« Mon fils a failli mourir. Il faisait des crises épileptiques toutes les deux minutes pendant quatre jours ». Une fleur à l’oreille, les yeux rivés sur le sol, Tumata a du mal contenir ses larmes. Assise sur un bout de rocher, près de la plage de Taharuu à Papara, à l’écart des regards indiscrets, cette mère de famille se remémore avec une émotion encore vive cet instant où elle a bien cru que son enfant allait partir. C’était en mai 2022. Pour la deuxième fois, des gendarmes débarquent chez elle et arrachent les pieds de cannabis plantés par son mari dans le jardin de la maison familiale. À leur départ, il ne reste plus un pied, plus une tige, plus une feuille mais seulement le désespoir de parents démunis face à une situation inextricable. « Quand ils sont venus arracher, on était en pleurs. Pour nous, ce ne sont pas de simples fleurs, raconte cette maman, encore éreintée par le chagrin et l’incompréhension, c’est le médicament pour notre bébé qu’ils ont détruit ! ». « Heureusement que notre grande fille était là, sinon je leur rentrais dedans », intervient Arii, le papa, dont le regard noir et perçant vous donnerait la chair de la poule. Le quadragénaire se tient assis sous un arbre aux milles feuilles, à côté de son fils de 12 ans. Le jeune garçon est installé dans son fauteuil roulant, la tête penchée, le regard un peu dans le vide, les mains et les pieds atrophiés. Il semble lui aussi éreinté. « On vient de manger, donc il est fatigué mais il va mieux qu’il y a encore quelques mois, car on a pu reprendre son traitement à l’huile de cannabis ».
Ariimatatini est un enfant épileptique. Il n’est pas né avec cette pathologie, elle est apparue après avoir reçu un vaccin à l’âge de neuf mois. Six jours après cette injection, le bébé se met à convulser jusqu’à 20 fois par jour. Tumata et son mari essayent alors tout : médicaments, rā’au tahiti, prêtre, homéopathie, protocole de désintoxication au vaccin… Mais rien ne permet de stabiliser l’enfant. Pendant cinq ans, le couple vit l’enfer sans jamais se plaindre. Pas de répit, Ariimatatini enchaîne les crises nuit et jour. Impossible pour les parents de dormir, alors ils se relaient. Chauffeur livreur, Arii est obligé de démissionner pour s’occuper de son fils à temps plein. Tumata, elle, garde son emploi comme auxiliaire de pharmacie pour subvenir aux besoins de la famille car le couple a deux autres enfants, deux grandes filles. Un jour, Tumata qui passe des heures à chercher des solutions pour son garçon, tombe sur le témoignage d’une maman aux États-Unis. Elle raconte comment l’huile de cannabis a permis d’aider son enfant épileptique. « J’ai toujours été contre le cannabis qui n’était pour moi que récréatif, mais là j’ai changé d’avis !, raconte la quadragénaire, à la chevelure brune et au visage rond, On a commencé d’abord par le CBD que j’ai commandé aux USA. Par rapport à son âge, son poids et sa pathologie, il pouvait prendre jusqu’à 2 500 mg par jour de CBD. J’ai d’abord commencé par des petites doses pour arriver à celle qui lui convient ». Au bout d’un mois, les effets sont déjà édifiants : l’enfant est plus sociable et réceptif, il est moins dans sa bulle mais il continue tout de même à faire des crises. Sa mère poursuit donc les recherches et s’intéresse à ce qui se passe en Israël, pays pionnier en terme de cannabis thérapeutique. « Ils expliquent que le CBD tout seul est moins efficace que si il y a du THC. Des études ont été faites sur des enfants de 8 à 13 ans, la THC avait de bon résultats sur ces enfants. C’est comme ça qu’on a commencé avec la THC ».
