Bilan ou débat populaire ? 80 questions pour 100 jours de gouvernance

Le président Moetai Brotherson s’est prêté au jeu des questions-réponses devant près de cent personnes de la société civile à la présidence, jeudi 24 août. Des échanges de proximité plus qu’un bilan, au lendemain de son allocution des 100 jours… Si le président n’a toujours pas présenté de feuille de route claire et concise, il a sans doute gagné en popularité.

Quand certains voient l’exercice de ces questions-réponses comme un bilan des 100 premiers jours du gouvernement Brotherson, d’autres le perçoivent comme une approche de démocratie directe qui aurait pu être faite depuis longtemps, tant les questions sont relatives à des problèmes existants bien avant l’accession au pouvoir de Moetai Brotherson.

C’est le cas de l’accès à la propriété des jeunes ménages, qui ne peuvent plus faire face à la flambée des prix des terrains et des logements. Quand Nadia Shan, 26 ans, diplômée d’une grande école de commerce en France, avoue ainsi qu’elle ne veut pas s’endetter toute sa vie pour acquérir, le président Brotherson lui répond qu' "il y a 15 ans encore, des jeunes de son âge pouvaient construire leur maison sans s’endetter pour le reste de leur vie, aujourd’hui ce n’est plus le cas". Car le manque de foncier, de terrains à bâtir est un frein. De même que la spéculation.

Plus de logements intermédiaires

Des pistes de solution existent selon le président Brotherson : "l’adaptation d’une loi existant dans l’Hexagone qui dissocie le foncier du bâti pour permettre aux collectivités de faire des acquisitions et que le prix du foncier ne varie pas dans le temps". Le deuxième axe repose sur la société Arana, filiale de l’OPH, destinée à produire des logements intermédiaires, les plus demandés par les jeunes ménages ou les classes moyennes. Elle propose des financements longs pour "produire beaucoup plus de logements intermédiaires plus accessibles aux jeunes ménages", souligne le président du Pays.

Sur cette lancée, Manoa Terai, étudiant, demande alors quand sera mis en œuvre un programme d’accès au logement pour les classes moyennes et quels sont les critères pour y prétendre ? Ce sont celles qui gagnent "entre 2 et 4 SMIG", lui répond le chef de l’exécutif local, "la cible de la société [Arana]… Mais il y a des étapes de notre réglementation qui doivent être faites notamment pour que le Pays puisse se porter garant des emprunts effectués dans ce secteur-là. Ce qui est impossible aujourd’hui". Dès que les modifications seront faites, "d’ici à la fin de l’année, on pourra créer Arana et lancer les premières opérations [l’an prochain]".

A cause du manque de terrains, certains comme Georgette Wong demandent au président pourquoi n’y a-t-il pas une loi interdisant de vendre des terres aux étrangers voire aux Métropolitains ayant moins de 10 ans de résidence dans le pays ?

Moetai Brotherson sourit en déclarant que si "nous étions un pays indépendant la réponse serait simple, mais étant une collectivité française de la République avec un statut particulier… le droit de propriété ne relève pas de notre compétence…et on ne peut pas prendre une loi de Pays qui interdirait aux Polynésiens de vendre leurs terres en dehors des natifs". Mais plus tard, si la Constitution intègre la notion de citoyenneté polynésienne, "là on aura un point d’appui pour pouvoir réglementer… tant qu’on ne l’a pas, on ne peut pas faire grand-chose", avoue alors le président Brotherson.

Peu de fare OPH

Manque de terres mais aussi de logements, notamment sociaux. Depuis leur création, seuls "4000 Fare OPH ont été fournis et 4000 demandes sont encore en attente !", constate Moetai Brotherson. Sa réflexion est simple : dans les lotissements sociaux actuels, des personnes qui se sont élevées socialement pourraient les quitter pour aller dans des logements intermédiaires et libérer ainsi des logements sociaux.

Et quand on est étudiants, la question du logement est encore plus cruciale comme le dit Hina Tahutini, étudiante. Des dispositifs d’aides existent, lui explique Moetai Brotherson, comme l’ALE, mais souhaite néanmoins "une part plus grande l’Etat" dans ce dispositif. Mais entre une allocation plus grande et augmenter le nombre de maisons des archipels (dédiées aux étudiants des îles), Moetai Brotherson avoue qu’il doit avant tout consulter son ministre de l’Economie puis arbitrer ensuite. Car les priorités sont nombreuses.

Autre sujet cher aux étudiants, le coût de la vie. Beaucoup ont du mal à joindre les deux bouts. Heiani Tahutini, étudiante, s’en plaint et avoue même que des jeunes doivent se prostituer pour pouvoir vivre et étudier. Ce qui émeut quelque peu Moetai Brotherson.

L’octroi de bourses étudiantes ne semble pourtant pas suffisant. Pour lui, elles représentent "non pas une charge mais plutôt un investissement sur le long terme qui doit se traduire par des résultats. C’est "gagnant-gagnant", dit-il.

