"Papa voulait faire un film avec elle !", lance Maima Sylvain en regardant le portrait de sa sœur Vaea récemment décédée à Paris. Sur un tirage un peu défraîchi, Vaea fixe l’objectif de son père photographe et rappelle ces actrices des années 70-80. "Elle avait des yeux fantastiques, même bébé elle avait des yeux incroyables". Ils étaient bleu-vert.
Cette beauté, Vaea aurait vraiment pu s’en servir pour faire carrière dans le cinéma. Il n’en fut rien. Elle, tout ce qu’elle voulait c’était attirer l’attention sur ce qu’elle créait : des dessins et de nombreux tableaux. Des œuvres qui l’ont consacrée comme une artiste hors pair. "Vaea n’a pas été mannequin, elle a surtout été une artiste dans toute sa splendeur, c’était une très belle femme, très courtisée. Je pense que Vaea était un personnage extraordinaire, hors du commun, partout où elle allait elle monopolisait l’attention, ne serait-ce que par son regard", remarque Teva, son frère photographe connu pour ses clichés de vahine.
Vaea peignait sans cesse. Un virus attrapé sur le tas, transmis entre autres par "des artistes polynésiens comme François Ravello qui lui ont donné les rudiments pour apprendre à peindre", ajoute Teva. Après son bac "elle n’a pas eu de formation aux beaux-arts…elle a pu comprendre la peinture et a développé son art de la peinture, c’est ce qu’on appelle des autodidactes".
Sa passion de la peinture, c’était en fait son travail. "Du travail, du travail, j’adore ça. Et plus c’est difficile, et plus j’aime. Et quand c’est facile, je m’ennuie. Alors qu’en réalité rien n’est vraiment facile et donc rien ne m’ennuie. Ca me résume assez bien parce que ce qui semble facile ne l’est pas, et ce qui est difficile est fastoche", écrivait Vaea. La marque des vrais artistes. 95% de sueur et 5% de talent, disent-ils.
Un travail largement reconnu, ici comme ailleurs. "Elle a fait des allers et retours tout le temps, elle a voyagé tout le temps, et elle a travaillé tout le temps on va dire…Elle a fait énormément d’expositions, aux Etats-Unis, en France, au Japon, partout. En fait, elle n’arrêtait pas. Sur son [long] CV, elle n’arrêtait pas…Elle écrivait, elle peignait, elle n’arrêtait jamais, en fait", reconnaît Maima, la "petite" dernière du clan Sylvain.
Et c’est dans la maison familiale de Punaauia que quelques-unes de ses œuvres sont exposées. On s'aperçoit que Vaea a touché à tous les genres. Pointillisme, surréalisme, figuratif… "On ne peut la mettre dans un moule…elle n’a pas vraiment de style car elle a évolué tout le temps", précise Maima. Avec grâce et beauté. A l'image de ces croquis représentant des scènes ordinaires de la vie locale. Ici, un orchestre kaina, là des danseuses, un peu à la manière de Boullaire. Ou encore ces deux tableaux accrochés dans le salon dévoilant une étude sur le drapé. Sur le plus petit, une jeune vahine est allongée. "C’est moi endormie !", s'exclame fièrement Maima. A côté, dans la chambre de leur mère Jeanine, on sent l’influence de Gauguin : Vaea a peint des femmes marchant ou assises vêtues d’un simple pareo.
Et la comparaison ne s’arrête pas à la peinture. A l’écriture aussi. "Je vois la peinture de Vaea comme quelque chose d’assez exceptionnel, c’est une artiste de talent, extraordinaire dans sa peinture, mais elle a quelque chose de particulier qu’on retrouve chez Gauguin, c’est-à-dire que la peinture de l’artiste est aussi soutenue par son écriture. Et Vaea écrit de manière extraordinaire, Gauguin s’exprimait de manière aussi particulièrement incisive, mais pour Vaea, c’est la sensibilité d’une femme qui s’exprime sur divers sujets, avec beaucoup de profondeur", précise Teva Sylvain, "en tout cas, c’est une artiste qui va rester ici, son nom va certainement persister dans la culture locale parce que justement elle a apporté un complément à sa peinture, c’est-à-dire l’écriture".
Peinture, écriture et aussi sculpture. Parmi les dernières œuvres qu’elle a produites, "une sculpture sur plexiglass, elle a sculpté un tiki et a été exposée en 2014, avec des artistes très connus comme Picasso. Elle a fait un chef-d’œuvre", lâche Maima.
On l’aura compris, le clan Sylvain est plus que jamais soudé et en admiration après le décès de cette sœur à la beauté envoûtante et à la créativité débordante.
Sur une photo en noir et blanc, Vaea est en train de peindre dans son atelier comme si elle allait ensuite à la plage, chapeau en ni'au sur la tête et simplement vêtue d’un bikini ! "Elle était inclassable [comme son œuvre], elle était partout à l’aise, dans la ville, sur un motu", déclare Maima, "sur l’eau [aussi], elle a été championne de Polynésie de ski nautique [vers l’âge de 15 ans], comme Teva après".
Une touche-à-tout dont le moteur a sans aucun doute été son amour inconditionnel de la vie. "Vaea aimait vivre, elle jouissait des plaisirs de la vie, comme de la cigarette à outrance, je crois qu’elle a brûlé la chandelle par les deux bouts ! Elle est décédée à l’âge de 74 ans, elle a bien vécu", remarque, apaisé, Teva.
Même si elle a eu de nombreux courtisans, sa soeur n’a pas eu d’enfants. D'aucuns diront que les siens, ce sont ses créations qui appartiennent désormais à ses proches. " Elle nous a laissé des œuvres d’art fantastiques, donc on ne l’oubliera jamais. [Son âme est toujours dans ses œuvres ?] Oui, c’est sûr !", affirme Maima.
Un riche héritage artistique, fruit d’une intense activité et d’une liberté sans limite : "Je suis absolument certaine qu’un artiste c’est comme le vent : personne ne peut dominer le vent, il faut le laisser faire. Cadrer l’artiste, c’est le mettre en prison, là c’est la fin de l’art", écrivait Vaea.
L’artiste sera prochainement incinérée à Paris. Puis ses cendres seront rapportées par son frère à Tahiti.