Ibrahim Ahmed Ahzi : On est parti cette année pour atteindre des chiffres très importants de saisies d’ice. Les spécialistes le disent pour sept kilos saisis, une douzaine arrive à passer entre les mailles du filet, les fameux " kilos échappés ", comme on dit. Ce qui signifie que ce sont près de 50 kilos environ qui seraient passés, cette année, hors de contrôle. Quel constat faites-vous de la situation actuelle ?
Serge Puccetti : Le constat, il est clair. Il y a une augmentation forte des importations d’Ice. Ce qui est préoccupant pour tout le monde, puisqu'on voit bien les conséquences que ce trafic peut engendrer pour la société polynésienne et qui la transforme profondément. Plus de violences, plus de vols, des organisations qui se structurent, qui se professionnalisent, qui irriguent l'ensemble de la chaîne de la société et qui frappent durement la jeunesse.
Est-ce qu'il y a plus de trafics ? C'est pour ça qu'on saisit plus de drogue ?
Alors ça, c'est la grande question. Est-ce qu'il y a plus de trafics ou est-ce que les douaniers sont meilleurs ? En fait, ce sont les deux. C'est certain, il y a plus de trafics. Il y a, comme je le disais, cette professionnalisation, cette arrivée de plus en plus massive. Les chiffres aussi sont importants aux Etats-Unis. Mais, il y a également le travail quotidien des services de la douane, de la gendarmerie, de la police, mais également de la justice, du Haut-Commissariat, enfin de tous les services qui travaillent à lutter contre ce trafic, qui font qu'il y a plus de saisies [...].
On a voulu absolument faire en sorte que les personnes interceptées aux Etats-Unis, puissent être jugées ici.
Serge Puccetti, directeur régional des douanesL'invité café, jeudi 18 avril 2024
Lorsqu'un trafiquant est arrêté aux Etats-Unis et est expulsé, est-il jugé ici systématiquement ?
Alors, c'est quelque chose qu'on a voulu effectivement changer, parce qu'il n'est absolument pas moral que des trafiquants qui se sont fait déposséder l'ice aux Etats-Unis, qui sont expulsés des Etats-Unis, arrivent ici, je dirais, sans encombres, de façon tout à fait normale.
C'est ce qui se passait ?
C'est ce qui se passait chez nous. On a voulu absolument changer cela et faire en sorte que ces personnes puissent être interceptées et puissent être jugées ici.
Les trafiquants, par les produits d'appel, avec des petites doses qui ne coûtent pas cher, petit à petit, corrompent de plus en plus cette jeunesse polynésienne.
Serge Puccetti, directeur régional des douanesL'invité café jeudi 18 avril 2024
L'attrait financier, avec 300 000 francs le gramme d'Ice, est plus fort que tout. C'est ce qui explique seulement ce regain de trafic ?
Il y a effectivement cet attrait lucratif. On multiplie quasiment par mille, le prix d'achat, donc c'est très intéressant. Et puis, il y a ce phénomène d'addiction puisque c'est une drogue qui est excessivement addictive et donc qui produit des ravages. Les trafiquants, par les produits d'appel, avec des petites doses qui ne coûtent pas cher, petit à petit, corrompent de plus en plus cette jeunesse polynésienne.
Ils font en sorte qu'on développe cette addiction à l’ice, avec toujours cette préoccupation derrière, c'est qu'il y a l’ice, mais il peut y avoir des choses encore plus dangereuses qui arrivent derrière.
Alors face à cette recrudescence des trafics, est-ce que vous réclamez plus de moyens ?
Ce qu'il faut surtout, c'est être plus efficace, plus ingénieux pour lutter contre l'ingéniosité des trafiquants. On le voit bien, au début, les trafics étaient dans les bagages, simplement. Puis, petit à petit, les trafiquants ont développé des moyens de plus en plus sophistiqués, pour cacher l'ice, comme on l'a vu dans la dernière affaire qui a été faite par la douane, il y a une dizaine de jours. Les sept kilos d'ice étaient cachés dans les bagages et ont nécessité des moyens techniques.
La douane, c'est une administration qui est technique. On analyse les flux, on les regarde aux rayons X. On est sur tous les vecteurs. Et donc pour lutter contre ces trafics, il faut effectivement développer l'ingéniosité et développer tout ce qui est moyen technique et coopération avec les autres services, la gendarmerie, la police, la justice, mais également avec tous les services du Pacifique et notamment les services américains.
Et c'est justement parce que nous avons montré qu'on était efficaces, qu'on avait des résultats, que les Américains ont développé de plus en plus leurs contrôles à destination de la Polynésie.
Serge Puccetti, directeur régional des douanesL'invité café - jeudi 18 avril 2024
Cette coordination, elle fonctionne bien ?
Oui, elle fonctionne bien. Il y a une fluidité vraiment très, très importante entre les services ici au Fenua, mais également avec les services américains. Et c'est justement parce que nous avons montré qu'on était efficaces, qu'on avait des résultats, que les Américains ont développé de plus en plus leurs contrôles à destination de la Polynésie [...].
