Australie : les corporations aborigènes, un édifice rongé par la corruption

A cause d'un entrepreneur corrompu, les vieux du village de Warmun se retrouvent sans maison de retraite.
Détournement de fonds publics, corruption, abus de pouvoir… Les finances de 44 corporations aborigènes font l'objet d'une enquête menée par une division du cabinet du Premier ministre. 


Le népotisme et les conflits d'intérêts sont également monnaie courante dans ces organismes dont le rôle est de fournir des services publics aux villages du bush et de l'outback, comme la maintenance des routes, des systèmes d'égoûts, du réseau de distribution de l'eau. Ces corporations sont aussi responsables de l'éducation, des services de santé, des HLM, et des services juridiques, entre autres.
Pour cela, les organisations aborigènes reçoivent chaque année des centaines de millions de dollars. En mai dernier, le cabinet du Premier ministre a affecté 1 milliard de dollars à 996 organisations indigènes.

C'est donc le cabinet du Premier ministre qui enquête sur ces fraudes à grande échelle. Parmi les 44 organismes visés, le cas le plus dramatique concerne le village de Warmun, dans le Kimberley, au nord de l'état d'Australie occidentale. La région a subi de graves inondations en 2011, qui ont détruit la plupart des maisons.

Warmun: un arnaqueur professionnel


Le département du logement du gouvernement d'Australie occidentale a alors confié la reconstruction du village à Craig Dale, et à son entreprise de BTP Fiveday Holdings. Il s'agissait de bâtir 56 maisons.
Craig Dale a réussi à soutirer 3 millions de dollars au village de Warmun sans terminer les travaux.
Kenneth Rivers était le directeur de Warmun Community Inc., la structure qui gère la commune. Il est interrogé par nos collègues de Four Corners, l'émission d'investigation d'ABC :

« Il nous a dit qu'il devait nous envoyer la facture pour le travail qu'il allait faire faire, avant de débuter les travaux. Je pense qu'il nous a arnaqués au bon moment, quand nous étions les plus vulnérables. »

Le village ne s'est donc jamais remis de ces inondations dévastatrices de 2011. Leigh Cleghorn est le nouveau directeur de Warmun Community Inc.

« La conséquence immédiate pour Warmun, c'est que le gouvernement fédéral a aussitôt suspendu le programme. Une maison de retraite a été construite au village au lendemain des grandes inondations, 7 à 10 millions de dollars ont été investis dedans, mais nous ne pouvons pas l'utiliser, on n'a même pas allumé la lumière dans le bâtiment, parce que nous n'avons pas le budget pour faire fonctionner cette maison. »

Craig Dale est un arnaqueur professionnel. Il risque 7 ans de prison dans une affaire parallèle, car il a réussi à voler près de 500 000 dollars à la banque Commonwealth.

L’organisme Garnduwa aide les communautés aborigènes à détecter de jeunes talents sportifs, particulièrement en footy, le football australien.

Le directeur-général du département du développement régional d'Australie occidentale s'est dit « profondément affligé » de voir que quelqu'un ait pu profiter de Warmun « d'une façon si dévastatrice ».
Warmun Community Inc. est l'une des dizaines organisations aborigènes dont les finances sont passées au crible par le cabinet du Premier ministre. Un autre scandale touche l'organisation Garnduwa Amboorny Wirnan de Broome, toujours en Australie occidentale. Elle est chargée d'aider les villages aborigènes à organiser des événements sportifs et à repérer et former des jeunes talents en footy, le football australien. Alan Bishop, l'ancien directeur de Garnduwa Amboorny Wirnan, aurait détourné plus de 550 000 dollars des caisses de l'organisme. 

L’organisme Garnduwa aide les communautés aborigènes à détecter de jeunes talents sportifs, particulièrement en footy, le football australien. (Photo: ABC / Alex Mc Donald)

Les fraudes, pas surprenantes


Warren Mundine déclare qu'il n'est « pas surpris » que l'enquête révèle des malversations à grande échelle. Il est le président du conseil consultatif indigène du Premier ministre.

« Il y a beaucoup de gens bien dans ces conseils d'administration, qui travaillent dur pour leurs communautés, insiste-t-il. Mais nous avons quand même un problème systémique. Je trouve cela intéressant de voir qu'il y a des gens sans formation économique, financière ou de gestion, qui siègent dans les organisations aborigènes, alors que c'est quelque chose qui ne serait jamais accepté dans toute autre organisation australienne. »

Pourtant, Laura Beacroft, l'une des architectes des lois qui régulent les corporations indigènes, affirme qu'il n'y a pas plus de fraudes dans ces organismes que dans le monde de l'entreprise. D'après elle, les lois sont plus strictes que pour les entreprises normales. Par exemple, l'ORIC, l'office des corporations aborigènes, peut aller vérifier les comptes de toutes les organisations quand bon lui semble, sans devoir se justifier.

Caroline Lafargue/Radio Australia