« Il ne mangeait plus, ses muscles se sont encore un peu plus rétractés. Mais heureusement, on a pu replanter »
Arii, le papa, se met donc à planter des variétés différentes chez lui. Des variétés avec du THC, forcément, mais qui ont des effets sur certaines pathologies. Le résultat est sans appel : Ariimatatini passe de 20 à 3 puis plus aucune crise pendant un mois. Leur quotidien change, les parents peuvent respirer et dormir sur leurs deux oreilles, et leur fils reprendre un peu vie. Il progresse, désormais il veut boire et manger seul, une première qui représente beaucoup pour ses parents. Mais cette bouffée d’oxygène ne va pas durer longtemps. Deux ans après des débuts prometteurs, leur vie bascule de nouveau suite à une dénonciation. Les gendarmes interviennent chez eux et arrachent tout ce qu’ils voient. « On avait réussi à avoir et faire pousser six variétés qui lui faisaient énormément de bien. Après leur passage, il n’y avait plus rien. Une fois qu’ils ont tout détruit, la santé de notre fils a commencé à décliner », explique le père de famille qui passera devant le juge et écopera de deux mois de prison avec sursis et 200 000 Fcfp d’amende pour usage et possession de stupéfiants.
La sentence fait mal mais elle ne vient pas à bout de la détermination du couple. Pas question pour eux d’abandonner leur enfant, Arii se remet donc à planter et confectionner de l’huile. Mais en attendant, l’état de leur fils empire. Il perd une dizaine de kilos et convulse énormément. « Il ne mangeait plus, ses muscles se sont encore un peu plus rétractés. Mais heureusement, on a pu replanter. Une fois qu’il a pu reprendre son traitement, c’était beaucoup mieux », se souvient Tumata qui, à l’aide d’un mouchoir, essuie la bouche de son fils, le geste est tendre et plein d’amour. Elle fait une pause dans son récit, regarde son enfant, reprend son souffle puis poursuit. Après deux ans de répit, les gendarmes débarquent de nouveau chez eux en mai 2022. « Quand ils viennent, ils sont compatissants et respectueux envers nous. On ne leur en veut pas, ils font leur travail. Nous on comprend, c’est leur métier, ils obéissent aux lois tout simplement. Mais on n’a pas le choix, on est obligé de planter, il en va de la santé de notre enfant ! »
« C’est inhumain ! Ils ne se rendent pas compte de ce qu’on vit tous les jours et à quel point cela peut être difficile ! »,
Suite à cette deuxième saisie, la situation empire. Sans huile de cannabis, il faut réévaluer le traitement médicamenteux du jeune garçon. Avec l’accord du médecin, ses doses sont augmentées. Mais les effets ne se font pas attendre : Ariimatatini fait des crises toutes les deux minutes pendant quatre jours et manque de mourir. « Du coup, je me suis remis à planter, j’ai récupéré les variétés dont j’avais besoin. Avec le peu qu’on a, on arrive à faire quelque chose », confie le père désarçonné face aux évènements. Il faut dire qu’il n’est pas au bout de sa peine. Il passe de nouveau devant le procureur du tribunal de Papeete dans le cadre de procédure de plaider coupable. Le magistrat propose alors une peine de six mois de prison avec sursis. Une proposition refusée par le couple, le prochain rendez-vous pourrait donc se faire devant le tribunal correctionnel. « C’est inhumain ! Ils ne se rendent pas compte de ce qu’on vit tous les jours et à quel point cela peut être difficile ! », lance Arii, les yeux emplis de colère et de haine. Son seul exutoire : la boxe. Taper dans des sacs et avec ses adversaires lui permet de lâcher ses émotions et lui évite d’en venir aux mains face à une telle « aberration ».
« La justice ne va pas nous faire avancer dans la guérison de mon fils, on le sait aujourd’hui. Alors, on va continuer à planter même si on connaît les risques, on va continuer d’avancer car tout ce qui importe c’est le bien être de notre enfant » estime Tumata, qui n’en reste pas moins inquiète de voir un jour partir son mari derrière les barreaux même si la famille s’est déjà organisée pour survivre à cette nouvelle épreuve. Si aujourd’hui, le couple fait face, il demande néanmoins un peu plus d’indulgence et de bienveillance face à cette situation. « C’est pesant et stressant pour nous. Nous, ce qu’on voudrait c’est au moins avoir une autorisation car on ne le fait pas pour le plaisir, c’est vraiment pour soigner notre enfant. Ça serait vraiment un début pour nous. Ils peuvent nous dire : vous avez le droit à trois ou cinq pieds, ils viennent contrôler et puis c’est tout ! », lance Tumata la voix pleine d’espoir. Elle et son mari sont prêts à continuer le combat. Ils ne sont les seuls : leur fille, poussée par l’injustice dont sa famille est victime, a entamé des études de droit. Comme un socle, ils affrontent l’avenir ensemble. Avec force, respect et dignité.