ENTRETIEN. "En France, il y a une bonne partie du personnel politique qui remet en cause le fait colonial" Younous Omarjee, député européen

Younous Omarjee
Le député européen, Younous Omarjee, était l'invité du journal radio de 7h. Il a détaillé sa vision de ce que doit être la politique européenne. Il est aussi revenu sur les émeutes en Nouvelle-Calédonie.


Ibrahim Ahmed Azhi : Vous avez certainement dû le constater également ailleurs en Outremer, les élections européennes ne passionnent pas les foules. Et pourtant, le paradoxe est là, on ne s'imagine pas toujours la force de frappe, la puissance que l'Europe possède. Comment expliquer cette forte abstention ? 


Younous Omarjee : C'est vrai dans les Outre-mer, et c'est vrai dans toute l'Europe continentale également à présent. Et les peuples européens, comme les peuples des Outre-mer, se sentent assez éloignés des politiques européennes. Mais il faut dire que la commission très libérale de Ursula von der Leyen fait à peu près tout pour se faire détester.


C’est-à-dire ?


Ce sont des politiques qui ne sont pas des politiques populaires, qui servent les intérêts des puissants. Et dans ce contexte, il est bien évident que les citoyens préfèrent déserter ce scrutin. Mais il faut faire campagne et c'est la raison pour laquelle je suis ici en Polynésie : pour faire campagne, pour présenter le programme qui est le nôtre, celui de la France insoumise et de la liste conduite par Manon Aubry.


Je suis un Ultramarin qui est le mieux placé sur les listes nationales en deuxième position. Et ce choix qui a été fait par la France insoumise dit combien les Outre-mer sont la priorité dans notre action. On l'a vu à l'Assemblée nationale avec Mathilde Panot, qui m'accompagne pendant ce déplacement en Polynésie, et nous l'avons vu également pendant les cinq années que j'ai passées au Parlement européen où les Outre-mer ont été au cœur de notre action, pas seulement les régions d'Outre-mer, mais aussi ce qu'on appelle des pays et territoires d'Outre-mer comme la Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna et bien sûr la Polynésie française.


J'ai entendu votre reportage, on parlait de l'emploi des jeunes. J'en profite pour dire que j'ai une proposition, que je mettrai en œuvre dès le lendemain de mon élection, la création d'emplois jeunes européens dans les régions, les pays et les territoires d'Outre-mer comme la Polynésie, parce que nous avons des taux de chômage records dans tout ce qu'on appelle l'ensemble européen. Et il faut une action engagée pour redonner un espoir à la jeunesse de nos pays.


On parlait de désaffection il y a un instant. Est-ce que ce n'est pas un peu votre devoir hors période électorale de sensibiliser encore et encore les habitants ?


Je ne suis pas le VRP, voyez-vous, de la Commission européenne, de Madame Ursula von der Leyen et du président de la République, Emmanuel Macron, qui partagent la responsabilité de cette politique. Ma responsabilité en tant que député européen est de travailler pour nos pays et c'est ce que nous faisons. Et je dois dire que ces élections s'inscrivent dans un contexte extrêmement grave pour le monde, pour l'Europe, pour la zone pacifique, car nous voyons que les désordres géopolitiques du monde ont et auront des conséquences directes sur nos peuples.


Regardez les politiques, très suivistes des Etats-Unis, de l'Union européenne, qui créent le désordre dans l'Asie Pacifique.

La Polynésie n'a aucun intérêt à ce que l'Union européenne continue dans cette voie qui consiste, non pas à être indépendante et non alignée, mais à suivre les Etats-Unis dans une confrontation avec la Chine.

Younous Omarjee

Journal Radio Polynésiela1ère

Et bien nous, à la France Insoumise, nous portons des politiques pour la paix et pour le non-alignement qui servent les intérêts propres de nos pays.


Au sujet de ce désamour que nous évoquions, le Président du pays Moetai Brotherson a avancé un argument qui tient au statut de la Polynésie vis-à-vis de l'Europe. Il a déclaré que "les élections européennes sont mal comprises" et que "notre statut de PTOM ne nous avantage pas" finalement dans l'ensemble européen. Vous en pensez quoi ?

C'est la raison pour laquelle il faut poser des enjeux propres à chaque pays. Et ici en Polynésie, il y a des enjeux propres par rapport à ces élections européennes. La situation géopolitique, je viens d'en parler, dans l'Asie-Pacifique. Ce que l'Union européenne peut faire pour les îles du monde et pour le Pacifique également. Je porte une proposition pour la prise en compte de l'insularité dans les politiques européennes.