Alors, il y a l'aéroport, il y a la voie postale et puis il y a la voie maritime. Avez-vous les moyens de contrôler tous les containers qui arrivent en Polynésie ?
Non, ce n'est pas possible. Le secteur aérien est un secteur qui est effectivement très contrôlé. Par ailleurs, on fait des dizaines de milliers de contrôles tous les ans sur le secteur " postal-express ". Concernant le vecteur maritime, c'est le vecteur qui importe le plus de marchandises en Polynésie. Et effectivement, c'est très compliqué. Mais là également, les douaniers connaissent leur métier.
Ils ont l'ensemble des connaissances, des flux de travail avec les agents maritimes, l'ensemble des personnels portuaires, des autorités portuaires. Et nous analysons aussi de façon très scrupuleuse, l'ensemble des flux pour pouvoir appréhender les trafiquants. Mais c'est très compliqué, effectivement, sur le flux maritime, vu la masse.
Alors les trafiquants sont prêts à tout. Ils savent bien que les contrôles sont renforcés à l'aéroport de Tahiti, avec notamment les chiens. Et pourtant ils continuent de tenter leur chance, comme dernièrement avec ce danseur en provenance des Etats-Unis qui s'apprêtait à embarquer avec trois kilos et demi. Comment est-ce que vous expliquez ça ?
Alors, il y a l'appât du gain. Mais, il y a également les organisations criminelles qui se professionnalisent et qui arrivent à corrompre également des gens qui ne sont pas forcément destinés à cela et qui tentent leur chance justement à cause de l'appât du gain. Et je pense que c'est cela qui est le plus dangereux, cette corruption qu'on peut avoir sur l'ensemble de la société.
Y compris chez vous ?
Alors, non [...], l'information, l'attention des personnels, on est très vigilant à ça. Les douaniers sont des gens tout à fait honnêtes, qui luttent contre le trafic et qui ont tous cette valeur importante justement de protéger la société polynésienne contre ce genre de flux.
Le cannabis permet aux trafiquants d'amasser un peu d'argent pour pouvoir aller acheter de l'ice et le rapporter.
Serge Puccetti, directeur régional des douanesL'invité café, jeudi 18 avril 2024
Alors il y a l'ice, mais vos hommes ne relâchent pas la lutte non plus contre le trafic de cannabis. Est-ce que l'un finance l'autre ?
C'est évident. Il y a effectivement ce premier produit d'appel qu'est le cannabis, qui est ce premier franchissement de l'interdit et qui permet éventuellement d'amener d'autres consommateurs à d'autres drogues.
Et puis, c'est non seulement un produit d'appel, mais c'est aussi un produit qui permet aux trafiquants d'amasser un peu d'argent pour pouvoir aller acheter de l'ice et le rapporter. Donc, il y a tout un phénomène [...]. On ne peut pas dire que les choses vont dans le bon sens.
Il existe déjà, hélas, d'autres drogues de synthèse qui inondent le marché américain régional, des drogues moins chères et plus dévastatrices. Vous est-il déjà arrivé de saisir autre chose que de l'Ice ?
Alors oui, on a saisi de l'ecstasy on a saisi évidemment des amphétamines, mais pas encore de fentanyl, puisque c'est de cette drogue dont vous parlez. Pas encore ici, on est très vigilants à cela et c'est véritablement quelque chose qui nous préoccupe, qui préoccupe toutes les autorités du Pays, sur lequel nous, on est excessivement vigilants, notamment sur tous ces flux aériens et trafics postaux que nous regardons.
Tous les faits de violences, de violences intrafamiliales, de violences quotidiennes, de vols, de violences faites aux personnes, de violences routières aussi, ont un lien fort avec le trafic de drogue.
Serge Puccetti, directeur régional des douanesL'invité café, jeudi 18 avril 2024
Parallèlement au trafic qui grandit, voyez-vous aussi grandir une autre forme de délinquance ?
Je ne veux pas parler au nom de mes collègues policiers ou gendarmes, mais on voit bien cette délinquance au travers de tous les faits de violences, de violences intrafamiliales, de violences quotidiennes, de vols, de violences faites aux personnes, de violences routières aussi. On voit qu'il y a aussi un lien fort avec le trafic de drogue, puisque cette violence liée au trafic de drogue est très marquante.
Par exemple, il y a quelques mois, il y a eu cette personne qui avait été retrouvée au pied d'un arbre, assassinée pour un trafic de drogue.
Un dernier mot peut-être sur le profil des personnes qui sont donc arrêtées avec de l'Ice ?
Alors, il ne faut pas croire qu'il y a un type particulier de personne, jeune, habillée de telle manière, qui fait du trafic d'Ice. Non, l'ice peut être partout, il peut se cacher chez toutes les personnes, chez tous les flux. On l'a retrouvé, y compris évidemment dans le fret, dans des pièces automobiles. C'est un profil qui est très, très divers. Il ne faut surtout pas avoir d'a priori sur un profil particulier de trafiquants.