EMISSION. Les temps forts de Web Connect' Jeunes sur le thème de l'ice

Web Connect Jeunes présenté par Mereini Gamblin, sur le thème de l'ice, avec Charles Renvoyé et Irmine Sinjoux, deux des trois invités.
Dans votre première édition de Web Connect' Jeunes, on parle de la consommation d'ice chez les jeunes. Parce que c’est une réalité, on estime à 30 000 le nombre de consommateurs à ce jour en Polynésie. Ils sont de plus en plus jeunes à tomber dans cette drogue. Les dealers sont aux portes des établissements scolaires. Des bouffées vendues à 1 000 FCFP. Comment y échapper ? Comment s’en sortir ? Des questions posées à un ancien consommateur, à une psychologue en addictologie et à la chef d'état-major de la DTPN, invités par Mereini Gamblin.

Voici une brève présentation des trois invités de l'émission Web Connect' Jeunes : 

  • Charles Renvoyé est un ancien consommateur et un ancien dealer aussi. Il est aujourd'hui très investi dans la lutte contre la drogue, aux côtés de la nouvelle fédération créée. Son parcours et comment il s'en est sorti, il le partage aujourd'hui.
  • Irmine Sinjoux est psychologue en addictologie au CPSA, le centre de prévention et de soins des addictions de Papeete, qui explique le traitement et le suivi des patients.

  • Tatiana Dauphin, la cheffe Etat major de la DTPN, la direction territoriale de la police nationale, qui expose le plan d'action de lutte contre les drogues des forces de l'ordre.

8 ans, le plus jeune consommateur d'ice

Mereini Gamblin : D’après le président du Pays, le plus jeune consommateur aurait 8 ans. Charles, 8 ans, ça vous choque ?

Charles Renvoyé : Carrément. C'est pourquoi on se lève aujourd'hui. Quand tu vois que les consommateurs sont de plus en plus jeunes, je pense qu'il y a vraiment un souci dans notre belle Polynésie. C'est aujourd'hui qu'il faut se lever pour se battre pour cette jeunesse.

MG : Irmine, à 8 ans, consommer de l’ice, ça peut causer de graves dégâts sur la santé de l'enfant ?

Irmine Sinjoux : C'est un peu comme si on donnait de la viande à un nourrisson de deux jours. Ça fait des dégâts en premier lieu sur le cerveau et donc en conséquence, sur le développement global de l'enfant.

Mais il faut se poser la question de l'environnement dans lequel évolue cet enfant. Ce sont des questions que l'on doit se poser : comment un enfant de 8 ans peut avoir fumé de l'ice ? Comment ses parents et sa famille ont pu permettre cela ?

Mauvaises relations familiales

MG: Charles, en tant qu'ancien consommateur, vous avez plongé pendant 20 ans dans l’enfer de l’ice. Comment vous en êtes arrivés là ?

CR : Je ne dirais pas que ça remonte à l'éducation. Mais au fait de ne pas être suivi correctement, de ne pas avoir grandi correctement. Déjà à onze ans, j'étais dans la rue et ça n'a même pas inquiété mes parents.

MG : Vous avez eu de mauvaises relations familiales, c'est ce qui vous a mené dans la rue et à consommer ?

CR : Oui. C'est après, quand je me suis marié et que j'ai eu des enfants, c'est là que j'ai commencé à arrêter.

20.000 consommateurs de plus en moins de 3 ans

MG : Un chiffre alarmant : 10 000 consommateurs d'ice en 2022, aujourd'hui ils sont estimés à 30 000. Irmine, vous remarquez aussi ce flux de patients plus nombreux au CPSA ?

IS : Oui, et ils sont de plus en plus jeunes, on le remarque depuis quelques années. Avant cela, les consommateurs étaient plutôt des adultes avec un salaire, parce qu'ils pouvaient se payer leur dose d'ice. Alors qu'aujourd’hui, il y a de plus en plus de jeunes.

Notre premier patient, il y a à peu près cinq ans, il avait 12 ans. Et là, on a commencé à s'inquiéter, parce que c'est un élève de collège. On voit de plus en plus au niveau de nos nouvelles demandes, des appels de famille ou de consommateurs, parce qu'ils sont en détresse et qu'ils voudraient se faire aider. On remarque oui, une augmentation de la consommation d'ice.

Mais ça fait longtemps qu'il y a des consommateurs, ce n'est pas de maintenant. On a des consommateurs qui viennent nous voir et qui consomment déjà depuis 20 ans, 25 ans.

