ENTRETIEN. Extractions des fonds marins : "Notre océan n'est pas à vendre mais à protéger " estime Hinano Murphy

Hinano Murphy à l'AIFM
Lundi 17 mars s'est ouverte la première partie de la 30e session de l'AIFM à Kingston en Jamaïque. L'enjeu : l'élaboration d'un code minier pour réguler les exploitations minières des fonds marins. 169 nations sont présentes : d'un côté il y a celles qui font du forcing pour obtenir ce code minier et commencer l'extraction, et de l'autre des délégations du Pacifique qui luttent contre ces exploitations. Hinano Murphy en fait partie, elle a fait le déplacement pour défendre la relation des peuples de la région avec l'océan.

Teiva Roe : Pourquoi vous vous êtes déplacée à Kingston ?

Hinano Murphy : Je travaille au sein de Tetiaroa Society en tant que consultante culturelle. Après avoir organisé le Blue Climat, nous avons été invités à participer il y a trois ans à l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM). Notre objectif était de porter toutes les voix du Pacifique, qu'on se réunisse et qu'on dise haut et fort qu'on ne veut pas de l'exploitation des fonds marins.

Teiva Roe : Quel est l'enjeu pour la Polynésie ?

Hinano Murphy : D'abord, on est on a quand même, on va dire sous le gouvernement français, la France a placé un moratoire complet par rapport à l'exploitation des fonds marins. Mais notre enjeu à nous, c'est surtout d'être présent pour pouvoir parler de toute cette relation que les Polynésiens et les peuples du Pacifique ont avec l'océan. C'est quelque chose de très important parce que cela n'est pas pris en compte du tout dans la réglementation pour l'exploitation des fonds marins. La première année où on est arrivé en Jamaïque, la discussion tournait autour de l'élaboration de ces textes qui avait déjà commencé il y a dix ans, mais il fallait trouver un consensus. Ce consensus n'est pas encore trouvé. Il y a beaucoup de négociations pour pouvoir établir ce code minier qui va réguler en fait l'extraction de minéraux des fonds marins. Mais en écoutant les négociations, je me suis dit : "ils décident de l'avenir de notre environnement, de notre monde, de notre océan sans qu'on nous consulte". 

"Il n'y a pas eu de consultation, de prise en compte de cette relation que nous avons avec l'océan. Ils définissent des lois pour extraire tout ce qu'il y a dans les fonds marins sans même penser qu'il y a des peuples qui vivent de l'océan. Ils mettent en péril la vie de nos enfants, de notre océan et de nos communautés"

Hinano Murphy

Je suis avec la délégation d'Hawaï, des Maoris, les peuples premiers, la Micronésie et notre ambassadeur. Mais, cela ne suffit pas. Il fallait vraiment être présent pour pouvoir défendre notre patrimoine. Il s'agit de l'héritage culturel de notre peuple.

Teiva Roe : Il y a plusieurs représentants des pays du Pacifique. Est-ce que cela signifie qu'aujourd'hui il y a un front des pays du Pacifique ?

Hinano Murphy : Il y a un front commun des petits pays du Pacifique. À l'AIFM, ils essayent vraiment d'établir des négociations pour pouvoir élaborer ce code minier. Mais ces discussions traînent parce qu'il y a des désaccords qui persistent sur plusieurs aspects. À côté de cela, face à nous, il y a cette urgence des entreprises minières qui prévoient de déposer une demande de licence d'extraction dès juin 2025. Donc, en fait, c'est une pression, ils essayent de pousser l'AIFM à établir ce code minier en disant : "si cela n'est pas fait, nous irons quand même faire une exploitation minière". Nous, nous soulevons des inquiétudes parce que nous n'avons pas été consultés, et là il faut répondre à des exigences d'autres nations qui ont les yeux rivés sur l'océan Pacifique. Il y a des pays qui sont avec nous : le Costa Rica, la France qui plaide pour une approche très prudente. Actuellement sans cadre juridique, on ne peut pas autoriser ces pays qui veulent forcer, à exploiter. Ces textes pour l'heure ne prennent pas en compte l'héritage culturel des peuples qui vivent dans cet océan. On va parler beaucoup de dollars et d'argent, de l'aspect économique... 

