A presque trente ans, Heivini vit encore sous le toit de ses parents. Sa compagne aussi, mais à Moorea. Pour leur petite fille de 2 ans, ils aimeraient un quotidien plus stable. "Lorsqu’on est ici, c'est réveil 4 h du matin pour faire la route, la circulation, ensuite la journée de travail, il y a le retour à faire. Donc il y a 3 heures de route par jour...C'est pas un problème de vivre chez ses parents, mais à un moment, tu as envie de prendre ton envol et prouver à tes parents qu'en fait on peut réussir aussi dans la vie, on peut faire comme papa et maman", explique le jeune homme.
Un petit terrain, une maison et un jardin… le projet de toute famille qui se construit. Mais avec deux smig, soit 300 000 cfp par mois, peut-on acheter à Tahiti ? Cet agent immobilier est catégorique. "Nulle part, c'est impossible ! Deux jeunes qui gagnent le smig, impossible. Aujourd'hui, il n'y a même plus de terrain à 9 ou 10 millions cfp. C'est 15 et plus", reconnaît Eva Matehau, agent immobilier.
Des biens inaccessibles, Heivini l’a bien compris. Les rendez-vous dans les banques de la place l’ont découragé. "C'est l'ascenseur émotionnel, tu te dis que déjà il faut 10 % d'apport, donc il faut encore demander de l'aide à papa et maman, parce que 10% de 25 millions, c'est quand même 2,5 millions. Et 2,5 millions même pour mes parents c'est très dur, ça veut dire qu'il faut qu'ils empruntent pour me donner l'apport ?", se demande Heivini. "C’est triste pour nos enfants, pour cette génération, de voir comment les prix explosent, c'est exorbitant, ce n'est pas possible. C'est de pire en pire", se lamente Nadia Le Gléau, la mère de Heivini.
Des prix dopés par la demande locale
Contrairement aux idées reçues, les Calédoniens ou les Français fraîchement débarqués n’ont pas tout acheté à Tahiti ! Selon les statistiques des affaires foncières la majorité des acquéreurs sont des locaux, mais des locaux qui gagnent bien plus qu’un smig. Pour les autres, au fil des ans, l’immobilier devient de moins en moins accessible. "Il y a une énorme pénurie de productions de logements en Polynésie, ce qui fait qu'il y a peu d'offres. Donc ce qui est rare est cher, et on subit le contrecoup de l'augmentation de tous les matériaux, l'augmentation du prix du foncier en Polynésie, la rareté du foncier qui implique nécessairement que le surcoût des terrains se répercute sur la valeur des appartements. On a aussi l'absence de défiscalisation depuis 2013", détaille Jean-Philippe Pinna, président de la chambre des notaires de Polynésie. Et d'ajouter que selon les Affaires foncières, "la clientèle calédonienne est quasi-insignifiante... pas d'Américains, pas de Japonais, pas de Chinois, quasiment pas de Métropolitains. L'énorme majorité des acquéreurs sont des clients locaux...Si on regarde l'évolution des prix [ici], elle est linéaire, les prix au m2 en Polynésie sont semblables à ceux des villes moyennes de Métropole".
Une défiscalisation locale pour ouvrir le marché, l’un des leviers possibles. Heivini en appelle aux autorités, car pour lui devenir propriétaire est un acte quasi-culturel. "La première chose que l'on connaît de notre culture quand on est petit, c'est le pu fenua, le placenta que l'on introduit dans la terre, et qui symbolise un peu ton appartenance à la terre", constate Heivini.
L’augmentation de la taxe sur la plus value immobilière ne suffira pas. Régler le problème du foncier, construire 1 400 logements par an mais aussi un système d’aides publiques efficientes permettraient par ailleurs à Heivini et à d'autres d’accéder à la propriété.