Si bien qu'étudier dans le supérieur nécessite des moyens financiers pour se loger, cela demande aussi de bien se nourrir. Et ça commence dès le plus jeune âge.

Vie chère et mauvaise santé

C’est la question de Sylvie Hug, retraitée, qui pointe le fait que les familles à petits revenus n’ont pas accès à une nourriture saine car trop chère. Comme les légumes. Manger équilibré pour préserver la santé, ce que met aussi en avant Moetai Brotherson. Selon lui, une des solutions serait de produire davantage localement pour importer moins. Privilégier les circuits courts, notamment alimentaires : "pourquoi manger des pommes importées plutôt que des mangues locales ?"

Et de prendre alors le cas de la production de bananes trop soumise "à la saisonnalité, pas de production régulière, pas constante. Demain il faudra proposer des unités de mûrissement pour récupérer les bananes des producteurs au fil de l’eau afin de fournir constamment et à moindre coût des bananes", à l’instar de ce qui existe en France.

Le président du Pays reconnaît alors qu’en Polynésie les produits locaux bruts ou transformés sont et resteront chers à cause "des coûts de main d’oeuvre, de l’étroitesse du marché et qu’il n’y a pas d’économie d’échelle".

Mais plus qu’un bilan des 100 premiers jours de gouvernance, Moetai Brotherson s’attache dans cet exercice inédit à répondre aux questions du quotidien, un peu comme cela se passe durant les meetings politiques avant des échéances électorales.

À la question de savoir comment lutter contre la vie chère, le président du Pays répond qu’il "existe des mécanismes pour aider les plus petits comme les PPN et le PGC" et que pour que les prix baissent encore plus, il faut "davantage de concurrence dans la grande distribution". Logique, mais la réalité est tout autre.

Revoir la fiscalité

Peut-être faudrait-il revoir en fait la fiscalité en Polynésie ? S’il répète que la TVA sociale sera supprimée au 1er octobre, promesse de campagne oblige, les prix ne baisseront que de très peu estiment déjà les économistes.

Comment la remplacer et trouver les 9 milliards cfp qu’elle rapporte à la CPS ? Certes en taxant davantage les hauts revenus à travers la CST, cet impôt direct qui ne dit pas son nom. Mais ce ne sera pas suffisant pour combler les 9 milliards.

Ou bien en instaurant un impôt sur le revenu comme en France, demande un internaute sur Facebook ?

Réponse franche du président : "c’est inapplicable ici. Car le coût de la collecte de cet impôt serait improductif…[Il n’est] pas transposable ici".

Donc pas d’impôt sur le revenu comme ailleurs, mais sous une autre forme. "Ça va dans le sens de plus de justice sociale", dit-il, mais avant il y a "nécessité de discuter avec les partenaires sociaux dès 2024, en vue de réformer la PSG".

Au lieu de fiscaliser l’activité, pourquoi ne pas l’encourager en favorisant les secteurs porteurs ? De quoi créer davantage d’emplois et maintenir le cercle vertueux.

Tourisme et transports

C’est ainsi que Fleur Garnier évoque le tourisme, qui rapporte chaque année 60 milliards cfp au Pays. "Les enjeux d’un tourisme attractif sont considérables. Le ministère du Tourisme mériterait d’être unique", dit-elle en faisant référence aux multiples casquettes du président Brotherson.

Lequel répond que "l’objectif de 600 000 touristes par an n’est pas réalisable aujourd’hui car il n’y a pas assez de chambres, d’avions, et pas seulement". Et il faudrait plus de nourriture à offrir aux visiteurs. Déjà qu’on est encore loin de l’autosuffisance alimentaire…

Cela nécessite une "réflexion d’ensemble, mais il y a une solution potentielle avec un aéroport international des Marquises. Mais avant, une étude préalable entre Etat et Pays doit être effectuée".

En parlant de transport, les questions ne manquent pas. Notamment pour résorber les sempiternels embouteillages qui partent du sud de Tahiti jusqu’à Papeete.

Laure Cumin, résidente de la presqu"île, demande alors comment améliorer "les transports en commun" ?

Réponse de Moetai Brotherson : il faut davantage créer ou installer "de services et d’infrastructures dans le sud", afin que les 55 000 personnes qui y vivent n’aient plus à se déplacer dans la capitale !

Depuis des années, les autorités ont fait ce constat, une "réflexion sur l’évolution des transports en commun" s’impose donc. Et le président d’évoquer "les transports en commun en site propre ou TCSP". A l’exemple du tramway mais qui rencontrerait "des contraintes physiques". Ou les transports par voie maritime tout le long de la côte ouest.

