un Mexicain du nom de Sardina, se fait passer à tabac à son arrivée à Tahiti, par des dealers locaux. Maitai Danielson serait alors intervenu à distance pour demander à apaiser les choses, le dénommé Sardina ayant un oncle dans le cartel mexicain et craignant ainsi que les relations ne s’enveniment davantage. L’une des mules présumées, Baptiste Pousset, un ancien de la Marine Nationale, raconte, encore visiblement stressé, avoir été séquestré et violenté au moins à deux reprises lors de voyages au Mexique. « J’ai foutu ma vie en l’air à cause de l’ice » explique-t-il à la barre.
 

« Je me suis fait avoir »


Maitai Danielson, l’ancien rameur de Huahine, lui, nie intégralement les faits et se considère accusé à tort. Malgré des témoignages, des éléments matériels, les déclarations de sa compagne et des écoutes téléphoniques le désignant comme le bras droit présumé d’Alfonsi. La justice lui reproche même d’avoir exercé des menaces sur certains témoins ou prévenus afin qu’ils modifient leurs versions au cours de l’enquête. Dans un courrier adressé au juge, il jure qu’il désapprouve la consommation d’ice « no ice in paradise » écrit-il.

La justice lui reproche d’avoir envoyé des colis remplis d’ice, d’avoir mis en contact et accompagné des mules et effectué des voyages réguliers au Mexique. « Je pense qu’ils étaient associés depuis longtemps, déclare un cousin de Tamatoa Alfonsi également poursuivi. Mais il y a eu une embrouille entre eux en 2018 et Danielson est devenu beaucoup plus méfiant. »
Maitai Danielson est actuellement en détention provisoire depuis 23 mois. Avec Tamatoa Alfonsi, ils avaient été arrêtés au Mexique en 2018 avant d’être extradés vers la Polynésie. « C’est facile de ramener ça sur moi car je suis déjà en prison. Je me suis fait avoir » répète-t-il à l’ouverture du procès.

Un revendeur présumé raconte pourtant pendant l’enquête avoir déposé de la drogue dans la maison de Maitai Danielson à San Diego, où il y avait une pièce dédiée pour reconditionner la drogue dans des planches de surf, avant de se rétracter : « J’étais dans un délire psychotique. Je ne revendais pas, je consommais tout, j’étais accroc. Dans mon délire, j’ai cru que c’était ça. »
 
Ils sont 25 à comparaître, au total. Des revendeurs, des hommes de main, des « nourrices » et des mules présumés, leurs femmes, des amis d’enfance souvent. Parmi eux également Heimata Caroll et Niuhi Marere, d’anciennes gloire du surf rongées par l’ice.
 

Les repentis


À la barre ce matin, seul Gilles Morat reconnaît un rôle de boss local : de l’importation à l’écoulement de la drogue, en lien avec Tamatoa Alfonsi. Il reconnaît aussi l’envoi d’un colis chargé d’ice depuis Las Vegas et à destination de la Polynésie avec sa compagne, infirmière et également consommatrice d’ice et de paka. Il reconnaît avoir mené « des actions de recouvrement » pour des dettes de stupéfiants contractées par Nikkis Calmajis auprès de Tamatoa Alfonsi. Egalement d’avoir financé le voyage au Mexique de Christian, Arava Boyer, également en détention provisoire dans cette affaire. Ce dernier était chargé de ramener la drogue en Polynésie.
 
Franckie Tumahai, déjà condamné à plusieurs reprises dans des affaires de stupéfiants « veut changer. » Cette fois, il a décidé de collaborer avec la justice lorsqu’il a vu que, désormais, tous les biens étaient saisis, mettant ainsi sa famille en difficulté. « Ce sera dangereux pour moi, il faudra me préserver » demande celui qui dit avoir commencé à consommer du paka et de la cocaïne à 11 ans, dans le monde du moto cross.
 

D’anciennes gloires du surf


Ils sont 25 à comparaître, au total. Des revendeurs, des hommes de main, des « nourrices » et des mules présumés, leurs femmes, des amis d’enfance souvent. Parmi eux également Heimata Caroll et Niuhi Marere, d’anciennes gloire du surf rongées par l’ice. Tamatoa Alfonsi aurait envoyé un courrier intercepté par la justice, à Heimata Caroll pour qu’il ne parle plus de Maitai Danielson et « éviter de foutre en l’air tout ce qui a été mis en place pour que Danielson puisse sortir. »

Il y a aussi le mari d’une surveillante pénitentiaire de Nuutania, accusé d’avoir collecté l’argent, distribué et vendu l’ice et réceptionné une mule à l’aéroport. « Et comment ça se passe pour votre femme ? demande le président. –C’est dur pour elle », reconnaît-il. Ou encore la petite jet set polynésienne en quête d’argent facile. La justice leur reproche ensemble d’avoir participé au plus important trafic d’ice démantelé à ce jour.
 

Deux anciens PNC d’Air Tahiti Nui


Deux anciens PNC d’Air Tahiti Nui, Rarahu Pambrun, la compagne de Tamatoa Alfonsi, et Nikkis Calmajis, doivent également répondre de leurs actes devant la justice. Ils ont depuis été licenciés de la compagnie au tiare. « J’avais demandé à Tamatoa de nous aider, ma fille et moi » explique Rarahu Pambrun à la barre. « Je n’étais pas partie pour faire ça… » Le président lui demande : « Est-ce que vous l’aimez encore ? Est-ce que vous avez de la colère ? –Un mélange de tout ça, répond-elle. »
Quant à son ancien collègue de travail, Nikkis Calmajis, il nie le rôle de « boss local » que lui imputent certains mis en cause, mais aussi des écoutes téléphoniques. « J’avoue ma consommation, » déclare-t-il à la barre. « Monsieur, ce n’est pas ça que l’on vous reproche, s’agace le président. Sinon, il y aurait chaque jour 2000 personnes dans ce tribunal. On vous reproche du trafic et de l’importation de stupéfiants. » « J’ai consommé, détenu, cédé parfois en petites quantités, concède-t-il. J’ai aussi payé le voyage de Niuhi Marere au Mexique sans connaître la finalité de ce voyage. […] Je ne connais pas Alfonsi, je ne l’ai eu qu’une fois au téléphone. Et Danielson était le copain d’une bonne amie à moi. »
 

Une cavale avec des complicités


Reste que Tamatoa Alfonsi, condamné en 2011 et en 2017 pour des faits similaires, est resté longtemps en cavale au Mexique, grâce au soutien de plusieurs proches. Reiani Nena, la possible maîtresse de Tamatoa Alfonsi, est accusée d’avoir transféré 37 millions de Fcp à Tijuana, puis 6 à 7 autres millions car « Alfonsi était menacé par les cartels pour des impayés. C’était pour ne pas qu’il se fasse tuer. » Quant à savoir ses liens exacts avec Tamatoa Alfonsi, elle préfère rester vague « c’est une question personnelle, je ne vois pas pourquoi je devrais répondre. »
 
Difficile de démêler le vrai du faux dans cet imbroglio, ces voyages et des rôles parfois interchangés, des comptes souvent à régler. Comme pour Heiarii Tepea, dit « Touff », un proche de Tamatoa Alfonsi désigné comme le boss du réseau à Huahine. « Je n’ai jamais eu de téléphone », déclare-t-il pendant l’instruction. Les enquêteurs en retrouveront 16…
 
Beaucoup des mis en cause sont en état de récidive légale. Ils encourent jusqu’à 20 ans de prison. Au vu du nombre important de prévenus, le procès pourrait durer 2 semaines.