Le gouvernement est-il victime de "bashing" ?

"Nous accuser d'obscurantisme, de mensonges, de dictature ou de satanisme (...) cela relève de l'attaque politique." Ce sont les mots du président Edouard Fritch lors de son discours la semaine dernière après le rassemblement des anti masques. Le gouvernement est-il victime de "bashing" ?
"Certaines personnes manifestent publiquement pour refuser le port du masque. Je ne sais pas quoi penser de cette contestation, qui rassemble des motivations disparates. Chaque citoyen est libre de s’exprimer. En revanche, les jugements portés par les protestataires sont excessifs. Nous accuser gratuitement d’obscurantisme, de mensonges, de dictature, ou de satanisme, je m’interroge. Nous n’avons par exemple jamais parlé du port de masque pour les enfants de 4 ans. Cela relève plus de l’attaque politique, que du vrai débat sanitaire".

Ce discours a été prononcé par le président du Pays, Edouard Fritch, lors du point de presse Santé consacré à la Covid-19, le 15 septembre dernier. Deux mois exactement après la réouverture des frontières du Pays, juste après l’annonce des premiers décès liés virus. Une allocution adressée aux détracteurs notamment sur les réseaux sociaux. Ces attaques dont seraient victime le gouvernement sont ce qu’on appelle sur les réseaux : le "bashing". Un anglicisme qui s’apparente au lynchage médiatique, mais dont les auteurs sont en majorité des internautes lambda.

Selon Sémir Al Wardi, professeur de sciences politiques à l’Université de la Polynésie française, "quand on regarde la contestation dans les démocraties occidentales actuellement, c’est vrai qu’elle est assez forte parce qu’il y’a des réseaux sociaux qui sont très suivis, il y’a un « bashing » des gouvernants, c’est presque même devenu une tradition, il y’a un rejet, il y’a ce qu’on appelle le "dégagisme". Il ne faut pas oublier qu’aux dernières élections présidentielles, ce sont les deux outsiders qui se sont retrouvés au deuxième tour. En revanche en Polynésie française, on n’est pas vraiment touché par ce type de réactions, on est encore beaucoup plus dans des traditions, c’est-à-dire le respect du "metua" que l’on va suivre… On voit très bien quand un leader politique décide de prendre une nouvelle voie même pratiquement opposée à celle qu’il avait jusqu’à présent il y’a toujours une partie de ses électeurs qui vont le suivre évidemment. Il y’a ce respect, il n’y a pas ce "bashing" de l’autorité, alors c’est vrai qu’on peut être étonné de la réaction du président de la Polynésie qui site cela dans son discours, mais cela représente une infime minorité extrêmement hétéroclite en Polynésie."


Plusieurs raisons


Pourtant sur les réseaux sociaux, certaines critiques sont dures. Les termes "dictature, satanisme ou irresponsables" sont effectivement visibles dans les commentaires adressés au président et son gouvernement. Des insultes aussi sont quelques fois visibles un temps avant que les pages ne soient ensuite modérées. Des critiques fortes, notamment avec la crise de la Covid. Il faut dire que les discours hésitants et contradictoires des autorités ont accentué une certaine défiance chez ces internautes qui n’hésitent pas à coucher leur mécontentement sur la toile.

Toujours selon Sémir Al Wardi, il y’a plusieurs choses. "La première, c’est que la Covid arrive, on ne sait pas ce que c’est, c’est extrêmement complexe, et c’est assez virulent. Du coup, on va prendre des décisions, et des décisions dans la précipitation, c’est certain. Et même si on peut être étonné, on peut quand même remarquer que si des Etats dans le monde décident de mettre en berne leur économie, c’est que véritablement, il y’a danger, alors après dire qu’on touche aux libertés, etc. je rappelle, que lorsque dans une démocratie le Pouvoir touche aux libertés, c’est au juge justement de faire respecter les limites, et on l’a vu, le Conseil d’Etat et les tribunaux administratifs ont fait leur part et ont annulé ce qui était quand même considéré comme excessif. Mais le reste non, ça relève véritablement de problèmes sanitaires. Ce qui peut paraitre gênant d’abord c’est que c'est long, très long, on commence à être fatigué sur le plan économique, sociologique. On a l’impression parfois que les pouvoirs tâtonnent, et c’est ce tâtonnement, dû à l’inédit évidemment, qui fait douter du pouvoir, un pouvoir souverain ne se trompe jamais. On est toujours dans ce narratif-là, en réalité, le pouvoir fait de son mieux devant une maladie que l’on connait encore très peu."
 
©polynesie

Propos en effet illustrés depuis le début de la crise de la Covid lors des différentes communications du gouvernement. Avec par exemple : les masques, jugés inefficaces, puis recommandés après quelques semaines pour être aujourd’hui rendus obligatoires dans certains lieux publics. Un discours qui a évolué selon le ministre de la Santé, Jacques Raynal, qui répondait le 18 septembre dernier :"Au début personne ne savait ce qui pouvait être fait, personne. Nul scientifique était capable de dire exactement ce qui se passait, et qu’est-ce qu’il fallait faire. Désormais, on le sait". 

Le ministre poursuit en expliquant que le cap n'a pas change. "On ne fait que modifier, non pas la direction, mais l’allure à laquelle on va vers tel endroit, donc il ne faut pas dire que l’on change de cap(...) Les mesures que nous avons été amenés à prendre sont basées sur un certain nombre d’expériences que nous ne pouvons pas faire ici car nous avons une population très faible par rapport à l’épidémiologie. L’évolution est peut-être un peu différente chez nous, et c’est les différents conseils scientifiques, internationaux ou nationaux qui sont amenés à émettre des recommandations. En fonction des recommandations qu’ils émettent, nous voyons si nous pouvons adapter les mesures. Est-ce que celles que nous avons prises sont suffisantes, sont excessives, sont normale ? C’est en fonction de ces conseils internationaux, médicaux, scientifiques que nous avançons."


Le réseaux, une lame à double tranchant


Mais ces arguments seront-ils entendus par la frange de la population qui refuse catégoriquement le masque ? Par ceux qui parlent d’un complot mondial ? Ou encore par ceux qui se méfie tout simplement du discours politique fluctuant ? Peut-être pas. "Celui qui n’osait pas s’exprimer et qui pensait qu'il y’aurait quelques doutes sur sa pensée, aujourd’hui il peut se lâcher parce qu’il sait qu’il y’aura trois ou quatre autres qui vont le suivre. Et ces réseaux sociaux évidemment peuvent changer certaines attitudes. Maintenant, il y’a d’autres caractères plus positifs pour les réseaux sociaux, on l’a vu dans les révolutions dans certains pays, ils ont eu une fonction rassembleur qui a été extraordinaire. Il faut donc faire très attention", explique Sémir Al Wardi.

Libres tribunes ? Couveuses à complots ? Libérateurs de paroles ? les réseaux sociaux sont ainsi une lame à double tranchant… Mais il ne faut pas oublier que sur le web, chacun reste responsable de ces propos et peut être amené à en répondre face à la justice.