Environnement

Inondations à Papeari

Déjà cinq grands axes sont abordés et la discussion se poursuit avec la population sur le thème de l’environnement. C’est une des préoccupations majeures dans le monde mais surtout en Polynésie, où les atolls vont peut-être disparaître en premier de la carte, avec la montée des eaux. Il faudra “relocaliser” les habitants de ces atolls et “avoir un plan. Il faut se poser des questions sur la durée” dit le président du Pays, déplorant l’impact de l’activité des grands pays sur les plus petits pays comme la Polynésie, sans pour autant proposer de solutions… 

L’environnement implique aussi la gestion des ressources en eau. Une question primordiale pour le président qui assistait justement dans l’après-midi au comité de pilotage de l’eau avec tous les autres acteurs -Etat, communes etc.-, “il faut pouvoir connaître et gérer cette ressource en eau de manière durable” en faisant attention aux conflits d’usage entre développement économique et consommation. “L’agriculture par exemple est très utilisateur d’eau” détaille Moetai Brotherson qui compte donc “revoir le code de l’aménagement de l’eau.

Autre “réforme” annoncée, celle du code de l’environnement concernant les contrôles en matière de constructions pour favoriser un développement économique respectueux de la nature. Car, si le gouvernement n’a pas le contrôle sur les projets immobiliers privés, il peut néanmoins s’assurer qu’ils sont menés selon les règles imposées et empêcher les constructions sauvages. 

Quant aux chiens errantsquid de la surpopulation canine sans en arriver à une éradication de masse ?” s’inquiète la présidente du parti animaliste Laurence Piercy. La vie de nos amis à quatre pattes ne sera pas laissée pour compte, assure Moetai Brotherson, puisque c’est un sujet “cher” à la vice-présidente Eliane Tevahitua, en charge de la condition animale. Le président a appuyé son argumentation en précisant que le Gouvernement a répondu favorablement à la demande du maire de Rurutu concernant une opération de stérilisation d’ampleur sur l’île et en rappelant que désormais, les associations animales seront désormais représentées au CESEC. 

Santé, proximité, numérique

Les questions se poursuivent sur le thème de la santé, avec des questions plus ou moins personnelles, concernant les lenteurs administratives mais qui pose la question de la dématérialisation des dossiers…le sujet du numérique est cher au président et souvent mis en avant dans ses réponses. Il insiste d’ailleurs sur les nouveaux “Fare Ora” de son gouvernement, qui faciliteront selon lui les démarches administratives au niveau des inscriptions par exemple, ou en termes “d’éducation” et de “santé.” “Demain nous voulons voir plus de Fare Ora que de Fare Mai” dixit le président. La question est de savoir comment ces Fare Ora se traduiront et avec quels moyens 

Quoi qu’il en soit, Moetai Brotherson semble miser gros sur le digital et Tahiti est plutôt bien lotie selon lui. “La couverture internet dans notre pays est relativement bonne avec des distances qui n’existent nulle part ailleurs. Il faut tirer notre chapeau aux opérateurs qui ont fait des prouesses techniques. En 20 ans, les prix n’ont cessé de baisser.” 

Autant de réponses sans véritable fond…sur la question des addictions aux drogues et notamment à l’ice, le président rebondit sur l’addiction au sucre “essayez d’arrêter de manger des tartes et vous verrez” sans vraiment présenter de nouvelles mesure, alors qu’il le dit lui-même “les structures de suivi de sont pas suffisantes et pas adaptées.” Pas de feuille de route donc, si ce n’est “occuper la jeunesse par le sport” avec des initiatives comme celles de Génér’action Moz. Alors que le cannabis thérapeutique est en passe d’être légalisé au fenua, le chef de l’exécutif local a tenu à “faire le distingo entre l’ice et le cannabis : l’ice est une merde.

Archives. Saisie de presque 21 kilos d'ice d'une valeur de 5 milliards cfp à la revente.

Emploi 

Des questions sur l’emploi ont aussi été posées. Le nouveau gouvernement a déjà annoncé la réforme du système des CAE par exemple. Et aujourd’hui, le président a insisté sur ce qu’il appelle “l’employabilité”, c’est-à-dire favoriser les CDI pour les jeunes comme pour les seniors, et accompagner les entreprises dans ce sens. Mais comment ? La question reste en suspens.  

Pas de grande avancée non plus, sur le projet de la route des coteaux, cette nouvelle voie dans la montagne pour désengorger Papeete à laquelle les autorités réfléchissent depuis de longues années…le ministre des Grands Travaux Jordy Chan devrait se saisir du dossier, qui se heurte à des problèmes de foncier. Jordy Chan qui travaille déjà d’arrache pied sur les solutions pour fluidifier la route côté ouest : “plusieurs options sont envisagées, il a une solution qui devrait satisfaire pas mal de monde.” Nous devrions connaître les contours de cette solution très bientôt…

Et le président de conclure “la richesse de ce Pays : c’est vous, son Peuple”... Le statut n’est abordé que très furtivement en fin d’émission et ne semble pas être pour le moment l’axe prioritaire du président, “les Polynésiens ne sont pas prêts” pour un référendum d’autodétermination lâche-t-il après avoir lui-même posé la question de l’indépendance dans la salle de la présidence - aucune main ne s’est levée… Au bout de 2h30 de questions-réponses, le débat se termine en opération séduction. Un échange instructif entre le public et le chef de l’exécutif local sur des questions avant tout du quotidien.