La MFR (Maison Familiale Rurale) Filles de Papara n’a pas fait sa rentrée, même en distanciel, cette semaine. L’établissement, qui forme des collégiens et des CAP aux métiers de l’agriculture et de l'aide à la personne notamment, a été fermé, suite à des soupçons de détournements de fonds. Dans un document que nous avons pu consulter, le service d’Etat de la Formation et du Développement relève « des opérations non justifiées pour un montant total de 55 282 713 Fcp » sur 2020 et 2021. Des subventions versées par l’Etat pour les frais de fonctionnement, mais aussi, pour les bourses des élèves.
L'Etat coupe le versement des subventions de fonctionnement
Ces établissements scolaires privés fonctionnent sous statut associatif sous contrat avec l'Etat pour offrir des formations en alternance et un internat. Il y en a 8 en Polynésie, rassemblant 450 élèves, de la 4e au CAP. Les frais de scolarité varient entre 100 000 Fcp et 120 000 Fcp selon les formations. Pour s'assurer du paiement des frais de scolarité, les MFR perçoivent directement les bourses des élèves de la part de l'Etat et en reverse une partie aux familles, en cas de trop-perçu.
Suite à ces soupçons de détournement de fonds, le Service de la Formation et du Développement relève que « les personnels présumés auteurs des détournements seraient maintenus dans leur fonction […] le scénario présenté n’offre pas toutes les garanties attendues pour continuer à subventionner cette structure […] le ministère de l’agriculture et de l’alimentation (MAA) décide de suspendre la subvention de fonctionnement de l’Etat à l’association responsable de la MFR de Papara-filles à compter du 1er septembre 2021, compte tenu des manquements graves et répétés de l’association responsable de la MFR de Papara Filles aux obligations qui lui incombaient, notamment au regard des sommes perçues de la part de l’Etat. »
Sur place, la directrice de l'établissement n’est pas présente. Jointe par téléphone, elle ne souhaite pas s’exprimer pour le moment et assure ne pas pouvoir expliquer où sont passés les 55 millions Fcp manquants. "Demain, je serais peut-être plus disponible, là vous me prenez de court [...] On est sur un mode associatif. Je suis peut-être directrice, mais je suis subordonnée. C'est-à-dire que, quand on me donne des éléments, je veux bien répondre. Mais quand je n'ai pas eu les éléments et quand on fait un contrôle et qu'on me demande à moi de justifier des choses...c'est pas que je n'étais pas au courant, mais je n'avais pas de visu sur les comptes, donc je ne peux pas m'avancer." Elle précise que personne n'est mis à pied "et quand bien même il y aurait une mise à pied, je continuerais à venir à la MFR parce qu'il y a plein de choses à régler".
Enquête administrative et judiciaire aussi au CPMFR
Au Comité Polynésien des MFR, représentant toutes les maisons familiales rurales en Polynésie, la situation financière n'est pas plus claire. Il est également visé par une enquête judiciaire et administrative pour des faits similaires, mais antérieurs. Un rapport d'audit achevé en 2017 a rendu "un avis très défavorable". Le CPMFR aurait décidé de l'attribution des fonds aux MFR, alors que ses statuts ne lui en donnaient pas le pouvoir. Il aurait ainsi été rendu destinataire des fonds versés par l'Etat au titre des bourses et du fond social lycéen. Or, l'audit que nous avons pu lire, révèle que les fonds n'auraient pas été intégralement reversés aux MFR et que les élèves bénéficaires des bourses n'en auraient pas été les réels destinataires. Le CPMFR perçoit également de part du Pays, des subventions pour le transport et l'hébergement des élèves.
L'audit relève que les justificatifs de dépenses ne sont pas toujours fournis et d'importants retraits en espèces ont été effectués, à partir de 2015. Ainsi, pour la fin de l'année 2016, l'audit revèle l'achat d'une Kangoo (2,8 millions Fcp) "jamais vue au siège" durant l'audit, l'achat de matériel informatique et d'une télévision absents ou "remis" au président du CPMFR, récemment décédé. Mais aussi, des séjours en pension de famille, dans les magasins de Papara, un voyage aux Marquises, des achats de vêtements à Besançon en France, des cigarettes, la location d'un véhicule à Lyon...sans justificatif.
Sur place, la directrice du CPMFR ne souhaite pas s’exprimer. "Je suis en deuil, notre président est décédé. Toute la semaine, je n'ai eu que des deuils en ce moment. Je n'ai pas le moral à discuter. [...] Je suis dans tous mes états, je ne comprends pas."
Contactés, les services du Pays n’ont pas donné suite à nos demandes d’interview, mais nous ont répondu par mail. « A la demande de la Vice-Présidence et de l'Etat, un signalement au procureur a été fait en juin dernier pour suspicion de détournement de fonds public au sein du MFR Papara filles. [...] Concernant l’enquête judiciaire [au] CPMFR, [...] la DMRA [Direction de la Modernisation et des Réformes de l'Administration ndlr] a été saisie par la VP/PR au mois de juillet pour recontrôler leur gestion (CPMFR). Nous attendons leur rapport."
En attendant, les 13 élèves inscrites ont été réparties dans d’autres établissements, à compter de cette semaine. 10 sont désormais à la MFR de Vairao et 3 à la MFR-EO Taharuu Papara et poursuivent leur formation en continuité pédagogique.