Teiva Roe : Une nouvelle secrétaire générale est arrivée à l'AIFM. Elle est océanographe, c'est positif ?

Hinano Murphy : Oui, Leticia Carvalho. Nous avons confiance en elle, elle avance avec beaucoup de prudence. C'est pour cela peut-être que les textes prennent beaucoup de temps. On avait planifié ce déplacement pour être présents et pouvoir parler du patrimoine culturel, subaquatique. On a essayé de placer cela mais tous les textes que nous avons produits, toutes les propositions que nous avons rapportées ont été rejetés et donc il fallait qu'on soit présent aujourd'hui pour pouvoir débattre et essayer de faire rentrer dans ces textes-là la voix de tous ces peuples qui vivent de l'océan et qui vivent en symbiose avec l'océan. On est inquiets de l'avenir de notre océan, on est inquiet de l'avenir de nos enfants.

"Aujourd'hui, on sent toujours la pression de la Chine, de quelques pays qui veulent forcer le mouvement en disant : "les textes ne sont pas faits mais on ira quand même, et les textes seront élaborés au fur et à mesure de l'exploitation, ce qui nous paraît vraiment impossible et insolent. Je le ressens comme une violence et un non respect des peuples du Pacifique".  

Hinano Murphy

La pression est forte. Au niveau de l'AIFM, il y a néanmoins beaucoup de pays qui reviennent sur leur position et vers une pause pour pouvoir obtenir beaucoup plus d'informations. 

Teiva Roe : Cela représente combien de pays ? 

Hinano Murphy : On est loin d'atteindre le quota. Il y a 32 pays qui ont demandé une pause, un moratoire. Et à côté, on est 169 nations. Il y a beaucoup d'ONG présentes pour dénoncer les risques de dommages irréparables. Il y a beaucoup de rapports scientifiques qui vont nourrir la réflexion également. Nous avons des événements parallèles, par exemple une société qui a découvert l'oxygène noir, est venue faire une présentation très intéressante hier soir avec toute l'équipe.

Teiva Roe : Est-ce que du coup cela a une influence ? 

Hinano Murphy : On sent une nouveauté dans le fonctionnement avec un partage, de la prise de parole. Sauf aujourd'hui, on a fait un peu du forcing au niveau des ONG. Car le point de débat du jour sur le patrimoine subaquatique a été reporté, heureusement que les autres pays sont arrivés pour nous soutenir, comme le Costa Rica, la Micronésie et la France. Ils vont essayer de nous attribuer vraiment une session extraordinaire où nous allons pouvoir disposer de plus de temps pour parler de notre relation avec les océans. Pour nous l'océan est un espace sacré, c'est la matrice de la vie. Pour la deuxième session en juin, j'aimerais qu'il y ait plus de personnes de Polynésie, des Tuamotu qui puissent venir défendre le cas de la Polynésie et de l'importance de notre océan. 

Notre objectif aujourd'hui est de modifier leur façon de voir un océan. Ce n'est pas seulement un espace où l'on vient extraire, pour nous c'est une entité vivante qui fait partie de nous, qui fait partie de notre généalogie, de notre histoire. On ne peut pas rester là à regarder les bras ballants. Je refuse d'être spectatrice silencieuse de la destruction de notre océan et de notre culture.

Hinano Murphy

Il faut qu'on parle, qu'il y a plus de justice, un peu plus d'inclusion, un peu plus de respect. Notre océan n'est pas à vendre mais à protéger. À protéger pas seulement pour nos peuples bien sûr, pour nos beaux enfants demain, mais aussi pour l'humanité tout entière.