Dans le public ce vendredi, des visages connus dans le milieu de la culture : Jacky Bryant, Etienne Raapoto ou encore Heremoana Maamaatuaihutapu... Ils sont enseignants, politiciens, artistes, étudiants, employés d’administrations ou encore représentants des différentes confessions religieuses au fenua, plusieurs centaines de locuteurs quotidiens du reo Tahiti, engagés dans la réflexion, avec chacun leur avis sur la question. La lettre K doit-elle officiellement faire partie de l'alphabet tahitien ?
"C'est déjà dans l'usage, tous les jours ! Il vaut mieux valider les choses pour que cela soit accepté de tous", rétorque Mareto Hauata, de l'Église de Jésus Christ et des Saint des derniers jours. Mais ce n'est pas aussi simple...
Une lettre qui appartient au Paumotu ?
L'académicien Winston Pukoki, lui, pense que cette lettre n'appartient qu'à l'alphabet Paumotu et qu'il faut le distinguer du Tahitien. "Tous les mots qu'on entend avec les K ne sont pas des mots tahitiens. Or, on s'occupe de la langue tahitienne. Ce sont des importations. Le fait d'introduire la lettre K dans le tahitien, ce n'est plus le tahitien qu'on parle, c'est un néo-paumotu ou un néo-tahitien qu'on est en train de parler ou d'inventer" dit-il.
Parole à laquelle adhère, en quelque sorte, Heiotiu Tehevini, porte-parole de l'Église Protestante : "quand un Tahitien s'exprime au travers d'un 'ōrero dans sa langue, il n'y a pas de K. Aujourd'hui, on veut ajouter cette lettre à l'alphabet tahitien. Pour nous, l'Église protestante Maohi, la langue doit rester pure, comme elle a toujours été parlée par le peuple Maohi."
"Effacée" par les Européens ?
Mais la lettre K n'aurait-elle pas été effacée avec l'Évangélisation ? Si l'on reprend l'idée de "pureté" du reo Tahiti, le K en aurait fait partie à un moment donné de l'Histoire.
"Ce n'est pas l'introduction d'une lettre nouvelle. C'est la réintroduction d'une lettre qui a existé dans la langue tahitienne, bien avant l'arrivée des Européens. Parce que dès lors que les Occidentaux sont arrivés, ils ont figé les mots par l'écriture" défend Emmanuel Nauata, directeur de l'Académie tahitienne.
Analyse linguistique
Aujourd'hui la lettre K s’est tout naturellement imposée dans le tahitien parlé, avec un rôle "d'opposition" selon Jacques Vernaudon, maître de conférences en linguistique océanienne à l'Université. "D'un point de vue systémique, dans la langue contemporaine, on voit que le son "k" permet d'opposer des mots. Par exemple quand on dit kava, par opposition à 'ava : le kava c'est la plante alors que le 'ava est devenu un mot spécialisé pour désigner l'alcool. Alors que 'ava vient lui-même du kava. Mais dans la langue contemporaine les deux mots coexistent de manière complémentaire pour désigner deux choses différentes. Cela veut dire que le son "k" sert à distinguer deux mots différents et donc devient fonctionnel" analyse le linguiste.
La décision finale de l’Académie tahitienne est attendue vers la fin du mois de mai.