Mathilde Panot et moi, nous nous sommes rendus dans les îles et puis ici à Tahiti. Nous voyons combien l'insularité est une difficulté, avec souvent des surcoûts et un enclavement qui doivent être compensés, mais aussi des spécificités qui doivent être reconnues dans les règlements européens. Parce qu'il y a des directives européennes qui s'appliquent ici en Polynésie et il n'y a pas d'adaptation. Et bien, tenir compte de ce concept, de ce critère de l'insularité pour promouvoir dans les règlements les adaptations, et c'est ce que, en tant que député européen, j'ai commencé à faire et ce que je continuerai à faire.


Vous vous présentez comme le porte-parole, le défenseur auprès de Bruxelles, de tous les Ultramarins ?


Je suis le député des peuples des Outre-mer et à Bruxelles, je défends les Outre-mer comme un Réunionnais. Je suis Réunionnais, mais aussi comme un Guadeloupéen, comme un Martiniquais, comme un Guyanais, comme un Polynésien, comme un Kanak. Voyez-vous, nous faisons partie de cette même famille des peuples colonisés. Nous ne sommes pas Européens par la fatalité de la géographie, nous sommes Européens par la fatalité d'une histoire coloniale. Cette histoire, elle est là et nous devons tirer le meilleur de ce que nous avons dans les liens actuels avec l'Union européenne et préparer aussi peut-être des liens futurs dans un autre cadre avec cette Union.


Est-il facile de défendre à la fois la banane antillaise, la canne à sucre réunionnaise ou encore la perle, la vanille polynésienne, le poisson et la pêche à Saint-Pierre-et-Miquelon ?


Voyez-vous tout ce que vous avez cité ? Tous ces secteurs sont menacés par une concurrence déloyale à cause d'accords de libre-échange signés par l'Union européenne. Et c'est pourquoi, à la France Insoumise, nous nous opposons à tous les accords de libre-échange, ce qui n'est pas le cas des autres formations politiques. Entre la banane dollars des multinationales américaines et la banane de la Guadeloupe et de la Martinique, je fais le choix de la banane de la Guadeloupe et de la Martinique.


Et il en va de même pour les autres productions ici. Je les ai vues pendant ce déplacement. Vous avez des produits agricoles qui rentrent chargés de pesticides qui sont une atteinte pour la santé des Polynésiens, pendant que les agriculteurs polynésiens, eux, font des efforts considérables pour une agriculture raisonnée. Mais vous avez une concurrence déloyale. Eh bien cela n'est pas possible. C'est une injustice qu'il faut corriger.

Comment on la corrige ?


On la corrige en changeant de règlement et en envoyant le maximum de députés de la gauche, de la vraie gauche en Europe, dans le Parlement européen, pour gagner dans les compromis. Et nous pouvons le faire.


Vous avez rencontré le président de l'Assemblée de Polynésie, Anthony Géros. Vous serez reçu aujourd'hui par le président du pays. Sur quoi vont porter vos échanges ? 


Nous nous connaissons depuis longtemps, parce que, vous le savez, j'ai longtemps accompagné Paul Vergès qui était une figure éminente de la Réunion et une figure des luttes anti coloniales. Et nous partageons avec les Polynésiens, je partage avec les Polynésiens ce combat. Ce combat est aussi celui de la France Insoumise et avec Mathilde Panot, nous avons eu avec le président Géros une discussion, un échange très approfondi sur la situation politique nationale, les enjeux européens et les politiques internationales. Et nous essayons de partager nos analyses et je crois que c'était un échange extrêmement intéressant, extrêmement important, qui va, je l'espère, permettre de renforcer nos actions communes.

En tout cas, en tant que député européen, il est très important pour moi d'être en discussion avec les représentants de la Polynésie, parce que ce sont les Polynésiens eux-mêmes qui connaissent le mieux leur pays et qui savent ce que je peux faire au Parlement européen pour la Polynésie. Vous savez, je suis Réunionnais, j'ai trop vu des hommes politiques de passage qui, en deux jours, donnaient l'impression d'avoir tout compris d'un pays, de sa complexité et qui, en plus, faisaient des leçons aux gens. Ce n'est pas du tout mon état d'esprit. Je suis ici pour écouter et pour qu'on me dise voilà, c'est là-dessus qu'il faut agir demain au Parlement européen.