MG : Charles justement, vous en avez consommé dans les années 90, l'ice était déjà arrivé ?

CR : Exact, en 1995 déjà j'avais consommé de l'ice. 

Les différentes phases de l'addiction

MG : Irmine, si un enfant est accro à l'ice et qu'il est tout seul dans sa détresse, que doit-il faire ? 

IS : Il y a plusieurs phases dans l'ice. Quand il est dans la phase du décollage, ce qu'on appelle le rush, il est dans une espèce de grande euphorie. Il y a un sentiment de toute-puissance, il se sent invincible.

C'est surtout quand il est dans la phase de descente, ce qu'on appelle le contre effet, là il peut se sentir complètement mal. Il y a des éléments dépressifs, beaucoup d'anxiété, et c'est là où il y a des risques suicidaires. C'est à ce moment où il peut être amené à demander de l'aide. Parce que quand il est dans la phase d'euphorie et de toute puissance, il n'y a pas forcément de demande, parce qu'il est bien et qu'il ne sent pas le mal-être.

Quand il est en phase de descente, c'est là qu'en général les familles appellent, parce qu'ils voient leur proche en grande détresse. Eux-mêmes aussi sont en détresse car ils sont démunis et ne savent pas quoi faire.

Ce que je voudrais dire, c'est que c'est possible de s'en sortir. Mais la condition et c'est le principe en addictologie, c'est qu'il faut qu'il y ait la volonté du patient, qu'il soit déterminé à changer les choses. Pas forcément arrêter, mais peut-être au moins questionner ses consommations.

MG : Vous Charles, vous avez mis du temps à vous en sortir. Vous en êtes même venu à dealer ?

CR : On commence d'abord par une bouffée. Une première, puis une deuxième, et tu commences à devenir accroc. Pour pouvoir avoir ma dose tout le temps, la meilleure des choses à faire, c'était d'investir dedans. Donc de dealer, garder les sous, pour en racheter encore. Tu deales et tu as des sous, c'est comme ça que ça se passe.

Je ne vous cache pas qu'à un moment donné, je suis tombé amoureux de cette drogue. Je ne fumais pas pour le plaisir, comme un fumeur du dimanche. Non. Je suis tombé amoureux de cette drogue et pour pouvoir avoir ma dose tout le temps, il fallait que je deale.

Je peux même dire, et je m'excuse auprès de ces personnes aujourd'hui, quand je savais qu'il y avait un gramme chez quelqu'un, j'arrivais avec tous mes gars et on lui prenait tout ce qu'il avait dans la sacoche. Voilà jusqu'où la drogue peut mener.

MG : Quand vous dites que vous êtes tombé amoureux de cette drogue, qu'est ce qui la rend aussi addictive ? 

CR : J'ai consommé du paka pendant plus de 20 ans. Ce n’est pas le même effet. Quand j'ai goûté à l'ice, ça te donne une sensation, comme Irmine disait, de Superman. Tu es l'homme le plus intelligent, le super mec, ça te donne une certaine adrénaline. Cette adrénaline m'allait très bien. Parce que j'étais quelqu'un qui aimait la bagarre. En prenant de l'ice, ça me donnait un certain... je ne dirais pas pouvoir, mais presque à ce point-là, d'aller affronter n'importe qui. C'était presque un jeu pour moi.

Des conseils pour sortir de l'addiction

MG : Les jeunes deviennent fous et les parents ne savent plus comment gérer leurs enfants une fois qu'ils sont sous l'emprise de l'addiction ? C'est la question d'un internaute. Quels conseils leur donnez vous pour faire face à cette situation Irmine ? 

IS : La première réaction des parents, c'est forcément d'être ébranlé et effondré parce qu'ils sont impuissants. Car une des conséquences les plus caractéristiques de la consommation d'ice, ce sont des accès de violence. Il y a beaucoup d'éléments paranoïaques et de persécution. Il peut y avoir des décompensations, c’est-à-dire que l'on peut tomber dans la maladie mentale, ce que l'on appelle la psychose, avec des hallucinations auditives ou des syndromes délirants. Face à tout ça, les parents sont complètement démunis.

Ce que je peux leur dire, c'est quand il arrive à cette phase-là, il y a urgence à agir. Quand ils appellent au CPSA, on ne peut pas intervenir et faire une prise en charge en addictologie, s’il y a des symptômes délirants ou des hallucinations.

