Elle aurait dû être femme de pasteur mais le destin en a décidé autrement. Carmen naît et grandit dans la maison familiale de Mahina, adoptée par ses grands-parents. Sa grand-mère est diacre. Tous les dimanches, Carmen est au purera'a…comme beaucoup de Polynésiens, c’est comme ça qu’elle apprend à parler couramment le tahitien. C’est sa seule activité le dimanche. “Nous les femmes, on ne pouvait pas trop traîner dehors, et encore moins le jour du Seigneur !”
La belle époque
Mais vous connaissez l'adage qui dit que les lois sont faites pour être transgressées… “Moi, j’allais à la mer en cachette. À chaque fois, grand-mère m’attendait avec le balai nī'au…elle me disait ‘pourquoi tu fais ça’, elle me frappait puis elle pleurait et ensuite, elle soignait mes brûlures avec du monoi. Je n’ai pas de cicatrices grâce à ça. C’était comme ça…mais j’ai eu une enfance heureuse !” se remémore-t-elle, le sourire aux lèvres.
Sa relation avec sa grand-mère est fusionnelle. Carmen est gâtée. Elle est la 19ème enfant de sa grande fratrie de tantes et oncles. “On avait tout. Ma grand-mère cousait le linge. Mon grand-père était tous les jours dans le fa'a'apu. Tous les week-ends, on allait à la pêche aux crevettes. Ils avaient aussi une plantation de café et troquaient la récolte avec des yaourts, du pain… Et puis on refaisait nous-même notre toit en nī'au”, raconte-t-elle.
L’épreuve du deuil
À la fin du CM2, sa vie bascule. Elle a déjà perdu son grand-père, blessé au pied avec un bambou dans son champ et mort du tétanos. Mais l’accident tragique de sa grand-mère quelques années après est encore plus douloureux. Carmen est anéantie. “Elle était ma confidente, ma maman, toute ma vie” dit-elle. Après cette dure épreuve, elle quitte la maison familiale de Mahina.
Ses premiers pas à RFO
Passionnée de planche à voile, elle est plusieurs fois championne de France. Elle pratique également le bodybuilding et la danse tahitienne. Un palmarès qui lui vaut sûrement aujourd’hui ce corps si bien conservé… Elle commence à travailler très tôt, d’abord dans le tourisme puis à la maison de la culture avant de postuler à Polynésie la 1ère, tout juste baptisée RFO en 1982. Sa maîtrise du tahitien intéresse la chaîne de télévision. C’est grâce à cette compétence qu’elle intègre la rédaction, en tant que pigiste. Elle fût l’une des premières femmes bilingues journaliste chez RFO avec Brigitte Olivier, chez les journalistes “français.”
Carmen fait ses débuts rue Dumont d’Urville à Papeete, avec Etienne Raapoto, Theodore Mauore, David Marae, Ame Huri ou encore Eugène Roe : “il n’y avait que des hommes qui parlaient très bien le tahitien à la rédaction à l’époque” nous rappelle-t-elle. Sa carrière débute avec la présentation des matinales radio et “les bobineaux. Il fallait découper les bandes sons, et les coller une à une pour pouvoir les diffuser”.
Carmen Doom a vécu les débuts de Stella Taaroamea, qui est aujourd’hui directrice des contenus de l’information, de Lai Temauri, aujourd’hui rédactrice en chef, et toutes celles et ceux qui ont suivi. Elle a vu RFO changer de nom et devenir Polynésie la 1ère, elle a inauguré la nouvelle station de Pamatai… Elle est passée du téléphone à cadran rotatif au smartphone.
De journaliste à responsable d’édition -aux commandes du journal- “elle a toujours été dévouée à son travail” disent ses collègues. Dévouée à son travail mais aussi à sa famille. Carmen a deux enfants dont un qui est autiste, qu’elle chérit et accompagne “sans jamais demander de traitement de faveur. Je l’ai toujours admirée pour ça” témoigne Heidi Yieng Kow, journaliste à Polynésie la 1ère. Carmen préside d’ailleurs l’association Tama Ora, qui soutient les enfants en souffrance mentale et continue le sport en pratiquant la pole dance... “Finalement, heureusement que grand-mère est vite partie, sinon elle m’aurait mariée à un pasteur !” conclut Carmen, sur le ton de l’humour.
À 70 ans, c’est une retraite bien méritée…