"j'ai trop vu d'hommes politiques de passage qui, en deux jours, donnaient l'impression d'avoir tout compris d'un pays, de sa complexité et qui, en plus, faisaient des leçons aux gens"

Younous Omarjee

Polynésie la 1ère


En trois jours justement, vous ne pouvez pas découvrir tout ce qui fait les forces et les faiblesses, j'allais dire de ce territoire grand comme l'Europe. Que retenez-vous de ce que vous avez pu voir ici en Polynésie ?


Je vois des marqueurs assez identiques à l'ensemble des Outre-mer. Nous sommes des sociétés, des pays, qui ont été traités comme des pays, des communautés marginalisées par l'État français, abandonnés clairement. Et il y a dans nos pays des situations de pauvreté, d'inégalités qui sont absolument insupportables et qui sont le résultat de politiques de l'État depuis trop de décennies. Et cette situation sociale est très dangereuse partout dans les Outre-mer. Nous voyons aujourd'hui en Nouvelle6Calédonie combien la situation est dégradée.

Et à l'île de la Réunion, je dois vous dire que nous dansons également sur un volcan, et les responsabilités de celles et ceux qui sont aux commandes, nous sommes aux commandes à l'île de la Réunion, sont excessivement difficiles quand l'État a déserté le terrain de ses responsabilités et de ses engagements, et ne fait pas les efforts nécessaires pour réparer des décennies et des décennies de politiques inégalitaires et de politiques coloniales. Ce que nous pouvons voir ici, nous voyons parfois les mêmes marqueurs. Et puis, il y a des spécificités propres à la Polynésie, des atouts qui sont considérables, à condition bien sûr de se réapproprier ce qui est à nous. Lors de ma dernière campagne pour les européennes, je disais, mais le centre spatial de Kourou, c'est à nous, la mer et les grands fonds océaniques, c'est à nous. Et ainsi de suite. Et nous devons avoir la maîtrise des instruments de notre développement. C'est ça la condition.


On va finir sur la Nouvelle-Calédonie, vous avez suivi comme tout le monde les émeutes, la situation est très difficile, le dialogue est bloqué. Qu'est-ce que vous en pensez ?


C'est une situation dangereuse. Et le président de la République et les gouvernements successifs qui ont précédé celui de Gabriel Attal portent une responsabilité considérable, parce qu'ils ont rompu l'esprit de l'Accord de Nouméa, sur lequel reposait la paix civile depuis plus de 30 ans. Mais pire encore, aujourd'hui, en France, vous avez une très bonne partie du personnel politique qui, dans un contexte ultra-réactionnaire, remet en cause presque le fait colonial, voyez-vous, et nous pouvons entendre sur des plateaux télé des raisonnements révisionnistes.

Je crois qu'on ne peut pas, et le Président de la République doit le comprendre, passer en force.

Younous Omarjee

Journal Radio - Polynésiela1ère

On ne peut pas nier le chemin inéluctable vers la décolonisation de ce pays. Et c'est une erreur gravissime de penser qu'un référendum, qui d'ailleurs a été organisé dans des conditions très contestables, marque la fin de l'histoire. Ce n'est pas possible. Et vouloir passer en force, c'est prendre le risque d'un embrasement, et je dois dire d'un embrasement généralisé, pas seulement en Nouvelle-Calédonie-Kanaky, mais aussi, dans ce contexte social très dégradé, dans les Outre-mer ; Peut-être aussi ailleurs. Car notre jeunesse à la Réunion, par exemple, observe ce qui se passe en Nouvelle-Calédonie, observe que le choix qui a été fait par le président est celui de la répression. Vous avez encore 400 gendarmes qui arrivent en Nouvelle-Calédonie. Ce n'est ni avec les gendarmes, ni avec des menaces pour négocier qu'on ira vers une solution.

Et je rappelle tout de même que les élections européennes, c'est le 8 juin. Je suis en deuxième position sur la liste de la France Insoumise conduite par Manon Aubry, et il est possible à la fois avec ce bulletin, d'exprimer sa colère contre le Président de la République et d'envoyer au Parlement européen un député qui travaille pour la Polynésie avec des Polynésiens.

Younous Omarjee répond aux questions d'Ibrahim Ahmed Hazi :