« Ma sœur, s’il y a des cabosses, c’est intéressant de les récupérer ». Ce message résonne encore dans la tête de Monia. « J’ai été embarquée dans cette aventure vraiment par hasard », s’amuse-t’elle. Apprenant que des chocolatiers cherchent des cabosses, le fruit du cacaoyer, sa sœur pense aux arbres qu’ils ont sur un terrain familial. C’est le grand-père, agriculteur et commerçant, doté d'un sens des affaires aigu, qui a planté les arbres, il y a plus de 70 ans, à Moorea.
En 2018, la famille se lance à nouveau dans la culture des cacaoyers, plutôt que de les laisser à la merci des rats qui en raffolent. Sur une propriété qui compte désormais une vingtaine de cacaoyers, ils cultivent deux variétés, très recherchées, la Trinitariao et la Criollo. L’entretien de la plantation n’est pas compliqué, en outre, quand les cabosses tombent, d’autres arbres repoussent cinq ans après selon Monia.
« Je me suis intéressée au cacao, je trouve que c’est un bel arbre, que la cabosse donne de belles couleurs et le fruit en lui-même est bon aussi » indique Monia, « le cacao est recherché, on a un cacao qui est très savoureux, et j’encourage les personnes à en planter, même les retraités ». Avant la crise sanitaire liée au virus du covid, le kilo de cabosses se vendait 75 francs le kilo, aujourd’hui, c’est 100 francs le kilo. Pas de quoi pour Monia quitter son emploi d’animatrice socio-culturelle. Elle est réaliste « gagner sa vie avec non, mais en complément de revenu oui ». D’ailleurs, son activité a donné des idées à d’autres qui veulent se lancer à leur tour, d'autant que la demande est constante du côté des chocolatiers. Monia est souvent sollicitée « je vois que petit à petit, il y a de petits artisans qui se forment et fabriquent du chocolat, j’en ai goûté et je vous assure qu’ils sont très bons ».
À Tahiti, à quelques jours du dimanche de Pâques, dans son laboratoire, Morgane Richard, maitre-chocolatier, et son équipe, préparent les chocolats et façonnent les œufs. Ils ne comptent pas leurs heures, ils doivent fabriquer 500 pièces. Une forte odeur de chocolat se dégage du lieu. Pendant que les deux vendeurs s’occupent des clients en salle, par la vitre, on peut voir travailler l’équipe qui entoure le chocolatier. Chaque année, il faut innover pour attirer les clients. En 2023, ce sera un lapin astronaute et sa fusée ainsi qu'un ananas fait de chocolats blanc et noir.
Noël et Pâques sont les deux moments forts de l’année. Si la chocolaterie a une moyenne de 200 kg de chocolat par mois, pendant ces périodes, son besoin est pratiquement multiplié par quatre. Abandonnée après l’arrivée du CEP, le Centre d’expérimentation du Pacifique, la culture du cacao suscite depuis quelques années, un nouvel engouement. « Je travaille avec des particuliers qui ont des terrains et qui ont déjà du cacao sur leurs terrains, ou qui plantent, j’ai à peu près une trentaine, une quarantaine de personnes dans toute la Polynésie, ça regroupe Tahiti, Moorea, Raiatea, Tahaa et les Marquises », explique Morgane Richard, maître-chocolatier.
Malgré la reprise de cette culture, la Polynésie reste en situation de micro-production. « Ce n’est pas suffisant, déplore Morgane Richard, « pour avoir un kilo de chocolat, il nous faut 100 kg de cabosse, donc ça représente une grosse quantité, parce qu’on ne garde que 10% du poids de la cabosse, la cabosse fait entre 600 grammes et un kilo, la fève, elle fait deux grammes ». Pour rendre une entreprise autonome, il faudrait, selon elle, planter 20 hectares de cacaoyers.
Pour pallier ce manque de matières premières, la jeune cheffe d’entreprise passe par l’importation, elle travaille avec le cacao des iles Salomon et du Vanuatu. Mais, pas question pour autant de mélanger le cacao local aux autres, pour elle, c'est une question de respect du produit.
La vice-présidente de l’association les Disciples d’Escoffier de Tahiti veut développer une appellation « Cacao de Polynésie ». Mais avant, il faut organiser la filière, inciter les producteurs à se lancer, et pour ceux qui le veulent, les accompagner dans l’apprentissage de la fermentation, du séchage de la fève. Des opérations très délicates mais le produit fini est plus rentable. À l’international, la fève peut ainsi se vendre 1 500 francs le kilo.