Il faut d'abord passer par les urgences, qu'il y ait l'avis d'un psychiatre de là-bas. Ensuite, stabiliser ses symptômes, qui sont bruyants, car c'est une souffrance. Le consommateur n'est plus du tout adapté à la réalité donc il faut apaiser et stabiliser ce qui passe dans son cerveau.

Ensuite seulement, et en espérant qu'il le veuille. En général, quand ils passent par l'hospitalisation, là ils demandent de l'aide. Là, on peut intervenir et mettre en place une prise en charge au CPSA.

MG : On peut venir ainsi, c'est gratuit ?

IS : Oui. Le CPSA est le seul service d'addictologie de la Polynésie. C'est un service de santé publique, sous la tutelle du ministère de la santé et donc du Pays. C'est un service gratuit et anonyme. On peut venir sous X ou inventer son prénom, il n'y a aucun souci.

C'est, bien sûr, sous couvert du secret médical. Souvent, quand les patients viennent, ils nous demandent s'ils ne sont pas sur écoute, donc on les rassure. Ils sont vraiment protégés par le secret médical et l'anonymat. On a beaucoup de patients qui viennent sous X.

MG : Et vous Charles, vous avez fait appel à des professionnels pour vous en sortir ?

CR : Non. Pas du tout. 

MG : Comment avez-vous fait alors ?

CR : Les flics m'ont embarqué et m'ont gardé en cellule plus de 34 heures je crois. Le temps de l'enquête. Ma maman est une grande croyante. Elle m'a dit en tahitien : fils, le jour où tu arriveras à ce point-là, mets tes genoux à terre et demande à Dieu de l'aide. Et à une heure du matin, c'est ce que j'ai fait. J'étais tombé plus bas que terre. J'ai demandé à notre Père Céleste de m'aider et de me relever.

En sortant de là, il me restait encore des grammes d'ice que j'avais caché dans une table en plastique, que la DSP n'avait pas trouvé. J'ai tout pris, et je suis parti jeter dans la rivière juste à côté de chez moi. Je n’ai pas cherché à comprendre, j'avais foi dans la prière que j'avais faite. J'ai réuni toute ma famille et je leur ai dit : c'est la dernière fois que vous voyez papa toucher à ces drogues-là.

MG : Une maman demande : si mon fils est drogué, comment aborder le sujet avec lui ?

IS : Déjà, se calmer, car souvent les parents paniquent. Ils passent par du désespoir, de la détresse, de la colère. Il faut respirer et se dire que rien n'est foutu, car la première idée des parents c'est celle-ci, le monde m'est tombé sur la tête.

C'est une chance qu'il soit à côté de vous. Essayer de ne pas le chasser et de ne pas le frapper. Et se dire que quand ils sont sous effet, c'est difficile de leur parler. Donc il faut choisir le bon moment, c'est quand ils sont en phase de descente. Quand ils sont dépressifs ou qu'ils ont de l'anxiété, c'est là qu'ils ont besoin le plus d'aide.

Cyberinvestigation

MG : Comment peut-on dénoncer les groupes de vente sur internet ?

Tatiana Dauphin, cheffe d'état-major de la DTPN : Vous avez une application qui s'appelle PHAROS, entièrement dédiée à ce type de signalement. Elle permet de préciser quel est le nom du groupe concerné par ces ventes de stupéfiants. Des investigations sont menées par la suite soit par la gendarmerie, soit par la DTPN.

MG : Une croyance qui émane des internautes et qui demandent : vous connaissez les grands dealers mais vous ne les arrêtez pas... pouvez-vous répondre à cela ?

TD : Question difficile, parce qu'on connaît les grands dealers... Vous savez aujourd'hui, le monde des stupéfiants s'est beaucoup professionnalisé. Vous avez effectivement ce qu'on appelle la tête de réseau. Vous avez beaucoup d'intermédiaires, qui se situent entre le bas de l'échelle et le haut.

Donc il ne suffit pas de connaître le nom de la personne qui serait à la tête du réseau. Il faut avoir des preuves matérielles pour pouvoir l'inculper. C'est en cela que les enquêtes judiciaires sont utiles.

Il faut connaître les têtes de réseau, donc avoir des noms c'est bien, mais quelque part, il faut qu'on ait la preuve matérielle que cette personne est bien, effectivement, à la tête d'un réseau. À partir de là, l'enquête peut être menée et des interpellations peuvent être faites.

Retrouvez le replay complet de votre émission Web Connect' Jeunes présentée par notre journaliste Mereini Gamblin en cliquant ici.